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courant alternatif été 2010. 3 articles en ligne
Publie le mardi 20 juillet 2010 par Open-Publishingcourant alternatif été 2010. 3 articles en ligne
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Antifascisme encore !?
L’antifascisme ne triomphera que s’il ne cesse d’être à la remorque de la démocratie bourgeoise. Défions nous des formules « anti », elles sont toujours insuffisantes, parce que purement négatives. On ne peut vaincre un principe, qu’en lui opposant un autre principe, un principe supérieur. Daniel GUERIN, Fascisme et Grand Capital.
Depuis quelques mois les thèmes du fascisme et par conséquent de l’antifascisme traversent à nouveau les « milieux libertaires »(1), au point que l’un des débats du salon du livre libertaire portait sur la question de savoir quelle riposte apporter contre le fascisme, en relation avec la contre manifestation qui devait se tenir le jour même(2).
Huit ans après l’épisode du second tour Chirac/Le Pen, où l’on vit nombre d’anars appeler au vote citoyen, pour sauver la « démocratie », le problème n’est toujours pas réglé.
Il semble pourtant au vu des échanges lors de la discussion parisienne que du chemin ait été parcouru.
Cet article se veut donc une contribution au débat, il sera divisé en trois parties, d’abord pour de basse raisons commerciales (vous devrez acquérir les prochains CA pour connaître la suite) mais surtout parce que la question est fondamentale et nécessite un développement assez long.
La question du fascisme, un problème de définition
« (...) définir le fascisme c’est avant tout en écrire l’histoire (...) Une théorie du fascisme ne pourrait donc sortir que de l’étude de toutes les formes de fascisme, latentes ou ouvertes, bridées ou triomphantes. Car il y a plusieurs fascismes dont chacun recèlent des formes multiples parfois contradictoires et qui peuvent évoluer jusqu’à changer leurs traits essentiels. Définir le fascisme signifie le surprendre dans cette évolution c’est saisir dans un pays donné et à une époque donnée sa différence spécifique(...) cette méthode plus prudente et moins ambitieuse nous permettra peut être d’indiquer un certain nombre de caractères communs pouvant être intégré dans une définition générale de fascisme (...) » Angelo Tasca Naissance du fascisme, l’Italie de l’armistice à la marche sur Rome, 1938 Un demi-siècle après la naissance du phénomène fasciste, une foule de théories parfois contradictoires ont été avancées pour comprendre son origine et les motifs de son accession au pouvoir. Ce conflit des interprétations n’est pas gratuit et l’historiographie du fascisme à toujours été utilisé a des fins politiques.
Le mot lui même est un piège, il est attrape-tout, « le mot le plus vague des mots politique mais qui importe le plus ».
Au départ, si le fascisme n’est que la désignation d’un mouvement politique italien, il a servi par extension a désigné tout les mouvements totalitaires et autoritaires né dans l’Europe de l’entre deux guerres.
Si l’on reprend l’historique de ces interprétations, on constate un élargissement progressif du fascisme de sa dimension italienne et européenne vers une dimension mondiale et universelle. Le fascisme a fini par prendre l’aspect d’une entité politique totale et métahistorique qui se serait manifestée et pourrait se manifester partout au delà des limites propres de son modèle historique.
Après 1945, on a ainsi qualifié de fasciste les régimes de Perón en Argentine, la présidence de Charles de Gaulle, les régimes à parti unique de certains pays du Tiers-monde, la dictature des colonels en Grèce et les régimes militaires d’Amérique latine ou les coups d’état de l’armée en Turquie. Par un processus d’inflation sémantique toujours croissant le concept de fascisme a servi à tort et à travers dans le combat politique le concept de fascisme à finit par être tellement usité qu’il est devenu un terme générique et l’insulte préférée des gauchistes de tout poil.
S’il fallait en donner une définition la plus simple et la plus exhaustive possible on pourrait donner celle-ci : le fascisme est un phénomène politique moderne, nationaliste et révolutionnaire, antilibéral et anti marxiste, organisé en parti-milice avec une conception totalitaire de le politique et de Etat, avec une idéologie activiste et anti théorique (au sens d’antirationaliste) avec des fondements virilistes et anti hédonistes(3). Le fascisme peut être considéré comme une religion laïque qui affirme le primat absolu de la nation entendue comme une communauté organique (voire biologique) ethniquement homogène, hiérarchiquement organisée en un Etat corporatiste, négateur de la lutte des classes, avec une vocation belliqueuse à la politique de grandeur, de puissance, et de conquête visant à la création d’un homme nouveau, d’un ordre nouveau, voire d’une civilisation nouvelle.
Ce phénomène politique ne se limite pas en une simple radicalisation des méthodes dictatoriales, ni une accentuation des aspects réactionnaires de la démocratie bourgeoise. C’est un système entièrement original qui repose sur la transformation des classes en masses, promeut le culte paroxystique du chef, où l’Etat détient le monopole idéologique, le contrôle de tous les moyens de pouvoir et de persuasion. Le contrôle social s’effectue par la terreur et la mise en place d’un système policier et concentrationnaire. Animé par une logique de la déraison il tend à la destruction complète de la société comme de l’individu. Mais ceci étant fort bien dit, cela ne permet toujours pas de saisir la réalité historique du fascisme. Pour cela, il faut comprendre les conditions historiques de l’apparition du phénomène fasciste, c’est-à-dire ne pas se contenter de l’histoire politique des idées il faut plonger dans l’histoire des faits sociaux.
