Accueil > Souffrance au travail (encore )
on vit une époque formidable ....
et après vous vous etonnerez si certains finissent sur un toit avec un fusil ....
Centre d’appels
Ça n’arrive qu’aux autres ?
À L’ÉCRAN, LE CHRONOMÈTRE DÉFILE. Pas question de dépasser le temps maximum de traitement d’un appel, fixé à trois minutes cinquante secondes, quelle que soit la demande du client. L’échange terminé, là encore, mieux vaut être rapide, le temps « post-appel » maximum ne devant excéder quarante secondes. Les chargés de clientèle de ce centre d’appels X ne chôment guère et s’épanchent désormais facilement sur leur quotidien au travail.
Il faut dire que le 1er août dernier, l’opérateur de téléphonie X, vendait son service clients à la sous-traitance.
Casque vissé sur la tête, les conseillers répondent au téléphone tout en jouant de la souris pour suivre le traitement du dossier à l’écran.
Lorsque vous appelez pour un renseignement, une modification de votre contrat, c’est à un chargé de clientèle travaillant sur l’un de ces plateaux que vous vous adressez. Ce que vous ignorez certainement, c’est que cette personne est minutée et écoutée, puis que son augmentation salariale est subordonnée à sa « performance ».
Claudia est entrée chez X à l’ouverture au centre d’appels. Dix ans à prendre les appels, « ça fait de sacrés dégâts sur la santé, pas seulement de l’ordre de la somatisation, mais bien au-delà : de véritables pathologies se développent avec les années, selon un processus très insidieux ».
Elle raconte une journée de travail type, le sourire est amer.
« On arrive, on se "logue" sur l’ordinateur, c’est à dire qu’on se met en disponibilité avec le casque. Les gens imaginent qu’on est derrière un bureau à attendre les appels, ce n’est pas ça du tout. C’est un casque en permanence sur les oreilles. Dès qu’un appel est terminé, un bip prévient d’un autre appel, ça sonne tout le temps et on ne connaît jamais la nature de l’appel suivant.
Cette façon de travailler implique d’avoir l’esprit constamment en alerte, de sorte à être en mesure d’apporter une réponse au client. C’est épuisant nerveusement, d’autant que le chronomètre, en bas de l’écran, ne différencie pas les appels. Quelle que soit la demande, on doit la traiter en trois minutes cinquante secondes, puis, une fois raccroché, écrire ce qu’on a fait ou dit au client en 40 secondes. » Et en cas de dépassement ? Le rappel à l’ordre est immédiat, car l’entreprise a lancé « la chasse aux heures perdues (1) ». Les « managers », en français chefs de groupe, répercutent la pression qu’ils subissent, « plus ou moins intelligemment, selon les personnalités », précise Claudia d’un air entendu.
Leur rôle ?
Faire respecter les objectifs de productivité de chacun des salariés qu’ils chapeautent. Pour ce faire, entre autres prérogatives, ils écoutent.
L’écoute des salariés au travail est, officiellement, destinée à fixer des objectifs. Mais les salariés ne sont pas dupes.
Corinne, une collègue de Claudia, en rirait presque : « Dès l’entrée sur le site, chaque matin, le moindre de nos faits et gestes est consigné. On badge même lorsqu’on fait une pause-café cigarette devant le bâtiment. Qu’on ne me fasse pas croire que les écoutes ne relèvent que de la stratégie de l’entreprise. Pourquoi, dans ce cas, nos primes, qui correspondent globalement à un tiers de nos salaires, sont-elles subordonnées à ces écoutes ? Pourquoi sommes-nous convoqués à l’issue de chaque écoute pour justifier du choix d’un mot plutôt que d’un autre, pour expliquer le ton qu’on a utilisé ? Pourquoi sommes nous pénalisés lorsqu’on a pris le parti d’aider un client au-delà des trois minutes cinquante ? » Le traitement d’une requête en temps limité et selon un mode-type ne permet guère de s’attarder sur les problématiques individuelles.
Les instructions données aux salariés sont claires. Sans appel. « On doit faire preuve d’empathie, mais pas trop, sans quoi, on tombe dans la case hors repères et les répercussions salariales sont énormes », raille encore Corinne.
Claudia a développé une maladie chronique, résultat de trop de stress au travail. Son médecin, à l’origine du diagnostic, la contraint parfois à des arrêts de travail indispensables à sa santé. Sauf que, là encore, l’impact sur la prime existe qui la dissuade de s’arrêter. Alors, elle passe outre l’avis de son médecin et va travailler.
Les centres d’appels X ne sont pas les seuls à maintenir la pression sur les salariés. Tous les centres d’appels, désormais, sont en ligne de mire. À tel point, d’ailleurs, que le 2 août dernier, le ministère de l’Emploi a annoncé le lancement d’une « étude stratégique » sur les pratiques des centres d’appels chargés de relation clientèle. Commandée au Conseil général des technologies de l’information, cette étude aurait pour but de lutter contre cette tendance des opérateurs à externaliser certaines activités, ainsi que d’établir une charte de bonnes pratiques.
Dans l’attente des résultats de cette étude, la gestion des ressources humaines en centre d’appels reste désastreuse. Pourtant, il s’agit d’un secteur d’activité à forte croissance et qui génère des profits importants.
Makhno




