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Son opinion sur la soirée du 16 novembre à Nîmes
Publie le jeudi 22 novembre 2007 par Open-PublishingClaude Mazauric
Son opinion sur la soirée du 16 novembre à Nîmes
Comme la plupart des présents, m’a-t-il semblé, participants ou
assistants, j’ai pris grand intérêt à cette réunion de discussion,
préparatoire à l’assemblée de décembre prochain, inscrite plus
généralement dans la préparation du congrès convoqué l’an prochain.
Pourquoi cet intérêt si vivement ressenti ?
En raison évidemment de l’importance des enjeux et du caractère
dramatique, aigu et même angoissant, de la situation actuelle après
l’échec électoral du printemps dernier : mais cela aurait pu conduire,
comme on l’a vu souvent, à des affrontements passionnels, à la
juxtaposition de points de vue, au camouflage des positions ou à la
cacophonie. Il n’y a rien eu de semblable, tout au contraire : est-ce
l’apparition d’un nouveau mode de fonctionnement, réellement apaisé ?
En tout cas, en presque 56 ans d’adhésion sans interruption au Pcf, je
n’avais encore jamais assisté à une telle assemblée et pourtant, comme
les vieux aéroplanes, j’ai accumulé pas mal d’heures de vol !
La cause première a tenu assurément à la qualité des prestations des
quatre porte-parole : aucun n’a cherché à accaparer l’attention au
détriment des trois autres, tous ont veillé à exposer les thèses ou
points de vue dont ils étaient dépositaires ou initiateurs, sans
biaiser ni arrondir les angles par des effets de pure rhétorique, en
s’éloignant de tout souci de nourrir de vaines polémiques, avec la
volonté de convaincre mais aussi, cela était très visible, avec
suffisamment de distance à l’égard de soi-même pour ne pas être tenté
d’ignorer le propos du voisin, en sorte que dialogue de fond public, il
y a eu. La cause en était peut-être qu’ici, sous cette forme, l’échange
était dénué de tout enjeu de « pouvoir ».
Le débat avec les
intervenants s’exprimant depuis la salle a permis une relance
exceptionnellement riche, dans un deuxième temps, de la discussion
entre les quatre protagonistes invités. Je pense que nous sommes sortis
de cette rencontre de haut niveau, plus riches, mieux informés
synthétiquement, quelquefois, certes, troublés dans nos certitudes
antérieures ; mais à ce stade de la préparation de nos assises, dont le
cycle entier doit se prolonger pendant encore un an, ce trouble est non
seulement légitime, il est nécessaire et fécond : loin de compromettre
l’action immédiate, il peut tout au contraire contribuer à en faire
saisir la nécessité puisque ce qui est en question c’est l’avenir de ce
pourquoi nous sommes des communistes ! Or c’est cela qui a fait débat !
Entre les quatre orateurs, il y avait naturellement un point
d’ancrage commun : le refus d’admettre la domination du capitalisme
–J’ai noté les qualificatifs le plus souvent revenus : « globalisé »,
« mondialisé », « financiarisé »- . Chacun a montré avec pertinence,
avec des arguments qui s’ajoutaient sans s’annuler, combien, après
avoir historiquement assuré la croissance économique comme fondement de
toutes les autres croissances, le capital compromettait aujourd’hui la
vie présente, l’émancipation possible et aussi bien l’avenir du plus
grand nombre des humains, cela dans toutes les aires géo-politiques du
globe, les plus fragiles, certes, mais aussi bien, de manière
spécifique, en Europe et en France singulièrement, et qu’il menaçait la
stabilité même de la planète. Cette position commune exprimée, qui
n’est d’ailleurs plus l’apanage propre des communistes -étant partagée
dans sa généralité par beaucoup d’individus, organisés ou non, en
France, en Europe et dans le monde- si elle faisait figure de
préalable, ne disait évidemment rien de ce qu’il faut entreprendre de
concret pour y faire face.
