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UNE UTOPIE POSSIBLE ET NECESSAIRE
Publie le vendredi 29 septembre 2006 par Open-Publishing2 commentaires

de Lucio Garofalo traduit de l’italien par karl&rosa
Je pense souvent à un paradoxe de portée historique globale qui me regarde personnellement, mais qui concerne directement chaque être humain.
Je me réfère à une contradiction objective entre le progrès technoscientifique grandissant accompli surtout durant les dernières décennies, qui permettrait au genre humain tout entier de vivre beaucoup mieux, et la réalité planétaire mettant en évidence une péjoration sensible des conditions économiques, matérielles et sociales, surtout des producteurs et des travailleurs salariés (ou plutôt sous salariés) vivant aussi dans le monde occidental prétendument "avancé".
Grâce aux plus récentes conquêtes du développement technique et scientifique, la grandiose, noble autant qu’ancienne "utopie" de l’émancipation de l’humanité (de toute l’humanité) du besoin de travailler et donc de l’exploitation matérielle est théoriquement (c’est-à-dire virtuellement) réalisable, aujourd’hui plus que dans le passé, au sens où elle serait objectivement possible, et non seulement nécessaire, mais en même temps impraticable, au moins dans le cadre des rapports juridiques et économiques existants, qui se basent sur les lois et les tendances de classe inhérentes au système capitaliste bourgeois, qui traverse, et ce n’est pas un hasard, une période de grave crise structurelle.
C’est pourquoi l’idée de l’affranchissement définitif et total de l’humanité de l’exploitation et de l’aliénation qui s’accomplissent pendant le temps de travail semble très proche de sa réalisation. Toutefois cela ne pourrait pas se réaliser sans une violente rupture révolutionnaire par rapport à la suprématie capitaliste bourgeoise en vigueur à l’échelle planétaire. Je me réfère explicitement à l’abolition de la propriété privée des grands moyens de production économico matérielle, détenus par la bourgeoisie capitaliste financière.
Comme les Grecs anciens s’occupaient librement et aimablement de politique, de philosophie, de poésie et de beaux arts et jouissaient de tous les plaisirs offerts par la vie, parce qu’ils étaient dispensés du travail matériel, exécuté par les esclaves, ainsi les hommes et les femmes d’aujourd’hui pourraient se consacrer aux aimables activités du corps et de l’esprit, en s’affranchissant enfin du temps de travail confié exclusivement aux robots et réalisé grâce aux procès grandissants d’automation et d’informatisation de la production de biens matériaux.
Cet objectif historique révolutionnaire est aujourd’hui réalisable, au moins en théorie, justement en vertu des énormes potentialités « émancipatrices » et « éversives » offertes par le développement de la science et de la technique surtout dans le domaine de la robotique, de la cybernétique et de l’informatique.
Messages
1. > UNE UTOPIE POSSIBLE ET NECESSAIRE, 29 septembre 2006, 13:16
S’affranchir du labeur quotidien pour se consacrer uniquement aux jouissances de la vie.
L’Éden retrouvé en somme.
Pour de l’Utopie, c’est du lourd.
Qui sera chargé de la maintenance de nos cyber esclaves ? Qui les concevra ?
Comment occuper les 10 milliards d’individus qui se profilent dans un futur proche ?
Plus réaliste, j’opterai pour un travail minimum, deux trois heure de temps en temps, une nature belle et débarrassée de pollution, un contrôle des naissances résultant de choix individuels orientés par une information claire.
J’ai peur qu’un e société sans contrainte ne sombre telles Sodome & Gomorrhe, dans le vice et l’oisiveté. Car techniquement, le plaisir est la récompense d’une peine. Si le plaisir devient la norme, il perdra son essence, et il faudra en inventer de nouveaux, plus radicaux, plus osés, etc.
Et puis j’aime travailler aussi, j’ai la chance de pratiquer un emploi créatif aussi. Je n’avais pas le même discours à l’usine.
1. UTOPIE REVOLUTIONNAIRE ET TRAVAIL, 14 février 2007, 15:03
En guise de commentaire, pourquoi ne pas citer un extrait d’un bouquin qui est paru il n’y a pas très longtemps : « L’utopie est morte ! Vive l’utopie ! » (Éditions Michalon) de Denis Langlois qui aborde la question du travail avec un certain humour, mais aussi un certain réalisme ?
« Dans le Monde nouveau faudra-t-il travailler ? Non, camarades, surtout, ne protestez pas. Le problème est certes épineux et controversé dans une société où un certain nombre de gens, dont vous n’êtes assurément pas, rêvent de prendre leur retraite avant d’avoir commencé à faire quoi que ce soit. « L’Internationale » répond sans hésiter, un peu rapidement tout de même : "Ouvriers, paysans, nous sommes le grand parti des travailleurs" et, pour ceux qui n’auraient pas saisi, s’empresse d’ajouter "L’oisif ira loger ailleurs".
