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Un chercheur trop "islamophile" sanctionné ?

Publie le mardi 9 juin 2009 par Open-Publishing
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Est-ce parce qu’il a publié un ouvrage polémique sur La nouvelle islamophobie, que Vincent Geisser, chercheur au CNRS, fait l’objet d’une procédure disciplinaire ? Le 29 juin, ce politologue à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam) d’Aix-en-Provence est convoqué devant la « commission administrative paritaire » du CNRS pour « manquement grave » à « l’obligation de réserve à laquelle (il) est tenu en tant que fonctionnaire ».

Que lui reproche-t-on exactement ? « Des propos tenus à l’encontre de Monsieur Joseph Illand, fonctionnaire de sécurité défense du CNRS », peut-on lire dans la convocation.

Vincent Geisser date le début de ses ennuis à septembre 2004. « C’est là que se manifeste pour la première fois le fonctionnaire sécurité de défense (FD) du CNRS, raconte-t-il. Avant cette date, je ne connaissais même pas son existence ».
Selon sa collègue Françoise Lorcerie, qui travaille dans le même labo que lui, « les premières manifestations de ce fonctionnaire datent de quelques années ». « On a essayé de se renseigner, raconte-t-elle, il semble qu’il ait le grade de général, mais on ne sait pas quelles sont ses prérogatives, ni ce qu’il fait au CNRS, ni en quoi il est qualifié pour valider nos travaux ».

De son bureau su siège du CNRS, Joseph Iland a un droit de regard sur les travaux des chercheurs. « Quand on part en mission à l’étranger dans des pays sensibles, on est obligés de lui communiquer nos plans de mission : qui on va rencontrer, où on va loger,poursuit Françoise Lorcerie. Et on doit avoir son autorisation pour partir ».
En septembre 2004, Vincent Geisser débute une recherche sur les « chercheurs maghrébins ou d’origine maghrébine travaillant pour les institutions publiques françaises (université, CNRS et INSERM…) ». « Il s’agissait pour mon équipe de faire une évaluation scientifique rigoureuse de la contribution des “chercheurs et des universitaires maghrébins" au rayonnement de la recherche française dans le monde », explique-t-il. Signe de son intérêt, ce projet sera financé par le CNRS à hauteur de 20 000 euros.

Vincent Geisser est un intellectuel engagé. Son livre sur La nouvelle islamophobie lui a valu des critiques. Sa proximité avec des musulmans fondamentalistes lui vaut d’être taxé, comme sur le site atheisme.org, « obsession islamophile » voire d’avoir« caressé les barbus dans le sens du poil ».

A partir de septembre 2004, il se plaint d’une « surveillance étroite de la part du fonctionnaire défense du CNRS ». Selon lui, l’un de ses collègues du Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences-Po) a même consulté par le ministère de la Défense sur le « risque » que ses travaux ne cachent la constitution d’un « lobby arabo-musulman » au sein du CNRS.

Dans un mail privé, Vincent Geisser comparera alors « l’action sécuritaire du FD aux méthodes utilisées contre les Juifs et les Justes » pendant la seconde guerre mondiale. C’est ce qui lui vaut d’être convoqué devant les instances disciplinaires du CNRS.

Hier, cette affaire a commencé à agiter le Landerneau universitaire. Un collectif rassemblant la fine fleur des chercheurs en sciences humaines (voir la liste ci-dessous) a envoyé à Valérie Pécresse une lettre ouverte de protestation contre ce qu’ils qualifient d’« atteinte à liberté de pensée et d’expression ». Ses collègues de l’Iremam préparent une motion de soutien qui sera envoyée aux membres de la commission chargés de statuer sur son sort. Et une pétition publique devrait être lancée.

COMITÉ DE LANCEMENT

Jean-Christophe ATTIAS, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, Etienne BALIBAR, professeur émérite à l’Université de Paris 10, Nanterre, Nicolas BANCEL, professeur à l’Université de Strasbourg, détaché à l’Université de Lausanne, Jean BAUBEROT, professeur émérite de la chaire Histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), Esther BENBASSA, directrice d’études à l’EPHE, Daniel BENSAID, professeur de philosophie à l’Université de Paris 8, Pascal BONIFACE, géopolitologue, Université de Paris 8, Marie-Françoise COUREL, directrice d’études à l’EPHE, présidente honoraire de l’EPHE, ancienne directrice scientifique du département SHS du CNRS, Denis CROUZET, professeur à l’Université Paris-Sorbonne (Paris 4), Alain DE LIBERA, professeur d’histoire de la philosophie médiévale à l’Université de Genève, directeur d’études à l’EPHE, Christine DELPHY, directrice de recherche émérite au CNRS, Éric FASSIN, enseignant-chercheur à l’École Normale Supérieure, Nacira GUENIF, sociologue, maître de conférences à l’Université Paris Nord, Edgar MORIN, directeur de recherche émérite au CNRS, Laurent MUCCHIELLI, directeur de recherche au CNRS, Denis PESCHANSKY, directeur de recherche au CNRS, ancien directeur adjoint du département SHS du CNRS, Roshdi RASHED, directeur de recherche émérite au CNRS, professeur honoraire à l’Université de Tokyo, Olivier ROY, directeur de recherche au CNRS, Vincent TIBERJ, chercheur au Centre d’Etudes Européennes de Sciences Po et maître de conférence à Sciences Po, Tzvetan TODOROV, directeur de recherche honoraire au CNRS, Jérôme VALLUY, enseignant-chercheur, science politique, Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1, CRPS, TERRA)