Ni non plus des formes précises à travers
lesquelles le capitalisme d’aujourd’hui impose sa domination, comment
il crée par son propre développement, des structures et des mouvements,
contradictoires, quelquefois ambigus, où se concrétisent des champs qui
peuvent devenir des espaces de lutte, de contre-offensive et de
résistance. J’ai été frappé que la question de « l’abolition » du
capitalisme (et même du « marché », aussi bien du « travail » que des
marchandises), comme l’avaient voulu et comme l’ont entrepris en Russie
les bolchéviks à partir de leur victoire dans la guerre civile et la
fin de la NEP, puis sur le même modèle, dit « soviétique », des
communistes ou des socialistes ralliés à eux, voire des nationalistes
de gauche, ailleurs, en Europe, et dans de multiples Etats du monde,
n’ait été retenue comme un bien potentiel par aucun des quatre
orateurs : on a parlé de « dépassement », exclusivement, ce qui
implique qu’une partie des débats engagés dans le Pcf depuis les années
1970, mais surtout depuis 1989, sont désormais clos par une conclusion
sans équivoque : sans rejeter en rien l’expérience révolutionnaire que
fut la révolution russe et le pari de la construction du socialisme en
un seul pays dans les conditions que l’on sait, y compris, la guerre,
la guerre civile, etc., on est désormais unanimes à ne plus s’y référer
comme à un modèle et même comme à un exemple pertinent.
Mais c’est
alors que les positions qui s’expriment divergent : ces divergences
s’affirmant d’ordre stratégique mais, inévitablement aussi, d’ordre
théorique. Elles s’expriment en analyses opposées (ou différentes) des
conditions et des pré-conditions auxquelles nous sommes confrontés dans
notre volonté de faire croître la conscience populaire de la nécessité
vitale de combattre la domination matérielle et idéologique du
capitalisme contemporain.
Ici sont venues les questions du « rassemblement ». Celle tout
d’abord, du cadre pertinent ( national évidemment, ensuite européen,
par nécessité mais aussi en raison même de notre présence comme
communistes dans les batailles relatives à l’Europe et pas seulement
parce que « l’Europe existe », transcontinental et « altermondialiste »
enfin, parce que ce qui en jeu, c’est l’avenir de l’humanité et de la
planète). Il a été question, mais différemment, de la possibilité de
construire des formes nouvelles d’organisation internationales de
lutte : mais avec qui ? Comment ? Comment aussi s’enrichir des
expériences étrangères sans ignorer les spécificités, les expériences
historiques si différentes d’une aire ou d’un pays à l’autre (Amérique
latine, Allemagne, Italie, etc.). Autre question : définir un
« projet » mais dans quelle perspective de temps, selon quel
rythme, pour quel mode de développement ?
Ici s’est imposée la question
de la « gauche », abordée par les quatre orateurs : si le constat
historique selon lequel la « gauche » existe comme une permanence
politique en France depuis la révolution française en s’identifiant à
la « justice » (notamment sociale) , après l’avoir été, soit dit en
passant, à la « république » ou à la « démocratie représentative »,
est-il toujours pertinent de distinguer, à partir de l’histoire, une
gauche d’adaptation (et simultanément de correction plus ou moins
étendue, mais à la marge, des effets du capitalisme) et une gauche de
transformation plus radicale des conditions mêmes de construction de
l’ordre social ?
Il est apparu que cette analyse, ou cette position,
pour autant qu’elle puisse être nettement formulée et fondée, n’avait
pas l’aval de trois orateurs sur quatre : l’un préconisant
l’élaboration de « projets » ou de « réponses » formulées à partir d’un
cadre théorique, certes revisité et renouvelé, mais inscrit dans les
fondamentaux théoriques du communisme et du marxisme – mais qui
impliquent évidemment désormais un radical rejet des solutions mises en
œuvre dans le modèle soviétique- ; l’autre, proposant une vision plus
pragmatique de la catégorie de « projet », retient que le bon projet
est celui qui rassemble autour d’une visée jugée transformatrice ; le
troisième se montrant très attentif à placer la question de la
configuration sociale des acteurs potentiels au premier plan d’une
stratégie de rassemblement, laquelle ne peut simplement se concevoir
comme ordonnée par les appartenances politiques, d’ailleurs
fluctuantes, des uns ou des autres.
Un chantier ouvert où fut abordée
la question de la cause et des effets, du réel et de sa représentation,
notamment politique, et de la nécessité de la « critique » comme
instrument de dévoilement de la réalité : l’un des orateurs insistant
sur le fait que le mouvement de la réflexion critique aujourd’hui
n’est, ni l’apanage des seuls communistes, ni non plus celui des
experts, inscriraient-ils leur démarche dans le sillage du patrimoine
conceptuel du communisme, mais qu’il trouve de nouvelles implantations
sociales et idéologiques et de nouvelle formes d’expression (femmes,
jeunes, catégories sociales nouvelles, etc.). Ici la question de la
« visée communiste », au-delà de l’accord unanime sur la valeur
conceptuelle de la citation extraite de l’Idéologieallemande (1845,
texte connu après 1930…je le rappelle !) : « Le communisme …, etc. »
, s’est trouvée abordée, mais sans grande originalité au regard de ce
qui s’est dit à l’occasion des précédents congrès. Un cliché ?