Le fascisme dans son contexte historique
Il faut chercher les raisons de l’apparition du fascisme dans l’incapacité de la bourgeoisie à faire face à l’irruption des masses populaires sur la scène politique et l’échec du mouvement ouvrier dans ses tentatives de transformations radicales de la société.
La société qui émerge à l’aube du 20ème siècle est une société qui a vécu de profondes transformations et de manière très rapide. L’industrialisation frénétique et les mutations qui en découle ont détruit les solidarités anciennes, provoqué un exode rural massif et l’explosion démographique des métropoles urbaines. L’apparition d’un prolétariat revendicatif crée la question sociale, objet de mobilisation politique et sociale.
Mais c’est la première guerre mondiale et la seconde révolution industrielle qui vont créer les éléments fondamentaux de la formation du fascisme. La guerre en prouvant que la science et la technique peuvent être au service du mal a détruit les illusions positivistes. Les bouleversements atteignent chacun et chacune dans son identité, dans son intimité. Le rapport au corps est bouleversé (le retour des mutilés de guerre), les relations entre les genres sont transformées (l’arrivée des femmes dans les usines).
La crise économique qui survient quelques années après les armistices et qui culmine avec le krach de 1929 a poussé les jeunes générations condamnées au chômage à contester l’ordre instauré par leurs aînés, rejoignant ainsi les revendications des classes moyennes et de la petite bourgeoisie menacées de prolétarisation. Ces contradictions inhérentes au système n’ont pu être pris en charge par les démocraties libérales et leurs états. Or Etat c’est très le résultat de l’ordre et des nécessités économiques. Démocratie représentative et régime autoritaire ne sont que deux formes possibles et interchangeables d’une structure dont le but est d’unifier la société de classes en suscitant un consensus social et d’encadrer les classes dominées soit en les intégrant par la force soit en les associant par l’intermédiaire de leurs organisations politiques et syndicales.
Le fascisme a donc bien représenté une solution pour des millions de gens qui, confronté à des situations aussi dramatique que l’après guerre italien ou la république de Weimar, ont été incité par passivité à voir dans les mouvements fascistes une compensation à leur misère et leur précarité, en cultivant l’illusion d’appartenir à une communauté de destin en action.
Le second élément pour comprendre l’avènement des fascismes européens c’est l’échec et l’effondrement du mouvement ouvrier. Les dictatures fascistes se sont toutes mises en place dans un contexte de défaites ouvrières en particuliers après des tentatives avortées de révolution. En Allemagne (la République de Conseils de Bavière) et en Italie (le mouvement d’occupation des usines) il est indéniable que la grande bourgeoise a choisi de favoriser un mouvement hostile à la lutte des classes. Ce choix a été motivé par la capacité du fascisme de mater la classe ouvrière organisée et ainsi de rétablir l’ordre capitaliste et son corollaire l’exploitation. Pour contenir la crise et maintenir ses profits, il faut exploiter plus. Or le réformisme et les revendications ouvrières barrent la route à cette exploitation accrue la seule solution est alors de sortir de la démocratie.
Mais cette explication n’est pas suffisante pour comprendre l’accession au pouvoir des Mussolini, Hitler et Franco. La puissance des mouvements ouvriers (le PC en Italie, le SPD en Allemagne et la CNT en Espagne) n’a pu empêcher l’accession des fascistes au pouvoir. Il ne s’agit pourtant pas d’un manque de moyens, le SPD et le KPD allemand sont les partis ouvriers les plus puissants d’Europe, à la tête d’une véritable contre société. La CNT est l’organisation la plus importante en Espagne. Pendant tout l’entre deux guerres, assistant à la montée des autoritarismes, ils vont développer une critique et une analyse des fascismes.
Dans la montée des antagonismes sociaux, les antifascistes concevait le fascisme comme une dictature réactionnaire, arme de la bourgeoisie, pour contrer l’imminence de la révolution sociale. Ce fut leur erreur fondamentale, de ne pas voir que la Révolution était déjà morte. Ainsi en 1933, les restes de la Gauche allemande interprétaient l’accession d’Hitler à la tête de l’Etat comme le parachèvement de la contre-révolution de 1919-21 car le fascisme ne brise pas l’élan prolétarien, il en consomme la défaite.
Un vieux scalpeur
(1)En témoigne la production de textes sous forme électronique et papier (couverture du numéro d’Alternative Libertaire de février 2010), des manifestations en réaction à des agressions (Lyon, Chauny...), bref le retour d’une vieille question jamais résolue, toujours débattue.
(2)Le 9 mai 1994 Sébastien Deizyeu (mais pas des ailes) se tue en voulant échapper à la police lors d’une manifestation anti-américaine de l’Oeuvre Française et du GUD. Depuis, cette date sert de support a des rassemblements qui, au prétexte de la commémoration de ce décès, voient défilés tout les groupuscules d’ extrême-droite. Depuis 7 ans environ, les antifascistes tentent de s’opposer à ces défiler.