Heureusement, il y a travail et travail. Demain, qu’on se le dise, bosser ne sera plus une calamité humiliante, mais une fierté. La colonne vertébrale de la dignité de l’être humain, sa grandeur, sa place d’honneur dans la collectivité, son essence, son identité profonde, sa plus sûre possibilité de s’exprimer, de se réaliser, de se libérer et même de s’enthousiasmer.
Le rappel n’est assurément pas inutile. Les échecs des quelques tentatives révolutionnaires seraient venus pour une part non négligeable de la tendance naturelle, et d’ailleurs fort compréhensible, de beaucoup d’individus à se la couler douce quand ils ne sont pas obligés de trimer, quand ils ne risquent pas de perdre leur salaire ou bien simplement lorsqu’ils travaillent pour la communauté. Horreur ! on a constaté que le rendement des kolkhozes, les fermes collectives de l’ex-Union soviétique, était nettement inférieur à celui des lopins de terre individuels que chacun était autorisé à cultiver. On est plus actif lorsqu’on se penche sur son pré carré - “ma” terre - que sur le champ de tout le monde.
Même chose pour la plupart des autres emplois. On rencontre bien sûr des zélés, des boulonneurs, des turbineurs, des obsédés de la productivité et de la compétitivité qui “s’investissent” dans leur besogne, mais les mauvaises langues prétendent que c’est pour se faire bien voir, recevoir quelque gratification ou grimper dans la hiérarchie. Un travailleur serait-il donc en fait un flemmard égoïste sous le nez duquel il faut agiter une carotte ou brandir un bâton ? Le boulot ne serait-il pas inhérent au naturel humain ?
Les religions ont parfaitement compris le bénéfice qu’elles pouvaient tirer de cette constatation et c’est sans doute pour cela qu’il y a apparemment plus de croyants que de révolutionnaires. Le paradis qu’elles promettent est une maison de repos, un centre de vacances, où, après être ressuscité, on se balade dans des jardins foisonnants, on discute, on cueille des fruits toujours mûrs et des fleurs toujours écloses, on se prélasse sur l’herbe ou à la plage - le climat est remarquablement tempéré et la nature apprivoisée n’a plus rien d’inquiétant -, on écoute la mélodie universelle, on danse la salsa ou la ronde paysanne et on se délecte de mets savoureux en étant servi on ne sait d’ailleurs pas par qui, puisque apparemment personne ne travaille. La représentation la plus courante est celle du banquet où on est tous à la table “sans bouts”, Dieu et ses lieutenants présidant le gueuleton. Festoyer à la tablée du ciel.
Cela, camarades, ne peut pas être le choix du révolutionnaire, même si, la concurrence aidant, les organisateurs de paradis envisagent d’introduire, comme au Club Med, le tennis, le surf, le VTT, les balades à cheval, les jeux vidéo ou Internet. Le révolutionnaire conscient a parfaitement compris que l’homme, quelles que soient les options proposées, a vite une propension à s’ennuyer quand il a trop de loisirs. En plus, être vautré dans l’herbe ou crispé au guidon d’un vélo, ne lui semble pas être le point extrême de la fameuse dignité humaine. Seulement une façon de s’oublier et de gaspiller la vie. Un avachissement ou une suractivité effrénée. S’il doit y avoir sueur - sans aller toutefois jusqu’à la déshydratation -, c’est à un établi ou penché sur une charrue, plutôt que sur un court de tennis. L’aliénation par le loisir ou le farniente n’est pas meilleure que l’aliénation par le travail. L’essentiel, c’est de n’être aliéné par rien.
De surcroît, si l’on veut bouffer, il faut produire. Un révolutionnaire qui se respecte ne peut pas accepter l’idée certes séduisante que Dieu ou Jésus peuvent multiplier à volonté les pains et les poissons, de façon surnaturelle ou par des manipulations génétiques, ni que toutes les tâches pourront être effectuées un jour par des robots. L’homme est un animal travaillant ou, comme disent les poètes, un “roseau laborieux”. C’est à la fois son handicap et sa noblesse. Il ne néglige pas le fameux droit à la paresse, mais il ne s’y complait guère, pour ne pas s’amollir bêtement les chairs, le cerveau et le reste. C’est un paresseux actif ou bien un actif paresseux.
Il sait aussi que le progrès technique, toute cette quincaillerie sophistiquée, peut faciliter son travail et sa vie tout court, mais ne le libérera jamais. Au contraire, passé un certain seuil, il l’asservit, il le rend dépendant des aléas extérieurs et du pouvoir des spécialistes. Il le fragilise, le rend frileux, encrasse son oxygène, lui fait du stress dans le cerveau et du bruit dans les oreilles, ce qui l’empêche d’entendre la mer. Alors, le révolutionnaire conscient accepte un peu de quincaillerie dans son bureau, son atelier ou chez lui, mais pas trop, pour percevoir encore dans le lointain le cri des goélands.
“L’homme, disait Ivan Illich, grand apôtre de la “convivialité”, a besoin d’un outil avec lequel travailler, non d’un outillage perfectionné qui travaille à sa place ou l’aide à produire toujours davantage, mais lui crée de nouveaux besoins et le rend en fait contre-productif.”