Evidemment, toutes les propositions ont convergé autour de la
question de la formation politique communiste la plus adéquate aux fins
poursuivies : enracinement du communisme dans ce qu’est encore, malgré
ses déboires électoraux, le Pcf, ce qui suppose une autocritique
profonde, ni contricionnelle, ni accusatrice, mais éclairante des
errements et voltes-faces stratégiques, accumulées depuis vingt ans ;
au contraire, recherche d’une nouvelle forme de construction politique
incluant et valorisant le communisme (patrimoine idéologique, actif
militant, capital d’expérience(s), etc.) comme une dimension centrale
de la capacité de représentation et de rassemblement de la nouvelle
force proposée ; « mouvement » plus ou moins « fédératif » de
forces rassemblées. Lesquelles ? Ou naissance d’un nouveau parti, d’une
nouvelle structure politique construite à partir du projet ? Ces thèmes
ont été abordés avec une tranquillité apparente, mais l’émotion de
chacun était perceptible et l’attention de la salle soutenue…car
l’enjeu décisionnel sera décisif. Heureusement, c’est nouveau, le mode
accusateur d’intervention venant de la salle ne s’est quasiment pas
manifesté.
Curieusement, au vu des notes que j’ai prises, le mot
« identité » (« identité communiste », s’entend) n’a pas été prononcé
! Peut-être est-ce en raison du fait qu’aujourd’hui, les pratiques
sociales aidant, chacun voit bien que l’identitéest ce qui vous est
imposé comme de l’extérieur de soi sans que vous ayez la moindre part à
cet effet, notamment par l’administration, la police ou encore les
médias (thème qui a fait l’objet d’une intervention venue de la salle)
mais que si l’on revendique pour soiune qualification identitaire, la
question subjective de ce que l’on veut êtrevient en premier : or,
c’est cela qui faisait débat bien plus que de décortiquer une
sociologie ou des appellations ! Au demeurant, dans toute cette
discussion, a manqué à l’évidence, selon moi, un regard simultané sur
ce qui échappe largement à nos propres engagements : l’évolution
interne, véritablement aussi critique que celle qui nous concerne, des
autres formations politiques françaises, les nouveaux développements de
la crise politique nationale et européenne, les nouveaux contours
institutionnels français et européens, etc.
Quatre heures de discussion publique d’un très haut niveau
d’exigence, sans pathos ni attrape-nigauds, devant une salle presque
remplie (certains pourront regretter de n’avoir pas été présents…),
sans, de surcroît, que chacun ait cherché à esquiver sa responsabilité
ou le type d’ implications pratiques que supposaient les propositions
avancées : cela m’a paru nouveau et fécond, un vrai signe d’ouverture.
En généraliser le modèle sous une forme identique tournerait assurément
au procédé, mais peut-être ne serait-il pas inutile de réfléchir
nationalement à tirer tous les enseignements de l’expérimentation
nîmoise, de manière à ce que le choix final qui sera celui des
adhérents du Pcf, soit le plus responsable et le plus éclairé possible.
J’ai pour ma part fait remarquer qu’au terme du processus engagé, il
est possible –ce serait évidemment regrettable- que, nous tous qui
étions rassemblés, ne nous retrouvions pas appartenir demain à la même
organisation politique. Si, du moins, une telle divergence de voies se
faisait jour, il ne me paraît pas indifférent, et même très nouveau, au
vu de ce que nous avons connu dans notre histoire bien française et
dans le mouvement communiste et révolutionnaire au cours du vingtième
siècle, que cela se produise sans excommunication et au terme d’un
débat, certes passionné, existentiel même, mais respectueux, et des
formes, et des points de vue, et de la personne de ceux qui essaient de
les faire valoir.
Finalement une bonne soirée politique : c’est plutôt rare !
Nîmes, le 18 novembre 2007.
Pour voir les enregistrements de P.COHEN-SEAT , D.CIRERA , Y.DIMICOLI , R MARTELLI
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