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Témoignage d’un passager ayant participé à une action collective pour faire échouer une expulsion.

Publie le samedi 1er novembre 2008 par Open-Publishing
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Mercredi 29 octobre 2008. Vécu : samedi dernier, j’ai voyagé avec des gens bien...

Prêt à partir ce samedi pour Alger- j’y vais régulièrement dans le cadre d’une activité professionnelle de coopération avec ce pays- j’ai eu le sentiment, une fois monté dans l’avion, d’être pris en otage par Hortefeux, plus précisément par sa politique d’objectifs annuels chiffrés d’expulsion de sans-papiers.

J’avais repéré auprès du comptoir d’enregistrement d’Orly quelques personnes qui discutaient vivement, sans entendre de quoi ils parlaient. Il s’agissait probablement de militants défenseurs des sans-papiers expliquant à certains voyageurs qu’un « voyageur » de notre avion était l’objet d’expulsion suite à une obligation de quitter le territoire (OQTF). L’aéroport d’Orly était plein à craquer,c’était le début des congés de la Toussaint.

Arrivée dans la cabine : gémissements et agitation au fond de l’avion. Des policiers en nombre maintiennent un homme sur le siège, cherchent à le faire taire. Emoi des premiers voyageurs déjà présents. Le personnel de la compagnie d’aviation gêné, dans ses petits souliers.

Une parole imbécile d’un steward qui en arrive à dire : « ne vous inquiétez pas, nous avons l’habitude... ». Ce à quoi il lui est répondu par un passager européen qu’il y a des choses auxquelles il vaut mieux ne pas s’habituer.

L’avion est plein. En majorité des Algériens, et des Français d’origine algérienne. Des Français d’origine européenne aussi.

La colère monte tout d’abord. Des femmes et quelques jeunes surtout. La plupart des Français d’origine européenne sont gênés, voire renfrognés, en tout cas ils cherchent à se faire oublier. Certains regardent leur montre ou piquent le nez dans un journal....quelques-uns uns se solidarisent plus ou moins ouvertement avec l’expulsé.

Une femme dit : « mais c’est un homme comme nous, pourquoi le traite-t-on comme un animal ? ». Une fillette de huit-dix ans, en pleurs : « Maman, mais qu’est-ce qu’il a fait le Monsieur ? ». La mère : « Il n’a rien fait, tu sais, il n’a pas volé, il n’a pas tué, mais il n’a pas de papiers et pour vivre dans un pays, il faut une carte d’identité ou une carte de séjour... » (belle leçon d’instruction civique, en mode express mais efficace). « Alors, c’est pas grave, il n’a rien fait de mal ? » dit la gamine. La vérité sort-elle toujours de la bouche des enfants ?

Les gens refusent de s’assoir au fond l’avion. D’autre interviennent auprès des policiers pour demander qu’ils arrêtent de leur infliger, à eux et à leur famille, cette situation : « on a payé pour voyager tranquillement, pas pour entendre des hurlements pendant deux heures et demi, il y a des enfants ici, des personnes à santé fragile », « ce n’est pas normal de procéder ainsi... ». Un grand costaud de policier menace : « attention, vous pouvez sans le savoir être mis en cause devant un tribunal, car vous vous opposez à la mise en ouvre d’une décision de justice ! ».

Le calme revient, mais la moitié des voyageurs reste debout (dans tous les sens du terme...).

Des jeunes argumentent, tranquillement. Ceux qui ont discuté à Orly avec les militants expliquent : « cet homme ne veut qu’une chose, continuer à travailler en France, où il a fait sa vie, il a une femme et deux enfants français, nés en France. C’est la préfecture qui veut l’expulser rapidement avant, justement, que la décision de justice soit rendue. Vous savez, ils ont des quotas à atteindre... »

Une dame dit : « mais pourquoi ne les transportent-ils pas en bateau ? ». Est-ce vraiment la solution ? Une dame encadrée par deux fillettes en pleurs revient dans le couloir et demande à une hôtesse : « est-ce que vous pouvez me trouver trois places vers l’avant, mes filles ne supporteront pas... ». Personne ne propose, à l’avant, de céder sa place.

Le grand policier affirme : « la seule chose que vous pouvez faire, c’est descendre, sans garantie d’être remboursée, et vous récupérerez vos bagages plus tard, car il n’est plus possible de les ressortir de la cale ». Un steward confirme.

Une vieille dame a un malaise. Un vieux monsieur semble pris de suffocation. Les hôtesses les réconfortent et leur apportent de l’eau.

Cela dure une heure, de nombreux voyageurs restant toujours debout, tout en gardant parfaitement leur calme. Après une ultime tentative du commandant de bord, au micro, qui dit : « ma compagnie n’a pas le choix, elle est obligée d’accepter ce genre de transports », les policiers décident de redescendre avec leur prisonnier, sous les applaudissements de joie de presque toute la cabine... le personnel de l’avion est ravi, et visiblement soulagé.

En fait, un consensus tacite s’est installé parmi les voyageurs pour refuser le départ, mais sur le mode de la résistance passive. Il suffisait de rester debout, pour les raisons les plus diverses et de tenir suffisamment longtemps, empêchant ainsi le décollage. Une réaction remarquable, qui a payé. La machine à briser aléatoirement des vies a été enrayée pour cette fois.

Je passe sur la déclaration rituelle du commandant de bord à l’arrivée, du style « j’espère que vous avez passé un bon voyage et que nous aurons le plaisir de vous revoir bientôt sur cette ligne, etc. »qui, dans de telles circonstances, prend un tour vraiment surréaliste...

Dire qu’il y a des gens qui ont du mal à comprendre que la Marseillaise soit sifflée par des Français d’origine nord-africaine au Stade de France...quand on a vu ça, on se l’explique facilement.

Enfin, malgré le retard et le stress, j’étais content ce samedi en arrivant à Alger, où les Français, les « 9-3 » et les autres, sont toujours très bien accueillis. J’avais voyagé avec des gens courageux, solidaires et intelligents. Humains tout simplement.

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