Accueil > VENTO DI TERRA un film de Vincenzo Marra

Sortie nationale le 23 novembre 2005
MOSTRA DE VENISE 2004 / Horizon - Prix Fipresci (prix de la critique internationale) CANNES 2005 / FILM FIPRESCI DE L’ANNEE
A la fin des années 90, Enzo a dix-huit ans et vit avec sa famille à Secondigliano, une banlieue défavorisée de Naples. Après la mort soudaine de son père, il prend en charge sa famille.
Afin de ramener de l’argent, il participe à un braquage, mais bien vite se résout à chercher un emploi. Il s’engage dans l’armée tandis que sa sœur Giovanna quitte la ville pour rejoindre son oncle qui lui a promis du travail, laissant la mère seule à Naples...
VENTO DI TERRA : ENTRETIEN
– CARLO CHATRIAN : Le plan d’ouverture de VENTO DI TERRA souligne
l’importance de la relation entre un lieu (Secondigliano, une banlieue
pauvre de Naples), et un personnage. Pourquoi avoir mis ce lien au
centre de votre film ?
VINCENZO MARRA : La relation entre une histoire
individuelle et un contexte géographique et social est
pour moi fondamentale. VENTO DI TERRA est une
histoire individuelle parce que focalisée sur Vincenzo,
mais elle est aussi collective, puisqu’elle concerne la
famille entière. Lors des essais pour le casting, l’une des
questions que je posais le plus souvent était : « Un jeune
qui naît dans une banlieue défavorisée a-t-il les mêmes
chances que celui qui est né et a grandi dans un quartier
plus riche ? ». La réponse était toujours négative et ce
quelque soit l’origine sociale de la personne interrogée.
Il est donc clair que le contexte social contribue de façon
déterminante à la constitution d’un individu.
Considérant que la banlieue de Naples compte environ
un million d’habitants, on prend la mesure du fait que
la situation particulière de Vincenzo correspond à une
réalité bien plus vaste.
– Le cadrage semble également être signifiant. Qu’en est-il ?
Au fur et à mesure du film, les plans sur le quartier de
la famille de Vincenzo se font plus larges. Filmer la ville
de Naples d’en haut m’a permis de suggérer que l’histoire
de Vincenzo et de sa famille n’était pas si singulière, si
unique. C’est évidemment une histoire qui appartient à
Naples - ma ville - à la ville que j’ai quittée et à laquelle
je veux consacrer une grande partie de mon travail.
Mais le film pourrait se dérouler dans n’importe quelle
métropole occidentale, à Londres, ou à Paris par exemple.
Inclure l’histoire de Vincenzo dans ces cadres plus larges
signifie qu’il existe ailleurs d’autres histoires comme
celle-ci. Beaucoup d’autres même.
Elles attendent juste d’être découvertes et racontées. Nous
sommes malheureusement souvent aveugles et peu attentifs
à ce qui se passe autour de nous, et c’est pour cela que ces
histoires nous paraissent étrangères.
– Comment est apparu le désir de situer le film à Secondigliano,
banlieue napolitaine très à risques ?
J’ai utilisé le succès de TORNANDO A CASA, mon
premier film, pour réaliser celui-ci : le sujet était plus
d i fficile. Cela a été un choix assumé et fortement
personnel. Quand la nécessité de raconter cette histoire
a pris forme, l’idée de la situer dans un quartier qui en
serait le co-protagoniste s’est imposée naturellement.
Dans la première version du scénario, j’avais indiqué
Secondigliano ; il y avait déjà une envie d’aller là.
Malgré cela, j’ai fait des repérages dans les quartiers les
plus terribles de Naples et de sa banlieue à la recherche
de sensations précises. Je les ai finalement trouvées à
Secondigliano et suis revenu à mon choix initial.
– TORNANDO A CASA et VENTO DI TERRA comme vos documentaires
traitent de sujets de société très en prise avec l’actualité. Pourquoi
cette volonté de toujours inscrire votre cinéma dans une réalité et une
actualité difficiles ?
C’est un choix qui relève de ma propre histoire. Tout
d’abord, je pense qu’il est nécessaire d’évaluer la place
que le cinéma occupe par rapport aux images. Face à
l’émergence de nouvelles formes de représentation qui
semblent destituer le cinéma - on a fait le récit de l’attaque
des Etats Unis en Irak au moyen d’un téléphone portable
– celui-ci doit paradoxalement reconquérir un espace qui
est en train de se réduire, mais qui reste fondamental.
Il doit donc raconter des histoires qu’on ne connaît pas, des
histoires qui parlent de mondes qui existent mais qui ne
sont pas forcément dans la ligne de mire médiatique.
