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Téléperformance, les forçats du tertiaire
Publie le dimanche 2 janvier 2005 par Open-Publishing10 commentaires
Voilà un mois que je suis entré à Téléperformance comme intérimaire, sur le site de la Porte de Versailles.(...)L’entreprise de télémarketing récemment médiatisée pour avoir délocalisé deux sites de production en Tunisie, là où elle peut payer ses employés 250 euros par mois (...). En 2003, Téléperf avait également licencié 430 salariés en CDI pour les remplacer par des intérimaires. Aujourd’hui, c’est 80 % des postes qui sont tenus par des intérimaires.
Cette entreprise, c’est l’entreprise du mépris et du management inhumain, sous-traitante pour Bouygues et autre France Télécom, elle est de plus en plus réputée pour pratiquer une exploitation éhontée des salariés, se moquant ouvertement d’eux comme des lois censées les protéger. Les supérieurs sont du type de ceux qu’on a envie d’étrangler (...). Ces chefs n’ont comme unique ambition que d’être reconnus comme de bons disciples de leurs patrons. Croire aveuglément les rassure, trouvant là un moyen d’évacuer leurs angoisses, le stress et leurs doutes.
Laissez-moi vous planter le décor ; grande salle avec des tables rondes compartimentées où les travailleurs sont reliés à des téléphones-casques(...). Les salariés sont managés par une responsable générale névrotique et arrogante, perpétuellement au bord de la crise de nerfs, n’ayant le temps de rien, si ce n’est de s’époumonner en hurlant sur ce qu’elle ose appeler "ses collaborateurs".
Je passe sur le discours de bienvenue d’un de nos supérieurs hiérarchiques. Il nous récita sa leçon comme un bon écolier acquis à l’idéologie de ses maîtres (...). Il tenta de nous faire admettre que la réalité du marché de l’emploi les obligeait à nous payer comme des merdes(...).
La dure réalite comme il ose prétendre, c’est que moi je me coltine un 15 m2 avec ma femme et que je mange des pâtes un jour sur deux pour que Bouygues Télécom réalise sur ma force de travail des profits monstrueux dans le but de satisfaire ses actionnaires (...).
Il faut éviter les surcoûts, pas prendre de risques et tant pis pour la fatigue, les nerfs et la santé générale des travailleurs(...).
Au pouvoir de ces manipulateurs de lois, il faut opposer un autre pouvoir. Il est inutile de compter sur la bienveillance des chefs serviles.
Il est grand temps que les travailleurs du télémarketing se prennent en main, qu’ils s’organisent et luttent contre les spoliateurs des salariés. C’est à eux qu’appartiennent les locaux et les téléphones, mais sans nous, ils ne sont rien.
Nous ne resterons pas calmes ! Le fatalisme est notre pire ennemi. Nous voulons des conditions de travail décentes et des salaires rehaussés.
Alors, tiens-toi prêt camarade !
Combat, organe de l’Alternative Révolutionnaire Socialiste
arsorga@hotmail.com
Messages
1. > Téléperformance, les forçats du tertiaire, 4 janvier 2005, 09:32
Rien de neuf sous le soleil. En 1996-97, j’ai bossé 8 mois comme enquêtrice téléphonique à la SOFRES.
Statut : vacataire. T’es payé au contrat, à la tâche, un contrat pouvant être signé pour une heure de boulot. Il m’est arrivé de signer 3 ou 4 contrats dans une seule journée. Les salaires sont au plancher. A l’époque on bossait 35h, payées 35, c’est à dire moins que le SMIC à l’époque. Faut savoir qu’il est déjà difficile de faire 35 heures par semaine tant ce boulot est épuisant.