(3)L’hédonisme est une doctrine philosophique qui établie comme morale la mise en avant des plaisirs de la vie.
(4)On consultera avec profit la réédition de Jacques Droz, Histoire de l’antifascisme en Europe 1923-1939 La Découverte 2001.
http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article806
D’une crise à l’autre
Depuis que la crise des « subprimes »a éclaté en août 2007, elle n’en finit pas de dérouler ses épisodes sans qu’on voie apparaître une fin prévisible. Dans un premier temps, les difficultés des ménages modestes à rembourser leurs crédits immobiliers aux Etats Unis ont mis en danger les plus grandes banques mondiales. Comment cela a-t-il été possible ? Techniquement (mais les explications techniques ne sont jamais des explications suffisantes) à cause d’un système très juteux pour la finance qui permettait de se revendre la patate chaude de « produits toxiques » qui rapportaient beaucoup, justement à cause des risques qu’ils présentaient. Cette crise a entraîné une crise de confiance entre les banques qui ne se prêtaient plus d’argent entre elles, ce qui risquait de bloquer tout le système, d’où des prêts fréquents et importants des banques centrales. En septembre 2008, le gouvernement américain lâche une banque d’affaires qui fait faillite, et la finance mondiale menace à nouveau de s’écrouler. Cet épisode est la suite directe du précédent. Début 2010, nouveau coup de tonnerre : ce coup ci c’est un Etat, européen de surcroît, qui serait au bord de la faillite. Là encore, on est toujours dans les contrecoups de la même crise : qui dit crise dit baisse des recettes fiscales et augmentation des dépenses sociales, donc déficit public. Un point commun à tous ces épisodes : ce sont à chaque fois les marchés financiers qui sont au cœur de la crise et « l’économie réelle » qui en fait les frais. C’est la nouveauté de notre époque : l’importance décisive que la finance a pris pour le capitalisme. Cette primauté est aussi politique : les marchés financiers imposent un type de politique économique qui va à l’encontre de la croissance, qui est pourtant essentielle à la survie du système. Enfin, cette crise va sûrement redessiner de nouveaux rapports de force au niveau mondial.
A l’origine de la crise, les contradictions du système
Les 30 années de croissance après la seconde guerre mondiale dans les pays développés représentent une exception dans l’histoire du système capitaliste. Cette croissance était fondée sur un compromis social, issu entre autres des mouvements de résistance et des rapports de force mondiaux (guerre froide). Les gains de productivité permis par l’extension de la standardisation des produits et de la parcellisation des tâches (travail à la chaîne) étaient répartis entre profits et salaires, et fortement ponctionnés par l’Etat. Il y avait un deal implicite derrière ce partage : acceptation d’un travail dangereux et aliénant, acceptation de la hiérarchie, acceptation de l’ordre social, acceptation de l’abrutissement de la chaîne, en échange d’un salaire relativement garanti et d’une protection sociale (ce qui représentait une rupture pour la classe ouvrière, dont les conditions d’existence jusque là étaient caractérisées par la précarité).
C’est ce modèle de croissance qui est entré en crise à la fin des années 60, à la fois pour des raisons économiques (essoufflement des gains de productivité, saturation des marchés), sociologiques (recherche de distinction contradictoire avec le modèle de consommation de masse) et de contestation de l’ordre social (rappelez-vous les grandes grèves d’O.S. au début des années 70).
Ce compromis social a éclaté au profit du patronat : précarisation du marché du travail, modération salariale... Les marchés financiers ont connu un essor parallèle à l’éclatement de ce compromis. C’est au début des années 80 que les Bourses ont commencé à jouer un rôle important dans le financement de l’économie au niveau mondial, jusque là c’était plutôt les banques, et la nuance est de taille. En effet, ces dernières se contentent de prêter (ou non) à des taux généralement fixes, et n’ont pas intérêt à acculer leurs débiteurs à la faillite. Tous les marchés financiers, eux, ont UN ennemi commun, l’inflation qui rogne le pouvoir d’achat de leurs rentes et de leur capital. Les politiques contre l’inflation sont une constante des politiques économiques mondiales depuis environ 30 ans. Elles s’appuient sur deux axes : la baisse des salaires réels et celle du prix des matières premières. Ces dernières ont baissé d’environ 30% dans la décennie 80 jusqu’à entraîner à la fin des années 80 un risque de faillite mondiale des banques lié à l’étranglement financier des pays du tiers-monde. C’est alors qu’il a été fait appel au FMI qui a mis en place les fameux « plans d’ajustement structurels ». Nous y reviendrons.
Mais le capitalisme a besoin de débouchés, réduits par la stagnation du pouvoir d’achat et l’étranglement des économies du tiers-monde. C’est alors qu’ont commencé les privatisations, privatiser les services publics étant un moyen de créer de nouveaux marchés (de l’éducation, de l’assurance, de la sécurité...). Ce processus de privatisation est toujours en cours, et est en train de s’accélérer en France. Il dégrade encore le compromis social qui avait fondé la croissance d’antan. C’est alors aussi que les pays développés ont connu un essor fantastique du crédit, qui s’est généralisé à toutes les couches sociales, moyen finalement de maintenir la consommation de masse dans un contexte de modération salariale. C’est cette « solution » provisoire qui est entrée en crise aujourd’hui, et cette crise n’est donc pas près de se terminer. D’autant qu’elle se cumule à une instabilité financière mondiale liée elle à la domination des pays du tiers monde.