Cette proposition appartient tout particulièrement à la
tradition cinématographique italienne.
Mais ce choix relève également d’une dynamique très
personnelle liée à l’histoire de ma famille, une histoire
faite d’engagements, de thèmes importants, d’ouverture vers
le monde, d’intérêt vers les situations qui dérangent ...
Ces points de départ m’ont mené également vers un
travail sur la mémoire qui considérée aujourd’hui comme
inutile, est le plus souvent niée. Dans ce domaine, le
cinéma a un rôle déterminant : il a permis à l’adolescent
que j’étais de découvrir des mondes inconnus jusqu’alors
et m’a confronté à des sujets importants qui m’ont
changé. Si aujourd’hui je suis réalisateur, c’est aussi grâce
ou à cause de ce cinéma-là.
– La dureté de certains films, des vôtres au demeurant, est une saine
leçon de vérité.
Mes parents m’ont toujours appris qu’il faut toujours
« apporter son assiette à table », autrement dit qu’il
faut apporter ce qui vous nourrit, faire partager ce qui
vous constitue. Cela me surprend toujours de constater
que parfois ce principe n’est pas évident. Cela dit, il ne
peut pas y avoir qu’une option unique. Le cinéma italien
a besoin de plusieurs solutions.
Je ne suis pas d’accord quand on me dit que VENTO DI
TERRA est un film sur une micro-réalité. Secondigliano,
avec les autres banlieues de Naples, compte un million
d’habitants soit l’équivalent d’une armée. Si on comptabilise
également les banlieues de Rome, de Milan, Palerme et
de Bari, on arrive à un état dans l’état. VENTO DI TERRA
n’est pas un film sur un microcosme ou sur une réalité
qui n’existe que dans ma tête.
C’est un film sur une réalité large qui malheureusement
n’intéresse personne, qui peut-être dérange. Si notre
Président du Conseil dit que l’Italie va bien, il est évident
que ce film raconte l’invisible. TORNANDO A CASA
dévoilait aussi une réalité enfouie, celle de l’immigration
à l’envers, la vie de ces pêcheurs italiens contraints à
gagner les eaux territoriales africaines pour survivre.
– Ces gens jamais montrés sont pourtant bel et bien réels.
Il est indispensable de rester honnête, de ne pas oublier
les raisons qui nous poussent à raconter une histoire.
C’est ainsi que de part i c u l i è re, elle peut toucher à l’universel.
VENTO DI TERRA est l’un des films italiens récents qui a
le plus voyagé à l’étranger. Cela montre bien que, malgré
les dialogues en dialecte et le contexte apparemment
circonscrit, il contient une part importante d’universalité.
Une chronique décrit des situations de masse, des
individus sans visage mettant en scène des moments de
violence et des morts qui nous laissent insensibles.
Avec le cinéma sont mises en lumière des existences
particulières dont on peut retracer la dynamique, essayer
de les comprendre pour ne pas les oublier.
– VENTO DI TERRA comporte des scènes presque documentaires.
Je pense par exemple à celles qui ont lieu autour de la table familiale.
C’est le lieu des discussions importantes et des décisions cruciales.
Être autour d’une table, est-ce encore une question
de mémoire ? De mémoire et de tradition. Je ne suis pas
d’accord quand on me dit que VENTO DI TERRA et
TORNANDO A TA S A sont deux documentaires ; j’aime le
documentaire, mais ce serait malhonnête de leur coller
cette étiquette, malhonnête et injuste envers ceux qui ont
travaillé dessus. Ces deux films très complexes ont exigé
un énorme travail de profondeur qui leur a donné une
réelle véracité. Tout semble vrai malgré l’omniprésence
de la fiction cinématographique, malgré le chef opérateur,
le travail sur le son, malgré les costumes, les décors,
l’éclairage.
Le mécanisme est si mesuré qu’on a finalement l’impression
qu’il n’existe pas. Mon attrait pour la vérité se dévoile
aussi dans les petites choses, ces choses concrètes qui
expriment des concepts essentiels et profonds donnant à
voir la société, la famille. Naples est l’un des endroits au
monde où le modèle familial est encore fort et vif ; le
repas de famille, lié à la tradition, est l’un des moments
où ce modèle s’exprime le mieux. Pour sa famille,
Vincenzo décide de se sacrifier, de ne pas partir, comme
un devoir moral vis à vis de son père.
– Le jeu des acteurs est un autre élément qui donne force et vérité au
film. Il semble que vous les ayez dirigés avec encore plus de sobriété.