http://immigration.blogs.liberation.fr/coroller/2009/06/trop-islamophile-un-chercheur-sanctionn%C3%A9.html

Messages

  • Objet : De la part d’E. Benbassa. Texte du Comité de soutien à V. Geisser, convoqué devant une commission de discipline du CNRS

    LETTRE OUVERTE A MME VALERIE PECRESSE, MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE

    L’influence des savants et des intellectuels est certes quelque peu en déclin dans notre nouveau modèle de société. Chercheurs, universitaires et intellectuels n’en continuent pas moins de creuser leur sillon, faisant fi du bruit et de la fureur extérieurs. Ce qui ne signifie pas qu’ils vivent dans des bulles hors du monde. Au contraire, ils sont plus investis que jamais dans la mission qui est la leur : contribuer avec d’autres à apporter à leurs concitoyens cet élément de pensée critique indispensable à la préservation de la démocratie. Grâce aux réseaux qu’ils tissent par la circulation de leur pensée et de leur parole, au-delà des préjugés, des mythes ou des frayeurs en vogue et de leur instrumentalisation, ils n’ont de cesse d’agir au nom de la liberté et de l’impartialité, quelles que puissent être par ailleurs leurs éventuelles appartenances religieuses ou affinités politiques. Nos sociétés, trop souvent soumises aux diktats des médias et de l’internet, ont besoin de cette parole libre, au seul service des principes de la démocratie, évoluant sans entraves et produisant du savoir, de la connaissance et de la réflexion. Il se trouve que dans notre pays la majorité des intellectuels appartient à la fonction publique, ce qui ne signifie pas qu’ils soient de quelque façon inféodés à des institutions ou au pouvoir politique, même s’il existe certes parmi eux des intellectuels organiques. Si la liberté est nécessaire pour penser et écrire, il va de soi que l’obligation de réserve qui s’applique en général à certaines catégories de fonctionnaires ne peut aucunement s’appliquer à leur cas, sauf à n’attendre d’eux que la reproduction d’une doctrine officielle et stérile. Aujourd’hui, la convocation devant une commission disciplinaire, de notre collègue Vincent Geisser, chercheur au CNRS, accusé ne n’avoir pas respecté cette « obligation », constitue un signe supplémentaire et particulièrement alarmant de l’idée que les institutions de notre pays semblent désormais se faire de notre rôle. Devrons-nous donc soumettre nos articles, nos livres, nos prises de position publiques à l’approbation de leur censure, alors qu’aucune consigne ne devrait émaner d’elles si ce n’est celle de la rigueur intellectuelle et de la créativité qui accompagne toute recherche ? Quels compromis honteux devrons-nous accepter pour échapper à l’humiliation d’un conseil de discipline ? La France, pays des droits de l’homme et de la liberté d’expression, est-elle en train de perdre son âme ? Comment continuer à faire notre travail, à assumer pleinement notre vocation, sous la menace constante de la sanction ? Que sommes-nous ? De simples courroies de transmission des idées qui ont l’agrément de nos dirigeants et des institutions qui nous emploient, ou des hommes et des femmes autonomes exerçant leur métier librement, en toute responsabilité, en toute honnêteté, et au service d’une recherche, d’une pensée et d’un savoir libres de tout carcan idéologique, n’ayant d’autre limite que la considération du bien commun ? L’obligation de réserve ne peut en aucun cas valoir pour les intellectuels, y compris lorsqu’ils sont fonctionnaires. Les y soumettre revient purement et simplement à les faire disparaître comme intellectuels, c’est ruiner la liberté dont ils ont besoin pour continuer leur œuvre salutaire, indispensable à la vie normale d’un pays politiquement sain, et qui a besoin d’eux pour son équilibre. Ce qui arrive à notre collègue Vincent Geisser, qui a le malheur de travailler sur l’islam, sujet brûlant s’il en est, est d’une extrême gravité et interpelle tous les citoyens de ce pays. Le traitement indigne auquel il est soumis est une honte pour la profession et pour la France.
    COLLECTIF POUR LA SAUVEGARDE DE LA LIBERTE INTELLECTUELLE DES CHERCHEURS ET ENSEIGNANTS-CHERCHEURS DE LA FONCTION PUBLIQUE