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France Inter : Philippe Poutou explose Pascale Clark en plein vol (audio)

par Luis

Publie le jeudi 24 novembre 2011 par Luis - Open-Publishing
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Par Bruno Roger-Petit

Le candidat du NPA à l’élection présidentielle était mercredi matin l’invité de Pascale Clark sur France Inter. Cette interview en forme de joute a fini par tourner en faveur de Philippe Poutou.

Gauche bobo contre gauche prolo. Décryptage.

Philippe Poutou, candidat à l’élection présidentielle pour le compte du NPA, était ce jeudi matin, l’invité de Pascale Clark sur France Inter. Ce fut un grand moment. Disons le tout net : Philippe Poutou est une arme médiatique de destruction massive.

Son inexpérience totale du monde public, des médias, de la vie parisienne moderne servent paradoxalement de fantastique révélateur à habitus des vedettes de la télé et de la radio. Il y a quinze jours, sa présence sur le plateau d’"On n’est pas couché" avait permis de démasquer les travers des tenanciers de l’émission, Ruquier, Pulvar, Polony et Onfray.

Des questions biaisées

Et ce matin, à la radio, Pascale Clark est tombée dans le piège tendu par le Candide médiatique, sans même s’en rendre compte, dévoilant comme ses petits camarades de France 2, son habitus, autrement dit (petit rappel pour tous les allergiques à Bourdieu) une manière d’être, une allure générale, une tenue, une disposition d’esprit qui sont aussi une manière de manifester cette domination de classe propre à la France d’aujourd’hui.

L’exercice est simple (l’entretien est à écouter ici). Il suffit d’examiner les 12 questions et relances adressées à Poutou en six minutes d’entretien. Autant de questions et relances que ne poserait jamais Pascale Clark à Copé, Hamon, Bayrou et autres habitués des interviews politiques qu’elle mène sur Inter. Qu’on en juge :

- Voilà cinq mois que vous avez été désigné candidat par le NPA, cela vous parait difficile ?

- Qu’est-ce qui est surtout compliqué pour vous ? Vous continuez à travailler ? Vous êtes toujours en poste à l’usine Ford de Blanquefort ?

- Vous êtes délégué CGT syndical, est-ce que vous dites que le monde syndical et le monde politique sont différents ? Ce sont d’autres codes ?

- Médiatiquement, est-ce que vous vous estimez mal traité ? Est-ce que vous trouvez que l’on vous parle mal ? Vous êtes l’objet de moqueries parfois. Votre nom, et le fait que vous ne soyez pas connu, pour employer un euphémisme.

- Vous êtes victime de mépris social, vous avez dit ?

- Vous trouvez que l’on a trop parlé du cas d’Agnès et pas assez fait la balance entre le cas d’Agnès et luttes sociales ?

- 500 signatures nécessaires pour être candidat, combien en avez-vous ?

- Quand vous constatez que les sondages vous donnent 0%, 0% c’est pas lourd, même avec la marge d’erreur, c’est compliqué (pouffements). C’est décourageant, comment vous réagissez à ça ?

- Vous êtes certain d’aller au bout ? Comme candidat NPA ?

- Vous êtes solidaire d’Eva Joly ? Vous avez vu comment elle est traitée ce matin dans la presse ?

- Et à l’issue du premier tour, si d’aventure vous n’êtes pas au deuxième (pouffements) vous appellerez à voter Hollande ?

- Philippe Poutou, on termine sur une bombe, mais on a plus le temps (pouffements).

On a coutume de dire très souvent, que dans les entretiens audiovisuels, la question comporte la réponse. Si l’on se fie à ce vieil adage, il est possible de tracer, en creux, le portrait que se fait Pascale Clark de Philippe Poutou.

Pour l’intervieweuse vedette de la radio publique, Poutou semble être un ouvrier sympathique, un brave type limité, une attraction amusante, un huron issu des classes populaires, une incongruité qui fait un peu tâche dans un studio de radio ou de télévision réservés à ceux qui en sont les habitués.

La bataille des habitus

Dépassés par sa situation de candidat à l’élection reine, mais il est aussi un ouvrier obsédé par un "mépris social" et des luttes de classes, choses bien moins importantes aux yeux de Pascale Clark qu’un émouvant fait divers ou les terribles attaques qu’endurent la pauvre Eva Joly, icône robespierriste de la gauche pure, celle qui voit bien au-delà de son atelier d’usine et des 3/8. A travers les questions posées, les relances, se dessine ainsi l’habitus de la personnalité qui mène cet entretien, un habitus authentiquement bourgeois.

Arrive donc le moment où il est impératif de sortir l’indispensable (mais indémodable) définition du bourgeois français vu par Marc Bloch.

 

"J’appelle donc bourgeois de chez nous un Français qui ne doit pas ses ressources au travail de ses mains ; dont les revenus, quelle qu’en soit l’origine, comme la très variable ampleur, lui permettent une aisance de moyens et lui procurent une sécurité, dans ce niveau, très supérieures aux hasardeuses possibilités du salaire ouvrier ; dont l’instruction, tantôt reçue dès l’enfance, si la famille est d’établissement ancien, tantôt acquise au cours d’une ascension sociale exceptionnelle, dépasse par sa richesse, sa tonalité ou ses prétentions, la norme de culture tout à fait commune ; qui enfin se sent ou se croit appartenir à une classe vouée à tenir dans la nation un rôle directeur et par mille détails, du costume, de la langue, de la bienséance, marque, plus ou moins instinctivement, son attachement à cette originalité du groupe et à ce prestige collectif."

Qu’on ne s’y trompe pas, l’enseignement que l’on peut tirer de cet échange Clark/Poutou dépasse de loin les leçons qu’il apporte sur l’habitus d’une talentueuse et brillante journaliste, souvent présentée, par elle-même et autrui, comme étant de sensibilité de gauche, ce qui est perceptible, notamment lorsqu’elle interroge des membres du Front national. L’interview illustre, par l’exemple et le symbole, le divorce d’une partie de la gauche française, bourgeoise, bohème, intellectuelle et médiatique avec la classe ouvrière de ce pays, et c’est bien pour cette raison que l’on s’y arrête. 

Il est saisissant de constater que Pascale Clark, implicitement, reproche à Poutou d’être obnubilé par le "mépris social" qui frappe les ouvriers de France, et le suspecte, dans le même temps, de ne pas être assez sensible à un fait divers ou aux problèmes d’Eva Joly.

On sent que Pascale Clark est stupéfaite, journaliste réputée de gauche, engagée et intransigeante, de constater que les soucis de Poutou l’ouvrier, ne collent pas avec l’idée qu’elle se fait de ce que doivent être les préoccupations d’un homme de gauche, fut-il prolétaire. Ce constat nous offre l’occasion de citer encore Marc Bloch évoquant le rapport de la bourgeoisie à la classe ouvrière lorsqu’elle s’indigne du sort qui lui est fait  :

"Dans ces foules au poing levé, exigeantes, un peu hargneuses et dont la violence traduisait une grande candeur, les plus charitables gémissaient de chercher désormais en vain le "bon pauvre" déférent des romans de Mme de Ségur."

Pascale Clark, comtesse de Ségur d’Inter occasionnelle, n’a pas trouvé en Philippe Poutou, "le bon pauvre" contemporain qu’elle recherchait. On imagine sa déception. Et la nôtre, pour d’autres raisons.

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/216905;france-inter-quand-philippe-poutou-npa-explose-pascale-clark-en-plein-vol.html


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