Sauver les banques, une habitude
Finalement, si on regarde les principales crises économiques qui ont secoué le monde depuis la fin des années 80, on retrouve une première constante. Crise de la dette des pays du tiers monde à la fin des années 80, crise asiatique, crise actuelle, à chaque fois c’est lorsque le cœur des banques ou des marchés financiers a été atteint qu’on a parlé de crise, à chaque fois, il s’agissait d’un risque de faillite bancaire lié à des prêts à des conditions usuraires à des Etats ou des populations étranglées, à chaque fois les plans ont aidé non les populations démunies ou les économies étranglées, mais leurs étrangleurs. Et à chaque fois, on a semé les graines d’une nouvelle crise, plus grave. Nous écrivions déjà qu’il fallait suivre ce qui se passait dans le tiers-monde qui servait en fait de terrain d’expérimentation. La suite semble le confirmer.
Reprenons la question de la dette des pays du tiers-monde. Les principales banques mondiales auraient fait faillite si les Etats concernés avaient été déclarés officiellement insolvables. Deux types de solutions ont été expérimentés. La première, la moins médiatisée et la plus complexe à comprendre, n’est pas exactement une solution politique, mais la naissance d’un marché gris de la dette, c’est-à-dire d’un marché où elle était échangée, c’est ce qu’on appelle la titrisation, la dette des pays du tiers-monde est devenue un marché fructueux, avec plus-values et spéculation. C’est un des ancêtres des produits dérivés et autres produits toxiques qui sont à l’origine de la crise des subprimes. Ce bricolage des marchés financiers à la recherche d’affaires juteuses à court terme a été permis par la politique mondiale de dérégulation des marchés. La deuxième solution est plus connue. Pour obtenir les prêts indispensables, les Etats devaient inspirer confiance aux banques, et pour cela s’adresser au FMI, dont les prêts (relativement faibles) conditionnaient les prêts des banques privées. Ces prêts du FMI étaient accordés sous condition, des conditions de politique économique, ce sont les fameux plans d’ajustement structurels : réduction des déficits publics, privatisations, ouverture à la concurrence mondiale... Bien sûr, le tout au nom du bien-être des populations ainsi affamées qui après s’être serrées la ceinture (mais elles n’en avaient déjà plus, de ceinture) verraient s’ouvrir un avenir radieux. En attendant, on a connu un certain nombre de crises politiques liées aux émeutes de la faim, la propagation rapide du SIDA, l’augmentation de la mortalité par paludisme...
Et on retrouve dans cette solution une deuxième constante de ces crises : qu’est-il demandé à la Grèce en échange de « l’aide » de l’Europe ? La réduction des déficits publics, des privatisations, une meilleure ouverture à la concurrence mondiale... A quoi se sont engagés les divers pays européens pour rassurer les marchés : à lancer des plans d’austérité, à réduire les déficits publics, à privatiser... Faisons leur confiance pour que les résultats soient à la hauteur des plans d’ajustement structurels du FMI (en terme de dégradation relative, on part de plus haut quand même...). On retrouve à chaque fois le même enchaînement : des prêts à taux élevés pour des crédits risqués à des débiteurs qui n’ont pas le choix, suivis de produits financiers plus ou moins sophistiqués pour diluer le risque, tellement sophistiqués que les marchés en oublient leur base fragile jusqu’au jour où ça se retourne contre eux. A ce moment là, gros titres dans les journaux, plans d’aide (aux banques, pas aux populations dont les conditions d’existence sont dégradées) justifiés par l’affirmation (vraie) selon laquelle si on n’intervient pas, le système s’écroule. Après avoir hurlé contre la spéculation et annoncé qu’elles prendront des mesures, les autorités politiques, au lieu de revenir sur la rupture du compromis social dont on a parlé en première partie, restent sur le schéma ultra-libéral de dérégulation des marchés financiers et mènent donc les politiques économiques que ceux-ci réclament : lutte contre l’inflation et privatisations. C’est en tous les cas la politique dans laquelle l’Europe a annoncé qu’elle allait se lancer.
Une stratégie suicidaire ?
Cette politique laisse perplexe. Certes, on voit bien quel intérêt a le capital dans la précarisation des salariés. Certes, la casse de la protection sociale et des services publics contribue à cette précarisation et par-là même à renforcer le rapport des forces en leur faveur. Certes, on voit bien l’intérêt à habiller toutes ces mesures en faveur du grand capital des habits de la nécessité économique, de sauver un bateau dont le capitaine est défaillant mais sur lequel nous serions tous embarqués. Certes, on voit bien tous les nouveaux marchés qu’ouvrent les privatisations. On peut observer en ce moment en France à l’œil nu comment la grande bourgeoisie pousse jusqu’au bout le rouleau compresseur que lui permet un rapport de forces complètement dégradé.
