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Une vidéo pirate relance le débat sur la torture en Egypte
Publie le samedi 13 janvier 2007 par Open-PublishingUne vidéo pirate relance le débat sur la torture en Egypte
Postée sur le blog d’un journaliste elle a conduit un journal indépendant à enquêter et a abouti à l’arrestation de deux policiers • Le jeune homme torturé a lui été envoyé en prison… •
Par Claude GUIBAL
LIBERATION.FR : vendredi 12 janvier 2007
Le Caire, de notre correspondant
Sur un sol sale carrelé de blanc, un homme rugit de souffrance. « Pacha (1), pacha, je suis désolé », pleure-t-il à l’adresse d’un interlocuteur invisible. La caméra – celle d’un téléphone portable – s’approche de son visage décomposé par la douleur, puis s’écarte un peu. L’homme se tord, il a les mains liées, le pantalon baissé, ses jambes sont maintenues relevées. On entend des voix se moquer de lui, puis de nouveau, ses cris, alors qu’un bâton est enfoncé dans son anus.
L’homme, on le sait désormais, s’appelle Emad al-Kabir. En janvier 2006, ce chauffeur de microbus, âgé de 21 ans, avait été arrêté, puis relâché sans charges, après s’être interposé lors d’une rixe entre des policiers et un membre de sa famille. Mais lors de cette arrestation, Emad al-Kabir aurait été torturé dans les locaux d’un commissariat du Caire par des officiers de police, comme le montre cette vidéo qui circule depuis quelques semaines sur les blogs égyptiens.
Un cas de torture « classique », à en croire les innombrables rapports publiés sur le sujet depuis plusieurs années par les associations des droits de l’Homme, égyptiennes et internationales. En 2004, Human Rights Watch avait noté que la torture en Egypte, jadis essentiellement pratiquée sur les islamistes soupçonnés d’appartenance aux organisations terroristes, était désormais quasi systématiquement utilisée contre de simples citoyens suspectés de crimes ou de délits, ou en tant que moyen de pression afin d’obtenir des informations sur un proche. Pour les seuls mois de septembre à novembre 2003, les associations égyptiennes des droits de l’homme avaient ainsi dénoncé quatre décès lors de gardes à vue musclées.
Les images d’Emad al-Kabir torturé, tout d’abord diffusées par le journaliste et blogueur égyptien Wael Abbas sur son site (2), ont révolté le quotidien indépendant Al-Fagr, qui a mené une difficile enquête pour retracer l’historique de cette vidéo, identifier et retrouver Emad al-Kabir, afin de lui faire confirmer les faits.
Terrorisé, le jeune homme a longuement hésité avant d’accepter de témoigner et de porter plainte. Selon Human Rights Watch, il aurait par la suite reçu des appels anonymes le menaçant, ainsi que sa famille, de représailles s’il persistait dans sa plainte. La médiatisation de l’affaire par la presse indépendante et les télévisions satellitaires a obligé les autorités égyptiennes à mener leur propre enquête.
Les deux officiers désignés par Al-Fagr comme auteurs des tortures, Islam Nabih et Reda Fathi, ont été arrêtés. Ils devraient être jugés pour torture le 3 mars. Une maigre consolation pour les défenseurs des droits de l’Homme, puisque Emad al-Kabir, contre lequel aucune charge n’avait été retenue à l’origine, a de son côté été envoyé mercredi 10 janvier en prison pour trois mois pour avoir « fait obstacle aux autorités ». Stupéfait par ce verdict et craignant le pire pour son client, son avocat a prévenu qu’il tenait « le ministère de l’intérieur pour responsable de sa sécurité ».
« Cette décision est scandaleuse, s’emporte Wael Abbas. Le message est clair : celui qui ose dénoncer la torture en paiera le prix. » Le cyberactiviste, âgé de 32 ans, est désormais dans le collimateur des autorités. Il avoue qu’il n’imaginait pas que les auteurs de ces actes de torture soient poursuivis. « J’essaie simplement de réveiller la conscience des gens », dit-il, en ajoutant : « C’est une lourde responsabilité, et je risque d’en subir les conséquences. »
Ces derniers jours, d’autres vidéos de violences et de torture policière ont été diffusées sur son site, conduisant le ministère de l’Intérieur à diligenter une enquête sur les images d’une jeune femme suspectée de meurtre, attachée pieds et mains à un manche à balai posé sur deux chaises, le visage bleu de douleur, et hurlant : « J’avoue que je l’ai tué. Je vous en prie, Pacha, je vous en prie ! Mes bras se brisent ! Je n’en peux plus ! »
(1) Ttre de déférence, en Egypte.
(2) Nous renvoyons sur le site qui contient notamment les reportages de la télévision égyptienne concernant des cas de tortures. Nous avons toutefois décidé de ne pas mettre sur le site de Libération un lien avec la vidéo montrant directement la torture.