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Un tout petit KO social

Publie le jeudi 29 avril 2004 par Open-Publishing

Le Collectif des Libertaires de Bourges a été très tôt contacté pour
participer à l’organisation du KO Social du 23 avril.Après ceux de Lyon
et Paris, la perspective d’une telle initiative dans notre ville nous a
immédiatement enthousiasmés.Mais notre motivation a bien vite disparu,
remplacée par de nombreuses interrogations, puis par une profonde
déception.

Les initiateurs du KO le présentent comme un outil de convergence qui se
met au service des luttes. Aujourd’hui nous pensons exactement le
contraire : qu’il est nuisible au mouvement social, qu’il en est son
parasite.

Nous avons donc décidé de quitter l’organisation du KO social et
choisissons de rendre public les raisons de ce départ. Après Bourges, la
tournée nationale du KO va se poursuivre à Toulouse et Marseille. Ce
texte est écrit dans l’espoir que nos camarades des futures villes
visitées perdent moins leur temps que nous...

Une assurance sans frais contre les grèves ?

La première question qui nous a troublé tient bien évidemment au fait
que le KO social se déroule dans les murs du Printemps de Bourges. Dans
les murs, c’est-à-dire que la salle de concert est gracieusement offerte
par le festival. Or le contexte dans lequel se déroule le Printemps est
un peu particulier cette année, faut-il le rappeler : l’été dernier un
mouvement des intermittents particulièrement dur a eu pour conséquence
l’annulation de bon nombre de festivals réputés. Colling, le directeur
du Printemps, bien tranquille à ce moment-là, s’était surtout montré
solidaire de ses collègues patrons d’industrie du spectacle. Depuis, le
calendrier étant ce qu’il est, Colling est rattrapé par le conflit et le
voilà un peu obligé de se montrer de « gauche ». Il se démène comme un
beau diable pour tuer dans l’oeuf toute velléité de grève : un édito
démago imprimé sur les programmes ; pendant le festival des forums de
discussion sur l’avenir de la culture... et un KO social ! Certes, les
organisateurs du KO ne peuvent être tenus pour responsables des
manoeuvres de Colling. Mais quand on se prétend social, le minimum
aurait été de veiller à ne pas être utilisé comme étouffoir d’un réel
mouvement social...

De plus, comment comprendre le mutisme des artistes qui n’ont pas
prononcé une phrase politique sur scène lors des précédents KO ? Ce
silence est d’autant plus gênant que ce sont les musiciens qui sont
seuls légitimes sur scène et qu’eux seuls peuvent légitimer la parole
des militants. Ont-ils vraiment envie d’être là, ont-ils vraiment envie
d’ouvrir leur gueule, ces artistes dont les concerts se déroulent si
souvent au Zénith (dont Colling est propriétaire) ?

Le KO social® comme privatisation de la contestation sociale

Mais au-delà de ce contexte très particulier à Bourges, le KO social
montre un certain nombre de permanences.

Il est « vendu » comme un programme « clé en main ». Son déroulement est
supposé inamovible, non négociable par les organisations locales.
Rappelons le principe : il y a une manifestation « no logo » (parce que
ça plait davantage aux journalistes) ; et puis il y a un concert
entrelardé d’interventions politiques de 4 à 5 minutes maximum ; et puis
il y a des stands. Et puis voilà. C’est comme ça et pas autrement. La
marque « KO social » est déposée à l’INPI, on ne fait pas n’importe quoi
avec. La liberté de l’association lambda de Bourges, dans tout ça ? Elle
peut choisir le thème sur lequel elle va intervenir pendant le concert.
Merci chef. Tout le reste - TOUT LE RESTE ! - est décidé ailleurs. En
l’occurrence dans les bureaux de Chamboultou, l’antenne associative des
Têtes Raides. Combien de fois nous ont-ils mis devant le fait accompli ?
Combien de fois nous ont-ils mené en bateau ? La démocratie, ça fait
perdre du temps à tout le monde, c’est bien connu. Un tel
fonctionnement, c’est question d’être plus efficace, sans doute ?

C’est plus confortable aussi. Votre bonheur de militant est proche,
pourvu que vous ne soyez pas trop exigeant. Enfin une initiative où vous
allez avoir une bonne couverture médiatique (c’est avec ça qu’on achète
à peu près n’importe qui, de nos jours) sans avoir rien à faire. Mais le
prix à payer pour ce confort de militant est élevé, très élevé. Oui,
vous n’aurez pas à assumer toutes ces corvées fastidieuses qui sont le
lot commun de l’activiste d’antan. Vous ne risquerez pas de prendre des
coups dans le service d’ordre : des vigiles professionnels se chargeront
de votre sécurité. Vous n’aurez pas à fabriquer des banderoles et des
pancartes, ni même à imaginer des slogans : de gentils animateurs se
chargeront de vous fournir de beaux panneaux pleins de slogans
insignifiants capables de plaire au plus grand nombre (c’est la loi du
marché). Vous n’aurez pas à nettoyer la salle de spectacle après le
concert : il faut que le travail soit professionnel et donc assumé par
les esclaves modernes des sociétés de nettoyage (de quoi y se plaignent

 : ils ont du travail). Vous n’aurez pas à décharger des camions : vous

n’allez pas vous lever à six heures du matin, non plus. Vous n’aurez pas
davantage à trouver un contenu politique à votre initiative : la musique
en tiendra lieu. Toutes ces tâches militantes, vous les avez confiées au
privé. Le KO social, c’est la privatisation de la contestation.

