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Un « bouclier » contre l’Europe

Publie le jeudi 5 avril 2007 par Open-Publishing

de Fosco Giannini traduit de l’italien par karl&rosa

Tandis que, grâce à la présidence allemande, le débat sur l’avenir politique de l’Union Européenne après le rejet par la France et les Pays Bas du brouillon de Traité constitutionnel semble récupérer sa vitalité, la décision, presque contemporaine, des gouvernements polonais et tchèque d’ouvrir des négociations bilatérales avec les Etats-Unis pour l’installation d’un système antimissile dans leurs pays respectifs (le « bouclier », avec un radar dans les environs de Prague et des rampes de missiles en Pologne), ne risque pas seulement de diviser davantage l’UE elle-même, mais aussi d’accroître les tensions sur tout l’échiquier international.

Au-delà de la rhétorique et des déclarations de propagande – des éléments qui ont caractérisé les récentes célébrations de Berlin à l’occasion du cinquantenaire -, l’UE, pourtant de plus en plus étendue territorialement, semble aussi de plus en plus faible sur le plan politique et de plus en plus une « terre de conquête » (surtout, mais pas seulement, à l’Est) pour Washington.

Si le processus d’intégration européenne, sur une base rigidement libérale, a ouvert d’un côté des contradictions déchirantes et provoqué des désillusions chez les nouveaux Etats membres, de l’autre la « nouvelle Europe » baptisée par Rumsfeld à la veille de l’agression à l’Irak, en 2003, frappe à nouveau un coup et la « vieille » Europe se réveille des célébrations, encore une fois, plus faible et victime de ses propres logiques néolibérales et de guerre.

Incapable d’élaborer une propre politique étrangère et de défense qui tienne compte de ce qui sont ses intérêts politiques et stratégiques réels, largement différents de ceux d’outre Atlantique : à commencer, disons, par les approvisionnements énergétiques et des relations de bon voisinage non seulement avec la Russie mais aussi avec les pays du bassin méditerranéen. Elle maintient, au contraire, la ligne dure contre l’Iran, le nouvel ennemi des « amis » et un silence assourdissant sur les évènements de Somalie, pour ne se limiter qu’à quelques exemples récents. On pourrait ainsi rappeler les « vols secrets » de la CIA, si nous voulions faire un petit pas en arrière, ou la demande de nouvelles bases – en commençant par Vicence - . Si l’UE risque, encore une fois, d’agir contre ses propres intérêts, la Russie ne semble pas disposée à subir passivement les décisions du trio « Washington – Prague – Varsovie ».

Après avoir récupéré, dans une large mesure et non sans contradictions, une dimension autonome dans l’échiquier international (Ukraine, Géorgie, Kosovo, Iran et Moyen Orient), Moscou se sent, justement, la véritable « cible » du bouclier. Aussi parce que les gouvernements et les classes dirigeantes de différents pays de l’ex Pacte de Varsovie – violemment antirusses – n’en font pas mystère, en commençant par la Pologne et les Républiques Baltiques. Le « bouclier » n’est pas dirigé – comme le soutiennent les justifications officielles – contre les menaces potentielles en provenance de l’Iran – , mais essentiellement contre Moscou et ses tentatives de récupérer du prestige au sein de ce qui reste l’espace post-soviétique. Une sorte de « barrière » contre une Asie de plus en plus instable et dans une phase de croissance, une sorte de protection contre un nouvel Attila ou un nouveau Gengis Khan.

Moscou ne peut donc pas ne pas se sentir menacé et possède le potentiel pour réagir, tandis que le monde rentre dans la spirale de la course au réarmement, comme le démontre aussi la dernière loi des finances du gouvernement Prodi. On ne peut pas faire appel au Traité de Non Prolifération seulement quand on raisonne autour du nucléaire iranien ou de quelques autres pays « agréés », en concédant aux USA une course au réarmement unilatéral, en faisant semblant de ne pas savoir qu’un tel Traité faisait part d’un plan plus général de démilitarisation concordé avec des garanties précises de désarmement réciproque par les deux grandes puissances de l’époque, USA et URSS. Ce n’est que sur ces bases « multilatérales » que le Traité peut exister et avoir un avenir, tandis que le « bouclier » - beaucoup plus que le nucléaire iranien pour un usage civil – frappe au cœur la politique de désarmement et de dénucléarisation.

Mais, contrairement à d’autres fois, la décision des Etats-Unis, de la Pologne et de la République Tchèque d’ouvrir des négociations bilatérales a suscité des réactions dures non seulement de la part des forces communistes et d’alternative, mais aussi de différentes forces social-démocrates. Des réactions qui démontrent une difficulté grandissante dans la gestion globale des relations euro atlantiques. Cinq eurodéputés du Parti Social-démocrate Tchèque ont demandé l’intervention de Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des Représentants, tandis que même le secrétaire de la SPD allemande, Kurt Beck, s’est déclaré décidément contre l’hypothèse d’installer un système antimissile au cœur de l’Europe, ouvrant d’évidentes contradictions à l’intérieur du gouvernement de « grande coalition » dirigé par Angela Merkel. En Italie, au contraire, le silence est total, ou presque.

Si ce n’est qu’on découvre ensuite que le gouvernement Prodi, après la décision de concéder aux Etats-Unis la plus grande base militaire en Europe, a « silencieusement » souscrit un mémorandum cadre avec les Etats-Unis pour faire partie du « bouclier », sans aucun débat ni à l’intérieur ni à l’extérieur du Parlement et en profitant du silence des forces de gauche. Il reste à se demander si cette politique peut être considérée, au-delà de la propagande, comme une politique étrangère autonome ou, si non autonome, du moins européiste, tandis que l’unique élément qui émerge des faits est la subalternité de plus en plus grande de l’exécutif aux demandes venant des Etats-Unis et de l’OTAN, de Vicence à l’Afghanistan, en passant par le « bouclier ».

Pourquoi ne pas unir les forces, à gauche, contre cette nouvelle menace qui plane sur l’Europe et directement sur notre pays, en en dénonçant la dangerosité et en relançant ainsi une réelle « autonomie » de notre pays par rapport aux USA et à l’OTAN ? Pourquoi attendre davantage, sans réussir à donner une contribution à une lutte, apparemment distante des intérêts matériels des masses populaires, mais décisive pour notre avenir à tous ?

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