Comme j’étais un bon petit soldat (un BAC+5 au SMIC, c’est un bon petit soldat), j’ai eu la chance d’avoir un contrat permanent, c’est à dire que j’étais payée à l’heure sur une enquête FT, que j’avais le droit à un bon repas le midi dans une cantine d’entreprise (Pour la petite histoire, le cuistot de la cantine m’a appris un jour que la direction de la SOFRES lui avait demandé de réduire les portions servies aux travailleurs de la SOFRES par rapport aux autres, afin "d’éviter de nous alourdir, ce qui nous rendrait trop mous l’après-midi" ! Du coup, il nous filait du rab’ !). Mais surtout, j’avais la sécurité de l’emploi : je signais un contrat par semaine, rendez-vous compte ! Les contrats courraient du mercredi au mardi suivant. Le mercredi matin, on venait bosser sans savoir si on allait avoir un contrat sur la table. Et on était parmi les mieux lotis. Les autres, c’étaient quasiment des salariés au sifflet, qui ne bossaient que quand il y avait de la demande et qui étaient payés à la passation, c’est à dire qu’ils touchaient une somme forfaitaire pour chaque questionnaire effectivement terminé. Le forfait était sensément calculé sur un temps de passation moyen et devait en théorie permettre au salarié de gagner l’équivalent du SMIC horaire. En réalité, il était impossible de tenir le chronomètre, ce qui faisait que la plupart des salariés touchaient nettement moins que le SMIC horaire. C’est pour cela que beaucoup signaient contrat sur contrat, le WE, les soirées, les jours fériés, pour arriver à tout juste survivre : travailler toujours plus pour gagner que dalle
Il y avait un délégué syndical, un des très rares enquêteurs en CDI : il était abattu ("comment veux-tu faire avancer quoi que ce soit avec des gens qui bouffent pas, qui ont la peur au ventre et qui peuvent perdre leur boulot d’une heure sur l’autre ?").
Rien de neuf sous le soleil, en somme. Sinon, essayez au moins d’être sympa au téléphone quand un des ces nouveaux forçats du sous-prolétariat moderne vous appelle ! Parce qu’en plus, on se faisait insulter par les gens qui se défoulaient sur nous de leur propres frustrations...
Le Monolecte
1. > Téléperformance, les forçats du tertiaire, 4 janvier 2005, 17:34
"faire une passation", ça ressemble à autre chose...
"être sympa avec les téléacteurs"...il peut y avoir en effet un mécanisme de défouloir, mais le problème doit être élargi.
D’abord, on a pas forcément envie d’être dérrangé chez soi pour des enquêtes débiles, voire commerciales. Il se trouve que l’on pouvait avant être en train de faire quelque chose de"sympa"...
Faut -il être sympa aussi avec les distributeurs de prospectus qui viennent souiller nos boîtes aux lettres ? Désolé, mais je les fous dehors...souvent avec pertes et fracas !
Etc, etc...
Le problème est que notre société "démocratique" est TROP sympa...pour ne pas dire trop lâche et soumise aux intérêts patronaux, puisque somme toute, elle ne trouve rien à dire à ces formes de "travail" auxquelles elle soumet désormais aussi les bac plus 5... qui sont eux-mêmes souvent très mous...(je ne parle pas pour toi...).
Le problème est que l’on se réclame massiment de la "démocratie", mais que l’on réelit inlassablement les mêmes, de droite ou de "gauche", qui mènent la politique que Seillère leur dicte...
FAUT ARRETER D’ETRE "SYMPA" !
2. > Téléperformance, les forçats du tertiaire, 4 janvier 2005, 17:52
C’est vrai, ça ! Arrêtons d’être sympa ! Continuons donc de courber l’échine devant le moins-disant social (moins de retraite, moins de salaire, moins de Sécu...) et défoulons-nous sur les gagne-petits, les pauvres, les mecs qui rament au bas de l’échelle, les galériens...
Crachons en l’air histoire de voir s’il y a un pauvre con encore plus mal loti que nous qui peut se ramasser notre mollard dans la face !
Ca rassure, hein, d’avoir encore le pouvoir de jeter plus misérable que soi après avoir passé une bonne journée à ramper devant son petit chef pour lui cirer les pompes !
Vraiment, heureusement qu’il a des gens qui savent arrêter d’être sympas juste quand il faut !
Le Monolecte
3. > Téléperformance, les forçats du tertiaire, 4 janvier 2005, 17:59
Ne te fais pas plus stupide que tu ne l’es, Monolecte.
Ne pas être sympa avec les petits (qui ne suscitent pas la sympathie sous le seul prétexte qu’ils sont petits ne signifie courber l’échine...)
4. > Téléperformance, les forçats du tertiaire, 5 janvier 2005, 08:31
Qui sait quel est mon degré de stupidité... sûrement pas moi, puisque plus on est stupide, moins on le sait et plus on tend à être convaincu du contraire...
