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Travail forcé, connais pas

Publie le jeudi 29 juin 2006 par Open-Publishing

de Christelle Chabaud

Justice . Accusé d’avoir employé des travailleurs sous contrainte pour construire un gazoduc en Birmanie, Total s’en sort sur la forme, non sur le fond.

Reconnue coupable mais pas inculpée... La justice a estimé qu’entre 1995 et 1998 la société Total a eu recours au travail forcé pour construire un des plus importants gazoducs du Sud-Est asiatique, mais elle n’en paiera pas les conséquences. Simple question de procédure, car le droit français ne reconnaît pas le travail forcé comme un crime ! « Cela ne fait l’objet d’aucune qualification pénale en droit interne », souligne, amère, la juge d’instruction de Nanterre chargée du dossier Total. « Manifestement le législateur, malgré des rapports des organisations internationales et de défense des droits de l’homme et de celui de sa mission parlementaire sur les entreprises pétrolières, n’a pas entendu légiférer sur cette question.

Or le droit pénal étant d’interprétation stricte, le raisonnement conduisant à assimiler le travail forcé au crime de séquestration est impossible en l’absence de dispositions législatives expresses ». La magistrate Katherine Cornier a donc été forcée de prononcer un non-lieu au bénéfice de la firme pétrolière, même si elle a reconnu que « la réalité des faits dénoncés ne peut être mise en doute ».

En octobre 2002, le parquet de Nanterre avait ouvert une information judiciaire pour « séquestration », après la plainte de huit travailleurs birmans qui reprochaient à Total de les avoir fait travailler sans rémunération pendant trois ans. Ils avaient été forcés, par la junte militaire, à participer à la construction du gazoduc de Yadana dans le golfe de Martaban, au large des côtes birmanes. Également soupçonnée d’avoir contribué à la destuction de villages situés sur des pipe-lines du gazoduc, Total a toujours apporté un « démenti catégorique ». En décembre 2003, le groupe pétrolier avait même payé Bernard Kouchner pour mener l’enquête. Le rapport de l’ex-ministre de la Santé avait conclu à l’absence de travail forcé, provoquant les foudres des défenseurs des droits de l’homme, en conflit avec Total depuis plusieurs années.

Selon le droit français, le travail forcé ne peut être qu’un « élément de fait susceptible de corroborer le crime de séquestration, et non le crime lui-même ». Et justement, pour « corroborer le crime », la juge aurait dû entendre les huit Birmans parties civiles. Mais ces derniers ont retiré leurs plaintes début janvier 2006. En novembre 2005, Total avait réussi à obtenir le retrait de leur plainte en contrepartie de 10 000 euros par personne et la création d’un fonds de solidarité de 5,2 millions d’euros destiné à des actions humanitaires. De toute façon, leur audition eut été impossible : ils sont tous réfugiés clandestins sur le territoire thaïlandais.

http://www.humanite.fr/journal/2006-06-23/2006-06-23-832169