Mon point de départ est le respect du spectateur. Il
est très important pour moi de lui donner l’impression de
réalité. Je travaille dans ce sens en essayant d’identifier ce
que le spectateur reconnaît du réel. Ici la fiction pure
aurait été inutile : VENTO DI TERRA est construit sur le
partage d’une ligne émotionnelle et humaine avec les
personnages.
Leurs pensées et leurs silences ont un rôle essentiel. Sur
un thème aussi délicat, on prenait le risque de faire un
film rhétorique et moraliste sur l’Italie du sud. Il s’agissait
de ne pas franchir la frontière au-delà de laquelle l’histoire,
les lieux, les personnages n’étaient plus respectés.
Ce principe, associé à celui de cohérence, est à la base de
mes choix tant pour les acteurs que pour les costumes, la
musique, le bruitage, ou les mouvements de caméra.
– Le jeu des acteurs donne une dignité aux personnages. C’est un choix
précis, une sorte d’engagement entre les acteurs et les personnages, un
engagement entre vous qui les dirigez et le spectateur.
Je voulais sortir des stéréotypes, aller à l’encontre des
lieux communs qui émanent le plus souvent de personnes
qui n’ont jamais été à Naples, et encore moins dans un
quartier comme celui-ci. Et puis il y a le « Naples » que
tout le monde connaît, son style de vie et ses moyens
d’expression. J’avais une heure et demie pour raconter
autre chose, il n’y avait pas de place pour un autre point
de vue...
J’aime la distance, j’aime penser par soustraction. J’aime
regarder avec respect, je ne veux pas forcément imposer
ma marque, ma présence. Il aurait été plus facile d’utiliser
une steadycam que de poser, comme je l’ai fait, la caméra
sur un gamin. Ce choix est très exigeant : en effet je n’ai
utilisé ni les mouvements de caméra, ni la musique, ni la
photographie pour modifier la réalité et pour en proposer
une autre lecture. Je n’y suis parvenu qu’en m’appuyant
sur le regard, le parlé, le vécu de gens réels qui se placent
au plus près de la caméra.
– VENTO DI TERRA met le spectateur devant une réalité difficile de
manière très violente. Des solutions très simples, comme le champ/
contrechamp, acquièrent une dimension très différente de ce qu’on voit
à la télévision. La force du film ne réside pas dans l’invention du style,
mais dans ce qu’il y a derrière...
Absolument. Je pense que c’est aussi une question
de temps. Quand je vois un film, j’évalue le temps que le
réalisateur a passé avec ses acteurs. On sent parfois que
ce travail en amont a été insuffisant. Et c’est inacceptable
pour moi : il est tellement difficile de faire un film que
quand on a cette chance, il faut y mettre tout ce dont on
dispose, au-delà même du talent.
Dans ce film, un long travail a été nécessaire pour, bien
sûr, créer les conditions du film, mais aussi pour appre n d re
un métier à ces gens. N’étant pas cinéphiles, ils ont du se
confronter à quelque chose qu’ils n’avaient jamais fait,
ni jamais vu. On a donc commencé par les bases allant
toujours plus en profondeur.
Le tournage n’est qu’une étape parmi d’autres toutes
aussi importantes. C’est l’ensemble de tous ces moments
qui font l’histoire du film. Se tissent entre les acteurs et
moi-même des liens très personnels ; et comme souvent
dans les relations très intenses, les mots deviennent
moins importants et la communication passe par d’autres
canaux. Je n’ai pas eu besoin d’expliquer ce que je
voulais, il y a eu une entente du silence et un partage de
l’ensemble de nos expériences.
– En ce qui concerne la direction d’acteurs, comment avez-vous
travaillé avec Vincenzo Pacilli ?
J’ai travaillé avec le ventre. On a construit petit à petit
une relation humaine profonde. Pendant trois mois,
il venait me voir tous les jours, comme un athlète qui
s’entraîne pour une compétition importante. A la fin, c’est
la caméra, le cadre, la prise du son, les lumières, le film
naît... Le point d’orgue du processus est atteint lorsque j’ai
la certitude que Vincenzo dira et fera inconsciemment ce
que je veux mais en utilisant ses propres expressions.
– Mais n’y avait-il pas de scénario ?
J’aime écrire des scénarios très détaillés, accompagnés
de notes techniques diverses. Mais ce scénario, je ne le
donne à personne ! Les acteurs ne connaissent ni tous les
développements de l’histoire, ni même leurs dialogues.
Le plus extraordinaire est que au final, le montage
correspond au scénario initial ! Il y a peut-être quelque
chose de chimique dans une rencontre entre les gens.
C’est peut-être aussi mon optimisme napolitain...