Mais au-delà, le capitalisme a en ce moment un problème de surproduction. Et la finance, c’est bien beau, mais ses profits restent assis sur l’exploitation qui a lieu dans le processus de production (matériel ou immatériel) lui-même. Et pour que l’exploitation perdure, il faut vendre la production. Elle ne peut pas être écoulée intégralement auprès d’une petite minorité déjà tellement gavée qu’elle ne sait plus quoi faire de son argent...
Ce qui laisse le plus perplexe, c’est la politique de l’Union Européenne. Les Etats-Unis comme le Japon ont des déficits publics très importants, qu’ils aggravent très consciencieusement. Les Etats-Unis notamment mènent assez clairement une politique de relance (injection de fonds publics dans le système, instauration d’une sécurité sociale...). Seule parmi les grandes puissances, l’Europe a décidé de laisser son financement aux mains des marchés financiers, et ce statutairement grâce aux traités de Maastricht et de Lisbonne. Une monnaie commune sans gouvernement commun avec des situations économiques très disparates, c’était relativement inconscient. C’est pourquoi la politique monétaire a été confiée de fait aux marchés financiers, moyen d’imposer une politique commune sans passer par un gouvernement commun, de même que la politique industrielle a été confiée aux grands industriels, etc. L’Europe est une réussite : 80% des échanges commerciaux des pays européens se font entre pays européens. Toutes les économies nationales se sont ouvertes, c’est-à-dire que chacune dépend de son commerce avec le reste de l’Europe. Si des pays comme l’Allemagne, la France, etc. qui disposent de richesses importantes se lancent dans des politiques d’austérité, ce sont des marchés énormes qui se ferment et qui vont entraîner une récession grave pour les pays européens les plus en difficulté. Et à chaque fois, le petit jeu de la Grèce va pouvoir recommencer : les marchés financiers dégradent la note de la dette jusqu’à intervention de la Banque Centrale Européenne pour la garantir, le tout au prix d’une aggravation de la politique de rigueur.
A terme, même l’Allemagne risque d’être entraînée dans la tourmente.
Peut-on parler d’aveuglement ? Tout à la joie de casser ce qui reste du compromis fordiste, de renforcer la précarité et de loucher sur les marchés de l’assurance retraite privée, de l’éducation privée, de la santé privée, tout à la joie de réussir à morceler, individualiser et écraser les salariés, les grands patrons en oublieraient qu’ils vont dans le mur ? Peut-on parler de la force de l’idéologie ? Le libéralisme économique est devenu quasiment une nouvelle religion, et ses serviteurs deviendraient incapables de voir autrement que par son prisme déformant ? Ou peut-on se dire que la mondialisation est suffisamment avancée pour que les élites au pouvoir se sentent affranchies des contraintes économiques nationales qui pèsent sur les pays qu’elles gouvernent ??? On peut remarquer aussi qu’il y a un débat au sein même des élites dirigeantes, et que ce débat, s’il ne peut y être réduit mécaniquement, reflète aussi des rapports de force entre logique financière, logique industrielle et logique commerciale, toutes logiques capitalistes qui n’ont cependant pas exactement intérêt aux mêmes politiques économiques.
Un rapport de forces mondial remodelé ???
A l’automne 2008, lorsque s’égrenaient les noms de grandes banques en faillite ou au bord de la faillite, lorsque le système mondial paniquait, beaucoup prédisaient une faillite des « pays émergents », notamment bien sûr de la Chine et de l’Inde. On peut d’abord observer que les pays les plus pauvres, à l’écart de la finance mondiale, sont aussi moins touchés par la tourmente. Ils le sont essentiellement par le biais de la diminution de l’argent envoyé par les émigrés, car de fait, c’est cet argent là qui profite réellement à la population. La Chine et l’Inde sont non seulement de très grands pays, mais leurs gouvernements, le gouvernement chinois notamment, ne sont inféodés à aucune grande puissance. Et de fait, la Chine a les moyens de relancer un marché intérieur dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas saturé, et de le fournir elle-même. En 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil, de l’Inde et de l’Afrique du Sud. Entre 1990 et 2008, les échanges mondiaux ont été multipliés par près de quatre, tandis que les échanges Sud-Sud l’ont été par plus de dix. Le constructeur automobile indien Tata est aujourd’hui le deuxième investisseur en Afrique subsaharienne. Financièrement, les pays en développement détenaient, en 2008, 4200 milliards de dollars de réserves de change, soit plus d’une fois et demi le montant détenu par les pays riches. L’OCDE prévoit (mais elle se trompe très souvent) que les pays en développement représenteront près de 60% de la richesse mondiale en 2030.