Personnellement, les gens qui se lèvent le matin, qui triment comme des fous dans des boulots de merde pour pas un rond à la sortie ont tendance à attirer ma sympathie, ou plus précisément mon empathie. Je ne vois pas de raison particulière de gerber quelqu’un qui bosse sous prétexte qu’il n’est qu’un petit soldat parmi d’autres. Ca ne me coûte pas grand chose de répondre à ses questions et encore moins de refuser poliment (mais fermement !) une sollicitation qui ne me convient pas.
Si nous ne sommes même plus courtois envers les autres, qu’est-ce qui nous reste ? Que sommes-nous, finallement ? Des CB sur pattes ? Des robots ? Moi, ça ne me coûte rien de sourire à une caissière de supermarché, d’être juste un humain standard, mais pour celui ou celle qui subit l’agressivité des autres à longueur de temps, leur mépris, leurs sales humeurs, c’est fou le bien que ça fait. Ce n’est rien, mais des fois, ça permet juste de respirer dans une journée aussi pourrie que la précédente et la suivante.
Sachant donc qu’il est plutôt facile d’être courtois, pourquoi choisir d’être chien ? Collabo du système ?
Le Monolecte
2. > De la courtoisie...réponse au Monolecte, 5 janvier 2005, 18:20
Contrairement à ce que tu sembles penser, Monolecte, je ne suis pas permis d’être discourtois avec toi, puisqu’au contraire j’estime que tu es en mesure de produire des raisonnements moins simplistes que celui consistant à revendiquer d’être "sympa" avec ceux qui te cassent les pieds.
Notre époque n’est plus celle du prolétariat du 19e siècle, sur qui les marxistes fondaient leurs espoirs en un monde meilleur. Mais il y a depuis 20 ans une nouvelle pauvreté qui présente certaines similitudes avec le contexte du 19e siècle. Il y a également l’absence massive de conscience politique des populations d’origine immigrée, et le dévoiement d’une partie de la classe ouvrière vers les sirènes fascisantes.
TOUT CELA, IL FAUT LE DIRE ! Et esayer de trouver des moyens d’inverser la tendance. Mais commencer par faire le constat.
Sinon, on ne fait que RENFORCER le processus de dépolitisation...
Par ailleurs, le mouvement anti-pub a décollé avec une plainte déposée contre un distributeur de prospectus de pub pour... violation de domicile. C’est de cette manière que Résistance à l’Agression Publicitaire a pris son essor. C’est dommage pour le pauvre gars, mais il n’a pas précisément été condamné à la peine capitale, tu sais...
Par contre, au vu du chemin parcouru depuis, au vu du discrédit sans précédent des enpubeurs, les gains judiciaires et médiatiques de cette affaire sont PRECIEUX.
Si l’on s’en tient aux bons sentiments, on est foutu...
1. > De la courtoisie...réponse au Monolecte, 6 janvier 2005, 08:36
Bonjour, contradicteur,
Dans les grandes lignes, on est d’accord : paupérisation massive de la population qui devrait encore s’intensifier cette année et qui est amplifée par les mesures politiques actuelles.
Oui, il faut lutter contre les formes de travail dégradantes (trimer comme une bête sans pouvoir simplement vivre de son travail ensuite est, pour moi, très dégradant), non pas en tapant sur les esclaves, mais bien sur leurs maîtres. Ce n’est pas spécialement le démarcheur, le bonimenteur, l’intervieweur qui me casse les pieds, c’est le système qui est derrière eux et nous pousse à l’exaspération. Lâcher ses chiens sur un distributeur de prospectus payé à la journée ne change rien à la marketing-obsession. Bientôt, le gars n’aura même plus droit d’avoir un arrêt accident du travail pour ça et n’aura pas les moyens de se faire soigner. Un autre crève-misère prendra sa place. Ce sont ceux qui sont derrière la piétaille du front qu’il faut viser de sa juste irritation. Les armées de marketeux au QI d’amibe et au salaire de footballeur qui dictent leur loi au monde. Les troupeaux d’actionnaires vieux et aigris qui exigent leur 20% de rendement annuel "ha, ben, j’y ai le droit, j’ai bossé toute ma vie, moi !" et grâce auxquels on comprime les salaires et conditions de vie de leurs propres enfants qui eux, n’auront pas de retraite, pas de sécu, que dalle : il s’agit en fait d’un piratage inter-générationnel. Les financiers, qui réduisent tout à une ligne comptable et ignorent ce qui ne peut se réduire à une ligne comptable... et tous les autres qui décident qui vivra, qui va en chier et qui ne sert plus à rien !
Faut choisir ses cibles !