– La richesse de VENTO DI TERRA tient aussi aux personnages
secondaires. Par exemple, celui de l’oncle Ciro pourrait être le
simple point de départ d’une parabole illustrative. En fait, il est traité
avec une sensibilité particulière : en quelques séquences, vous faîtes de
cet oppresseur une victime, malgré lui.
J’ai effectivement tendance à construire tous les personnages,
y compris les petits rôles, comme des figures
circulaires.
Je pourrais faire un film sur chacun d’eux. Dans le cas de
l’oncle Ciro, je l’imaginais comme un homme qui avait
été contraint à émigrer vers les montagnes pour faire un
travail aliénant. Je ne crois pas à la méchanceté pure, je
crois à la faiblesse, à l’impossibilité d’être en contact avec
soi-même. Pour chaque personnage, je cherche à construire
une complexité qui puisse offrir quelque chose de plus, à
travers un simple re g a rd, un silence, un mot important.
– Il me semble qu’il y ait dans VENTO DI TERRA une sensibilité
particulière, une volonté affirmée de filmer le faible plutôt que
l ’ oppresseur .
Dans TORNANDO A CASA, j’ai filmé l’armateur (il
volait les filets pour faire du chantage) dans un débarras
pour le rendre plus proche des autres pêcheurs. Ce petit
mafieux était lui aussi poussé par la nécessité. Quand on
traite de réalités aussi spécifiques, il est facile de tomber
dans le stéréotype et la rhétorique.
Il n’y a pas d’un côté le bon, de l’autre le méchant, le
bien et le mal. La méchanceté est du côté de celui qui a
le pouvoir de changer les choses et qui pourtant ne fait
rien. Bon nombre de situations relèvent plus de l’incapacité
étatique que de la volonté individuelle.
J’ai tenu à filmer la scène du braquage car que je me
refuse à condamner quelqu’un qui commet une erreur.
Je cherche à inclure le comportement de l’individu dans
un contexte, à comprendre ses motivations, sa réalité.
Dans une réalité telle que celle-ci, il est plus facile de
tomber que de rester debout.
VINCENZO MARRA : BIO-FILMOGRAPHIE
Né à Naples en 1972. Après des études de droit,
pendant lesquelles il se spécialise dans la défense des
droits civils en Irlande du Nord et en Amérique latine, il
devient photographe reporter sportif.
Assistant en 1997 de Mario Martone au cinéma sur
TEATRI DI GUERRA, ainsi qu’au théâtre, il est assistant de
Marco Bechis sur GARAGE OLIMPO en 1998.
En 2004, il a donné des cours de scénario en Palestine à
des jeunes étudiants, dont 6 projets deviendront des
court-métrages produits par la BBC. Après TORNANDO A
CASA, VENTO DI TERRA est son deuxième long-métrage
de fiction.
1998 UNA ROSA PREGO (10 mn - 35mm)
2001 TORNANDO A CASA (88 mn)
Festival de Venise 2001 - Semaine de la critique - Prix du
Meilleur Film, Festival d’Annecy - Meilleur film 2001,
Sélectionné à Thessaloniki Film Festival, Karlovy Vary, Buenos
A i res (Meilleur film), Valencia (Meilleur réalisateur, Meilleure
photo), Rotterdam, Sao Paulo...
ESTRANEI ALLA MASSA (documentaire 88 mn)
Locarno Film Festival 2002, en compétition,
Torino Film Festival - mention spéciale.
2003 PAESAGGIO A SUD (documentaire 30 mn)
Festival de Venise 2003, Nuovi territori
VENTO DI TERRA (82 mn)
Festival de Venise - Sélection Officielle Orizzonti
Prix FIPRESCI, Sélectionné aux festivals de Angers, Thessaloniki
Film Festival, Karlovy Vary, Buenos Aires, Rotterdam,...
2005 58% (documentaire 47 mn)
Festival de Locarno 2005 - Compétition vidéo
FICHE ARTISTIQUEEnzo Vincenzo PacilliBruno Edoardo MeloneLuca Francesco GiuffridaMarina Giovanna RiberaAntonietta Vincenza ModicaTarentino Francesco Di LevaFICHE TECHNIQUERéalisateur Vincenzo MarraScénario Vincenzo MarraPhotographie Mario AmuraMontage Luca BenedettiDécors Giuseppe PerrottaCostumes Daniela CiancioSon Alessandro RollaProduit par Tilde Corsi and Gianni Romoli /R&C Produzioni (Italie)Distribution France Les Films du ParadoxeItalie - 2004 - 1h22 - 35 mm- 1.85VOSTF - Couleur