Il est donc possible qu’on sorte de cette crise avec un paysage mondial fortement modifié. La Chine et l’Inde émergeraient alors comme de nouvelles puissances. S’il est clair qu’elles cherchent elles aussi à asseoir leur domination sur un certain nombre de pays du tiers-monde, ou en tous cas à en exploiter les ressources, cette domination prendra forcément des formes différentes de celles du néocolonialisme actuel : ces pays n’ont pas de passé colonial, ne s’imaginent pas investis d’une mission civilisatrice comme ont pu l’être les Européens, et ont même une expérience de la colonisation et de la lutte anticoloniale... Il est très possible aussi que la grande perdante de la tourmente actuelle soit l’Europe. Une partie de sa puissance est basée sur la domination néocoloniale sur laquelle elle est concurrencée non seulement par les Etats-Unis mais aussi par l’Asie. Elle mène fidèlement la politique dictée par les marchés financiers, ce dont ils ne lui sauront aucun gré une fois qu’ils auront achevé de la ruiner. Elle ne dispose pas d’un potentiel militaire unifié indépendant...
Mais toutes ces élucubrations sont pour plus tard. Pour le moment, la seule certitude, c’est que la crise actuelle va continuer de faire des vagues, et que pour le moment et un moment qui va probablement durer, c’est l’Europe qui est au cœur de la tourmente. Quelles seront les capacités de résistance de la population ?
Sylvie
http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article807
Cameroun 1955-1971 : Une guerre qui n’a jamais eu lieu
Le Cameroun est le seul des pays d’Afrique noire française à avoir connu une résistance armée. Officiellement rien n’existe, les archives sont classées secret défense, le pays a été décolonisé « en douceur ». A l’heure où la réalité de la Françafrique apparaît au grand jour, il est bon de rappeler quelques épisodes peu connus de la répression coloniale française.
La bourgeoisie n’est jamais en retard lorsqu’il s’agit de reconstruire après des destructions programmées. La guerre, dont l’issue est certaine, n’est pas encore terminée que le gouvernement provisoire du général de Gaulle pense à réorganiser les colonies. En février 1944 se tient la conférence de Brazzaville qui pose les fondements de la future « Union française ». Elle se propose d’abolir le « code de l’indigénat », mais repousse « toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’Empire : la constitution éventuelle, même lointaine, de self-governments dans les colonies est à écarter ». Silence radio sur le travail forcé.
L’objectif est d’organiser le redéploiement impérialiste en Afrique que la période d’après-guerre requiert, et, à cet effet, le Cameroun, avec son port de Douala et sa position géostratégique pourrait en être un fleuron. Le pays était, depuis 1884, un protectorat allemand. Entendez par là protection d’un impérialisme dans une zone contre d’autres tout aussi gloutons. Pour ce faire, une seule logique, s’étendre, et, dans ce cas, la seule solution est de pénétrer à l’intérieur des terres… Ce qui a pour effet de mécontenter les Douala, habitués à avoir le monopole de la transaction entre les nombreux peuples de l’intérieur et les Européens, et avec qui, en 1884, l’Allemagne avait signé un traité concernant la seule zone côtière.
Comme, par ailleurs, les colons allemands exproprient des terres pour y implanter des cultures coloniales traditionnelles classiques (café, cacao, banane, huile de palme, etc.), s’ensuit une série de guerres meurtrières pour la conquête de l’arrière-pays qui font naître une tradition de résistance anticoloniale dont on retrouvera les effets plus tard, sous la domination française.
Après la défaite de l’Allemagne en 1918, le « pays » est divisé : les 4/5 sont confiés à la France par la Société des nations (SDN) comme territoire sous mandat ; le reste est pour l’Angleterre. La France s’empresse d’oublier qu’il ne s’agit que d’un mandat, et va transformer le pays en une véritable colonie en pratiquant une politique d’assimilation sous le régime de l’indigénat (voir l’encart).
Pour éradiquer la présence allemande, la France procède à quelques modernisations comme le développement du chemin de fer, mais mène une politique linguistique fidèle au jacobinisme colonial de la troisième République et de Jules Ferry. La centaine de langues utilisées dans la zone dite du Cameroun sont, au dire des colonisateurs, incapables de traduire des concepts abstraits (supposés être ceux des Européens !).
« [...] Nulle école ne peut fonctionner si l’enseignement n’y est donné en français. Cette disposition n’a pas besoin de justification. Entre les indigènes et nous n’existera un lien solide que par l’initiation des indigènes à notre langue [...] », précise une lettre circulaire du 8 décembre 1921.
La directive de Jules Carde (1921), haut-commissaire de la République française au Cameroun, indique à ses chefs de circonscription l’objectif de la politique linguistique de la France dans la colonie : « Il faut donc de toute nécessité que vous suiviez avec le plus grand soin le plan de campagne que je vous ai tracé, que vous coordonniez vos efforts, tous les efforts, et que le défrichement méthodique et bien concerté [des autres langues] se poursuive sans hâte comme sans arrêt [afin de concrétiser] notre volonté de donner aux populations du Cameroun la langue en quelque sorte nationale qu’elles n’ont pas, et qui ne saurait être évidemment que celle du peuple à qui est dévolue la souveraineté du pays. »
Il s’agit donc de rendre obligatoire l’enseignement du français en interdisant l’usage des langues vernaculaires : « La langue française est la seule en usage dans les écoles. Il est interdit aux maîtres de se servir avec leurs élèves des idiomes du pays. » (JO du Cameroun, 1924).
Sur le plan économique, pas de surprise : le développement des monocultures coloniales et des expropriations se poursuit. Ce n’est pas sur ce terrain qu’il faut faire oublier la présence germanique.