Le Monolecte
3. La question des cibles, 6 janvier 2005, 15:50
Je n’ai jamais craché ni lâché de chien sur un distributeur de prospectus. Par contre, ponctuellement, je ne vois pas de raison valable m’incitant à le laisser déverser ses ordures dans ma boîte aux lettres. A fortiori d’être sympa, comme cela, spontanément, avec lui...Raisonnement identique pour celui qui vient me harceler au téléphone, surtout si je suis en train de faire quelque chose de sympa.
C’est fort regrettable, mais je n’ai pas suivi la catéchèse. Avec les générations à venir, mon cas de figure disparaîtra à grands coups d’enseignement du "fait" (sic)religieux...
Par ailleurs, je ne pense pas t’avoir laissé une ébauche de début de prémisse de chance de penser que j’étais tendre avec les financiers, les marketteux et la clique des actionnaires.
Bien à toi, Monolecte
4. La question des cibles (suite), 6 janvier 2005, 16:01
Il me faut préciser qu’une certaine gauche à tendance à revendiquer la "tolérance", la non-violence, le "respect"(sic), et tout un fatras de concepts néochrétiens, de ceux que prêche aujourd’hui une Eglise qui n’a plus le pouvoir qu’elle avait au siècle dernier, et qui ont une finalité bien précise : la religion n’est plus l’opium du peuple, en tout cas pas en France. Mais ce n’est pas parce que cet opium-là a disparu que le peuple n’a pas besoin d’être endormi...
Faire comprendre à un pauvre gars que ce n’est pas tout à fait normal de venir harceler les individus dans leur vie privée peut l’amener à mieux formuler à terme son refus de l’exploitation.
Mais pour que cela ait un sens, il faudra qu’on le fasse tous. Qu’on ne se contente pas de dire : il n’a que cela pour vivre, DONC je fais oeuvre sociale en le laissant me harceler.
1. > De l’intérêt de se défouler sur les esclaves !, 7 janvier 2005, 09:05
Ce qui est certain, c’est que je ne fais pas partie de cette certaine gauche néochrétienne ou de quelque obédience religieuse ou mystico-truc que ce soit. C’est juste qu’ayant moi-même subi l’agressivité des gens dans mon travail, je sais qu’elle ne fait qu’ajouter au stress que tout sale boulot qui se respecte génère et qu’en ce sens, elle contribue encore plus à la dégradation des conditions de travails de ceux qui sont en bas, pour reprendre la terminologie libraprout !
Quant aux vertus éducatives de tes coups de gueule, ça me fait doucement rigoler. Comme si les mecs qui font des sales boulots mal payés le font par goût ou par vocation. Grâce à la loi de déconstruction sociale de Borloo, tout chômeur est désormais tenu d’accepter l’emploi qu’on lui donne, même s’il est précaire, pourri, mal payé et sans rapport aucun avec les qualifications et expériences du chômeur. Une manière de plus de faire comprendre que le CV, les années d’expériences, les diplômes, les compétences et les savoirs-faire, tout ça, on s’en fout, ce qu’on veut c’est des esclaves qui ferment leur gueule et ne coûtent rien !
C’est là qu’on voit bien que les lois du marché ont leurs limites. Parce que les sacro-saintes lois du marché concurentiel qui s’équilibre selon l’offre et la demande s’arrêtent où commence l’intérêt des patrons.
Le secteur de la restauration peine à recrutrer : les salaires sont pourris, sous le SMIC, les conditions de travail éprouvantes, le respect des lois et des droits des salariés légendairement inexistants. Forcément, ça ne se bouscule par pour y aller bosser. Selon la loi de l’offre et de la demande, les patrons de la restauration auraient donc du augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail jusqu’à ce qu’ils atteignent l’optimum qui permet de couvrir les besoins en main d’oeuvre. Au lieu de ça, les chantres de la non-intervention étatiques ont obtenu une loi qui force les chômeurs a venir bosser dans de mauvaises conditions. Donc pas de règles, pas d’Etat, sauf quand ça les arrange, on dirait !
Tout ça pour te dire que les mecs qui viennent te ruiner ton confort n’ont sûrement pas le choix, et que quand tu seras à leur place (car il ne faut pas se leurrer, on finira par tous y passer, au petit jeu du moins-disant social et salarial), tu apprécieras modérément les leçons de savoir-vivre dans la mesure où tu n’auras plus le choix depuis longtemps !
Amicalement
Le Monolecte