Voilà, camarades, une bonne raison pour que ledit homme travaille certes, mais surtout ne se crève pas comme un damné, qu’il ne perde pas sa vie à vouloir la gagner. C’est le cas dans la société honnie qui considère le travail comme une marchandise et le travailleur comme un objet-machine devant être rentable, compétitif. Mais tout va changer. La révolution va rendre la sueur sacrée - pas trop sacrée quand même - et le labeur épanouissant. Il n’y aura plus besoin d’inciter les gens au travail, ils se précipiteront vers lui avec joie, plaisir, frénésie. Il faudra plutôt les freiner, prôner le droit à la paresse, le dilettantisme, car ils seront persuadés qu’être digne c’est bosser.
Plus de travail à la chaîne - plus de chaîne -, plus de cadences infernales, plus d’accélération du temps, plus de boulot qui vienne rompre l’harmonie entre l’être humain et la nature. Plus de concurrence - les usines, les ateliers appartiendront à la communauté - juste une saine émulation. Plus de production inutile, plus de gadgets délirants que l’on achète en fabriquant des gadgets délirants que les autres achèteront, plus de grêles d’objets qui encombrent les tiroirs et la vie, avant d’engorger les décharges publiques, seulement ce qui est nécessaire aux besoins individuels et collectifs.
Un peu de superflu quand même. Du frivole, de la musardise. Du luxe luxurieux, le seul qui soit acceptable. En tout cas, pas d’armes. A la rigueur des couteaux à bouts ronds pour couper le pain qui lui aussi est rond. Le travail élevé au rang des Beaux-Arts, réconcilié avec l’art. Régénéré. L’artisan devenu artiste et l’artiste artisan.
Plus de spécialisation, plus de cloisonnement, plus de fragmentation du travail et de la vie en général. C’est le contraire de l’utopie qui, elle, embrasse la totalité de l’existence. Chacun à tour de rôle sera capable de faire à peu près tout, un polyvalent multiforme, un autonome prêt à l’envol, ce qui évitera que certains, sous couvert de savoir faire des choses plus compliquées et surtout plus intellectuelles que les autres, s’arrogent insidieusement du pouvoir et des privilèges.
Le travail ne sera plus un marchepied, un tremplin de carrière pour parvenir à des sommets qui d’ailleurs n’existeront plus. Pas question de recréer la catégorie des directeurs, des technocrates, des experts. Pas question de reconstituer à leurs ordres un prolétariat. Ni bien sûr - oh ! effroi ! - de retrouver des patrons propriétaires et des ouvriers ne possédant rien en dehors de leur force de travail.
Tous, théoriciens et praticiens, créateurs et exécutants, co-propriétaires et auto-gestionnaires, hommes et femmes enfin égaux enfin égales, main dans la main. Le rabibochage général et total.
Mais qui dit travail dit éducation et formation. Là aussi, ce sera l’affaire de tous. Chacun à son tour sera enseignant et formateur, développeur d’intérêts, susciteur de curiosités, enflammeur de vocations, découvreur de perspectives, lecteur entre les lignes, distributeur d’espérance. Il apprendra aux autres, à tous ceux qui le voudront, ce qu’il sait, sans ironie, sans esprit de supériorité ou de rivalité. "J’en connais aujourd’hui un peu plus que toi, mais demain tu en connaîtras autant que moi." Ceux qui ne connaissent rien ou pas grand chose ne seront pas vexés. Au contraire, ils se réjouiront d’avoir la chance de pouvoir apprendre plus de choses que les autres.
Les connaissances livresques ne seront plus prises pour argent comptant - qui croira qu’un livre, même un livre sur l’utopie, peut remplacer une présence vivante ? -, mais corroborées par l’expérience de la réalité, de l’aventure, du risque et pourquoi pas du hasard et de l’ignorance passée. Plus d’idées toutes faites. L’esprit critique sera développé comme matière à part entière. Le système - mais quel système ? - se réjouira d’être contesté. Bref, on ira aux cours dans la joie et dans l’euphorie. On n’apprendra plus bêtement et servilement un métier, mais l’art d’être libre, autonome, et de se dépasser dans le travail.
Non, camarades, je vous en prie, ne me demandez pas comment tout cela peut fonctionner. Je vous sers simplement le plat de l’utopie révolutionnaire, de surcroît celui de “L’Internationale” et du XIXe siècle lorsque le travail était sacré.
Vous trouvez que la cuisine est corsée, bourrative, un peu trop assaisonnée de poncifs et de lieux communs. C’est vrai, mais je ne suis pas chargé du service après-vente. S’il y a des pierres dans les lentilles ou des asticots dans le fromage, triez, écartez, et dites-vous que la révolution est certes une perfection, mais pas une perfection totale. Une perfection perfectible. Il faut bien laisser quelques points infimes à améliorer, pour satisfaire les esprits inventifs, c’est-à-dire tout le monde. »
(extrait de "L’Utopie est morte ! Vive l’utopie !" de Denis Langlois,
Éditions Michalon, 2005.)
transmis par Bakounina.