Après la guerre, la résistance, l’UPC
Après la Seconde Guerre mondiale, un nouveau mandat provisoire est confié à la France au nom de l’ONU. Il ne s’agit toujours pas officiellement d’une colonie, mais l’objectif de la France reste d’assimiler le Cameroun à l’Union française, et de le transformer en colonie de peuplement avec un statut de territoire associé. Les moyens sont les suivants :
* Remplacer les chefs traditionnels par des valets au service du colonialiste, qui serviront plus tard pour encadrer le pays en direction des intérêts de la France, après l’indépendance.
* Accaparer de nouvelles terres, parmi les plus riches, au mépris du droit coutumier, et imposer le monopole sur la culture du café.
* Instaurer des taxes coloniales nouvelles et permettre l’armement des colons. Et… bien entendu, pressurer au maximum la main-d’œuvre sur les exploitations agricoles.
L’accroissement important du nombre de colons sera, bien entendu, une cause supplémentaire des révoltes qui vont ensanglanter le territoire.
Des mouvements nationalistes se développent à partir de 1945. Ils s’appuient sur une élite formée dans les écoles supérieures du Sénégal, sur une bourgeoisie terrienne et sur un prolétariat urbain qui a déjà prouvé sa mobilisation entre les deux guerres. Il faut ajouter à cela le retour au pays des soldats ayant participé à la libération de la France et qui réclament maintenant la fin de l’apartheid colonial. Un mouvement syndical, avec la CGT, commence à naître et à revendiquer, ce qui ne manque pas d’inquiéter les colons blancs. Certains d’entre eux, en 1945, s’emparent même d’un dépôt d’armes et organisent une chasse à l’homme pour briser une grève. Le bilan officiel fait état de 80 morts.
10 avril 1948, l’Union des populations camerounaises (UPC) est officiellement créée. Au départ, il s’agit de la section camerounaise du Rassemblement démocratique africain (RDA) fondé par Houphouët-Boigny et allié au PCF – plus par stratégie que par idéologie. Les fondateurs de l’UPC, qui avaient posé la question de l’indépendance dès la fin de la guerre et s’étaient opposés aux conclusions de la conférence de Brazzaville jugées néocolonialistes, se sépareront du RDA lorsque ce dernier rentrera dans le rang*. Une large fraction des colons blancs étaient également hostile aux conclusions de Brazzaville – jugées, à l’inverse, comme menant vers l’indépendance. Les camps étaient plus que délimités et les affrontements inévitables.
Dans un premier temps, l’UPC tente de jouer la carte de l’intégration « pacifique » dans le jeu politique du pays, mais cela s’avérera de plus en plus difficile. Elle envoie un de ses fondateurs, Um Nyobè, plaider sa cause aux Nations unies en 1952. Un appel finalement entendu, puisque l’organisation internationale décide qu’elle mandatera en 1954 une mission au Cameroun.
Deux conceptions du futur Etat s’affrontent. Le colonialisateur veut un Cameroun sous la férule de la métropole qui laisserait aux structures dites traditionnelles le soin de régler quelques questions internes ne touchant pas à l’exploitation du sol et des humains. L’UPC veut un Etat indépendant qui transcende les ethnies pour faire un vrai Cameroun « moderne ».
En 1953, De Gaulle se rend à Douala à l’occasion de l’anniversaire du 18-Juin pour renforcer ses liens avec les colons – dont beaucoup avaient répondu à l’appel. Manière de leur donner un quitus anticipé dans la guerre de libération toute proche, qui fera plusieurs dizaines de milliers de morts et sera classée secret défense.
Il ne s’est jamais rien passé au Cameroun
En 1954, les revers s’accumulent pour l’impérialisme français : défaite de Diên Biên Phu et démarrage de la lutte armée en Algérie. Le gouvernement français doit absolument éviter la contagion, mais en même temps prouver à l’ONU que la situation est suffisamment grave pour justifier la répression. En décembre 1954, un nouveau haut-commissaire, Roland Pré, est nommé par Pierre Mendès France (future idole des socialistes). L’homme a la réputation d’un briseur de mouvements nationalistes, et a fait ses preuves au Gabon et en Guinée, déjà comme représentant de la République française. Son objectif assigné est de briser l’UPC.
Le 9 février 1955, Pré prend un « arrêté » selon lequel droit est donné à « toute autorité » – entendez à tout colon – de requérir la force publique pour disperser toute réunion suspecte de plus de deux personnes. En d’autres termes, le représentant de la France vient tout simplement de retirer aux Camerounais le droit de réunion en violant l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui considère que « toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ». Et, de fait, dans la mesure où l’UPC (forte surtout dans le Sud, en pays bamiléké et bassa) décide de braver l’interdiction, les forces de l’ordre interviennent contre tous les rassemblements organisés par elle, plus particulièrement entre le 22 et le 30 mai, ce qui entraîne la mort de 1 000 personnes dans un quartier de Douala et de 5 000 dans tout le reste du pays.