Moins social que le Conseil Régional !

Le patron libéral sait se servir de l’État quand il a besoin d’argent
public pour soutenir ses activités. Le KO social a tellement repris à
son compte la culture de l’entrepreneur privé que lui aussi utilise le
public comme une pompe à fric...

Payer des vigiles, des femmes de ménage, des fabricants de banderoles,
etc., ça coûte cher. Ce prix, c’est le public du KO social qui va le
payer : 10 euros la place. Les précaires et les chômeurs devront payer
le même prix. Si le KO social leur proposait la gratuité ou un tarif
réduit, il risquerait d’être déficitaire. Aussi le KO social ne fait pas
de tarifs réduits. Un moyen pour y arriver aurait consisté à faire des
économies. Les différentes propositions qui ont été faites - par nous ou
par d’autres - pour réduire les dépenses ont toutes été refusées. Avec
des arguments plus ou moins convaincants. Conséquence logique : si on
tient absolument à avoir des places à tarif réduit, la seule solution
est alors de faire appel à des subventions du Conseil Régional. Une
pompe à fric d’autant plus commode qu’elle est à « gauche »... Une
demande a été prestement envoyée. Le Conseil Régional a donné son accord

 : pour une faible dépense, il remporte un joli bénéfice symbolique.

Mendier quelques sous pour les plus démunis à des crapules qui par leurs
politiques organisent la précarité et la casse des systèmes sociaux ?
Autant vous dire que nous ne sommes pas vraiment d’accord.

Résurrection du mythe de l’Unité

Pour le reste, flotte un vague parfum d’opportunisme sur le KO social.
Après le succès du rassemblement sur le Larzac, la formule « concerts +
politique » fait des émules. C’est à la mode, les bobos sont séduits,
autant en profiter. Mais la place qui est donnée à l’expression
politique au sein du concert est à peine celle d’un interlude
publicitaire. Ici, ce ne sont pas les artistes qui se mettent au service
de la contestation, mais la contestation qui se met au service de la
promotion commerciale des artistes. Que le contenu politique ne suive
pas serait donc finalement de bien peu d’importance. Et le KO social de
Bourges, par rapport à ses précédentes éditions, fait un pas
supplémentaire vers le néant politique. A Paris, la manif était « no
logo » et les interventions sur scène étaient le résultat d’un consensus
forcément niveleur. A Bourges, en plus, les stands des organisations
disparaissent pour être remplacés par des stands « thématiques » sur
lesquels vont se ménager les militants de la chèvre et les militants du
chou dans un bel esprit unitaire.

Nous ne croyons pas à l’unité faite au forceps. Nous lui préférons des
convergences au cas par cas, réalisées dans les luttes et sur les
pratiques de terrain. L’unité telle que le conçoit le KO social revient
à rechercher le plus petit dénominateur commun entre nous, à nous
demander de noyer nos spécificités de libertaires dans l’océan des
similitudes des sociodémocrates recyclés. A nous demander de fermer nos
gueules et de diffuser leurs messages.

Pour cette raison, nous avons eu l’affront de réclamer un retour aux
stands par organisation et un vote sur cette question. Nous voulions un
stand libertaire. Cette requête était bien modeste mais a déchaîné une
agressivité impressionnante. Que ne nous a-t-on pas dit ? Nous étions
des récupérateurs, nous essayions de tirer la couverture à nous, nous
masturbions des pachydermes laineux, etc. La réaction était d’autant
plus disproportionnée qu’elle émanait de gens qui n’avaient qu’une
aspiration : bien figurer le 23 avril devant les caméras de télévision.

Les suspicions et la violence verbale qui ont eu cours à notre égard au
moment de cette discussion ont définitivement réglé la question. Nous
n’avions nul besoin de mendier les miettes de ce banquet. Le banquet
d’une social-démocratie post-moderne qui a adopté petit à petit les
valeurs de ses ennemis traditionnels, qui croit au marché librement
vertueux, à la réduction des charges sociales et à la nécessité de la
réforme des retraites, qui estime que le jeune « arabo-musulman » est
décidément inassimilable et que le sécuritaire n’est pas forcément une
notion droitière. Les militants de base nous trouveront certainement
injustes. C’est vrai. Individuellement, ils ne défendent pas ces
positions. Mais collectivement, ils portent au pouvoir ces politiques.
Ils les servent. Parce que « c’est quand même pas pareil que la droite
 ». Pourtant, cette « gauche » de pouvoir n’a plus rien à dire.

Son seul
souci est de gagner des élections, de prendre des places. Rien
d’étonnant à ce que cette insignifiance idéologique se dissimule
désormais derrière le spectacle donné par de talentueux groupes de
musique. Il faudrait lire ou relire La société du spectacle de Debord
pour bien se convaincre de la parfaite intégration et de la totale
innocuité de cette soi-disant contestation sociale. Cette « gauche » est
notre ennemie et ses luttes ne sont pas les nôtres. Définitivement.

le Collectif des Libertaires de Bourges