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Un massacre au Burundi menace les processus de paix dans les Grands Lacs
Publie le mardi 17 août 2004 par Open-Publishingde Jean-Philippe Rémy
L’attaque contre un camp de réfugiés banyamulenges pourrait servir de prétexte à une reprise des hostilités.
Après plus de 48 heures passées à tenter d’identifier leurs proches et à réunir suffisamment de cercueils pour les inhumer "dans la dignité", les rescapés de l’attaque du camp de Gatumba, au Burundi, devaient enterrer solennellement leurs morts, lundi 16 août dans l’après-midi. La difficulté à mettre un nom sur de nombreux corps calcinés au milieu des tentes dévastées par le feu indique assez l’intensité du raid meurtrier de vendredi soir sur la population de réfugiés en provenance de République démocratique du Congo (RDC) voisine.
Même à l’échelle d’un pays martyr, le Burundi, où le bilan de onze années de guerre civile se monte à plus de 300 000 morts, le carnage de Gatumba, avec ses 159 victimes et sa centaine de blessés, selon un bilan provisoire, a créé un choc, et a été condamné dimanche soir par le Conseil de sécurité des Nations unies, dont le secrétaire général, Kofi Annan, s’est dit "scandalisé".
L’attaque, menée par un groupe d’une centaine d’hommes en armes qui a fait irruption dans ce camp de réfugiés banyamulenges (Tutsis rwandophones du Congo) a été "très bien préparée, puis exécutée avec une efficacité et une rapidité inhabituelles", relève une source bien informée. Venus du Congo voisin, les assaillants ont emprunté un gué proche de la sucrerie en ruines de Kiliba pour passer la rivière Ruzizi, frontière entre les deux pays, itinéraire familier des rebelles hutus burundais, qui ont leurs bases arrière en RDC.
Parvenus aux abords de Gatumba, les attaquants se sont partagés en deux groupes, le premier attaquant et neutralisant une position de militaires burundais, tandis que le second s’attaquait aux réfugiés en ouvrant un feu nourri à la Kalachnikov, comme en témoignent les masses de douilles retrouvées dans les décombres du camp, et en lançant des grenades sur les tentes, provoquant des incendies qui ont alourdi le bilan du carnage. Les victimes, dans leur écrasante majorité, sont des Banyamulenges. Des réfugiés d’autres ethnies congolaises, installés à proximité, ont été épargnés.
ÉQUATION À PLUSIEURS VARIABLES
L’attaque peut-elle être, en conséquence, assimilée à la "partie d’un plan génocidaire qui existe dans la région", comme l’a affirmé Richard Sezibera, émissaire du président rwandais Paul Kagamé pour la région des Grands Lacs (RDC, Burundi, Rwanda) ? Pour le savoir, il faudra d’abord déterminer avec précision l’identité des assaillants et leurs motivations. Quelques heures après l’attaque, celle-ci a bien été revendiquée par le dernier groupe de rebelles hutus burundais en guerre contre les autorités de Bujumbura, les Forces nationales de libération (FNL). Mais les FNL, harcelées depuis des mois par l’armée burundaise, sont "à genoux", selon un responsable des Nations unies, et "loin de pouvoir organiser une telle opération", capables, "tout au plus, de se greffer dessus".
La "coalition de divers éléments venant de RDC" qui aurait mené l’attaque, selon le chef de l’Etat burundais Domitien Ndayizeye, pourrait, selon les premières conclusions de l’enquête des Nations unies, inclure des rebelles rwandais dont le noyau est constitué de Hutus impliqués dans le génocide des Tutsis de 1994, mais aussi de miliciens traditionnels maï-maï congolais, tous reconnus à leurs langues respectives.
Ces derniers, alliés au pouvoir de Kinshasa depuis le début des guerres du Congo en 1998, combattent les Banyamulenges, généralement alliés du Rwanda voisin. Dans l’équation à plusieurs variables de la guerre au Congo, qui couve toujours à l’Est, les Banyamulenges sont victimes de tueries, mais aussi de manipulations. En mai, un groupe d’officiers banyamulenges, s’abritant derrière une menace de "génocide", dont les Nations unies ont affirmé qu’elle était, alors, sans substance, ont tenté de relancer dans l’Est une nouvelle rébellion avec l’appui du Rwanda. Leur mouvement a échoué, provoquant l’exode de Banyamulenges vers le Burundi.
Depuis, les relations entre communautés sont tendues et dans ce contexte le massacre de Gatumba menace, au-delà des motifs de ses auteurs, de servir de prétexte à une reprise des hostilités, aussi bien pour les extrémistes congolais de tout bord que pour le Rwanda, qui a régulièrement menacé d’intervenir à nouveau au Congo pour défendre les Banyamulenges. "Les conséquences politiques du massacre de Gatumba risquent d’être catastrophiques", analyse une source de l’ONU, qui ajoute avec inquiétude : "A Kinshasa, la transition est en situation de rupture."
Azarias Ruberwa, vice-président congolais issu de l’ex-rébellion de l’Est, se trouvait à Gatumba dans l’après-midi de vendredi pour tenter de convaincre les Banyamulenges - dont il fait lui-même partie - de rentrer au Congo. Il a quitté le camp à 15 heures. A 22 heures, le commando attaquait Gatumba. Le Burundi est lui aussi menacé de déstabilisation par le massacre, qui risque de tendre les relations entre Hutus et Tutsis dans le pays.
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