Le 13 juillet 1955, l’UPC est interdite par le gouvernement Edgar Faure, afin qu’elle ne puisse pas se présenter aux élections prévues en décembre. Une Armée de libération nationale du Kamerun (ALNK), clandestine, est créée. La lutte va durer jusqu’en 1971, après l’indépendance, date de l’exécution du dernier chef de l’UPC, Ernest Ouandié. Une guerre de près de quinze ans qui fera entre 100 000 et 200 000 morts (au moins).
Pré a fait son boulot préparatoire ; il faut maintenant un homme de la guerre totale à partir de 1956. Ce sera Pierre Messmer, nommé haut-commissaire (il le restera jusqu’en 1958). Les méthodes utilisées sont celles qui prévalent en Algérie : tortures, assassinats, décapitations, déportations… villages rasés, bombardement au napalm, populations déplacées… Des camps de concentration sont installés un peu partout dans les régions bamiléké et bassa. On procède même à des bombardements aériens.
« Tous les matins, on trouvait des têtes coupées exposées sur les trottoirs : elles étaient destinées à effrayer les gens et à leur dire : “Ne rejoignez pas le maquis, vous finirez comme eux” », témoigne la journaliste Henriette Ekwé, alors enfant. Dans le maquis aussi, la vie est infernale : « C’était une guerre asymétrique : nous n’avions que des machettes à opposer aux armes automatiques de l’armée française. En forêt, où nous vivions, nous n’avions rien à manger », se souvient un ancien résistant.
En 1958, Um Nyobè est tué. Ahmadou Ahidjo (lié aux Peuls du Nord) devient Premier ministre sous la houlette de Jacques Foccart. C’est une sorte de féal des Français qui combat l’ALNK par une politique de la terre brûlée, encadrée par l’armée française et supervisée par les hommes de Foccart. Il deviendra le premier Président du Cameroun indépendant depuis le 1er janvier 1960. Le système néocolonial est bien en place, mais la lutte armée se poursuit en pays bamiléké. Elle durera jusqu’en 1971, date de l’exécution du dernier chef de l’UPC, Ernest Ouandié. Le successeur de Nyobè, Félix Moumié, sera, lui, empoisonné à Genève par un agent du SDECE, les services secrets français.
1er février 1962, 57 nationalistes camerounais prisonniers sont embarqués dans un wagon sans aération pour être transférés de Douala vers une prison plus sûre, à Mokolo, centre des exécutions sommaires et de la torture. 38 kilomètres en quinze heures ; à l’arrivée, 25 détenus sont morts. Le 15 août 1966, une expédition militaire de mercenaires blancs tue encore 400 personnes… Si la lutte armée prend officiellement fin en 1971, le climat de terreur se poursuit au Cameroun jusqu’en 1990. Aussi bien avec Ahidjo, qui se retire en 1983, qu’avec Paul Biya (un chrétien du Sud), qui lui succède et est encore en poste aujourd’hui… Mais c’est une autre histoire.
JPD
Biblio de base :
Yves Benot, Massacres coloniaux, La Découverte, 1994.
Mongo Béti, Le Cameroun d’Ahidjo, 1972, interdit.
Les Temps modernes, novembre 1972, n° 316, « Main basse sur le Cameroun », Maspero, saisi.
François Xavier Verschave, La Françafrique – Le plus long scandale de la République, Stock,1998.
Richard Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun, Khartala, 1986
* C’est Mitterrand qui sera chargé par le gouvernement français de manœuvrer pour détacher le RDA du PCF, dès que ce dernier est chassé du pouvoir en France. Il y parviendra, et prendra ainsi naissance un élément fondamental de la longue construction de la Françafrique passant par l’ « indépendance » en 1960.
Le code de l’indigénat
Il date de 1881, et permet de distinguer les citoyens français de souche hexagonale des sujets français : Africains noirs, Malgaches, Algériens, Antillais, Mélanésiens… Il assujettit les autochtones au travail forcé, à des textes sur les réserves, à une interdiction de circuler la nuit… pour faire régner le « bon ordre colonial ». Ce code s’adapte localement aux besoins spécifiques et fluctuants des intérêts des colons. Le code a aussi comme objectif d’ôter aux indigènes toute identité collective en les privant de droits politiques. Chaque manquement aux règles est un délit puni d’emprisonnement ou de déportation.
Il fut aboli théoriquement le 7 avril 1946, mais perdura de fait, surtout en Algérie jusqu’à l’indépendance en 1962.
« ... Mais hélas ! / En réponse à la supplique / De ces hommes / Qui, sans armes ni bâtons, / Ni bouteilles, ni machettes, / Mains vides chantaient l’hymne national, / C’est la mitraille qui crépita, / Semant la mort et laissant le vide, / Dans les rangs, dans les familles, / Dans les villes et dans le pays. / Sans armes ni bâtons, ils étaient mains vides, / Mains vides, / Toujours mains vides, / Lâchement assassinés, / Ils moururent les uns après les autres, / Par dizaines et par centaines, / Ils moururent nombreux, / Sans armes ni bâtons, / Ni bouteilles, ni machettes, / Ils étaient mains vides, / Mains vides, ils furent abattus / Mains vides, ils sont morts... » Poème intitulé Mains vides de Atangana E. J., publié le 30 mai 1955 dans un journal à Yaoundé.