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La guerre volée

par Uri Avnery (gush shalom)

Publie le vendredi 13 janvier 2012 par Uri Avnery (gush shalom) - Open-Publishing

Uri Avnery - Gush Shalom, lundi 9 janvier 2012

N’Y A-​​T-​​IL aucune limite à l’infamie du Hamas ? Il sem­blerait qu’il n’y en ait pas. Cette semaine il a commis quelque chose d’absolument impar­don­nable. Il a volé une guerre.

DEPUIS PLU­SIEURS semaines main­tenant, notre presque nouveau chef d’état major, Benny Gantz, annonce à chaque fois qu’il en a la pos­si­bilité qu’une nou­velle guerre contre Gaza est inévi­table. Plu­sieurs com­man­dants d’unités autour de la Bande ont répété la ter­rible pré­vision, tout comme leurs sym­pa­thi­sants, connus aussi sous l’appellation de com­men­ta­teurs militaires.

L’un d’eux nous a ras­surés. C’est vrai, le Hamas peut main­tenant frapper Tel Aviv avec ses roquettes, mais ce ne sera pas si ter­rible, parce qu’il s’agira d’une guerre courte. Juste trois ou quatre jours. Comme l’a dit l’un des généraux, ce sera bien plus “dur et dou­loureux ” (pour les Arabes) que Plomb Durci N°1, ainsi cela ne durera pas trois semaines comme alors. Nous res­terons tous dans nos abris – en tout cas ceux d’entre nous qui dis­posent d’abris – pour quelques jours seulement.

Pourquoi la guerre est-​​elle inévi­table ? À cause du ter­ro­risme, idiot. Le Hamas est une orga­ni­sation ter­ro­riste, non ?

Mais voici que se pré­sente le chef suprême du Hamas, Khaled Meshal, et qu’il déclare que le Hamas a renoncé à toute action vio­lente. À partir de main­tenant, il va se concentrer sur des mani­fes­ta­tions de masse non-​​violentes, dans l’esprit du prin­temps arabe.

Lorsque le Hamas renonce au ter­ro­risme, il ne reste plus aucun pré­texte pour attaquer Gaza. Mais, est-​​il besoin d’un pré­texte ? Notre armée ne va pas se laisser contre­carrer par des gens comme Meshal. Si l’armée veut une guerre, elle aura une guerre. On en a eu la preuve en 1982, lorsqu’Ariel Sharon attaqua le Liban, en dépit du fait que la fron­tière liba­naise avait été abso­lument calme pendant 11 mois. (Après la guerre, le mythe était né selon lequel la guerre avait été pré­cédée de tirs quo­ti­diens. Aujourd’hui, presque tous les Israé­liens peuvent “se sou­venir” des tirs – un exemple extra­or­di­naire du pouvoir de suggestion.

Pourquoi le chef d’état major veut-​​il attaquer ?

Un cynique pourrait dire que tout nouveau chef d’état major a besoin d’une guerre à lui. Mais nous ne sommes pas des cyniques, n’est-ce pas ?

Il ne se passe pas quelques jours sans qu’une roquette isolée ne soit lancée sur Israël depuis la Bande de Gaza. Cela fait des mois main­tenant que per­sonne n’a été blessé. La séquence habi­tuelle est la sui­vante : notre armée de l’air procède à une “liqui­dation ciblée” de mili­tants pales­ti­niens dans la Bande. L’armée prétend inva­ria­blement que ces “ter­ro­ristes” bien précis avaient l’intention d’attaquer des Israé­liens. Comment l’armée avait-​​elle connais­sance de leurs inten­tions ? Eh bien notre armée est passée maître dans la lecture des pensées.

Après que ces per­sonnes ont été tuées, leur orga­ni­sation considère de son devoir de venger leur sang en lançant une roquette ou un obus de mortier, voire même deux ou trois. Cela “ne peut être toléré” par l’armée, et ainsi de suite.

Après chacun de ces épisodes, l’évocation d’une guerre reprend. Comme l’ont déclaré des hommes poli­tiques amé­ri­cains à des confé­rences de l’AIPAC : “Aucun pays ne peut tolérer que ses citoyens soient exposés à des tirs de roquettes !”

Mais bien sûr les raisons pour un Plomb Durci N° 2 sont plus sérieuses. Le Hamas est en train d’être accepté par la com­mu­nauté inter­na­tionale. Son Premier ministre, Ismaël Haniyeh, voyage actuel­lement dans le monde arabe et musulman, après avoir été enfermé à Gaza – une sorte de mise aux arrêts dans la Bande – pendant quatre ans. Main­tenant il peut aller en Égypte parce que les Frères Musulmans, orga­ni­sation parente du Hamas, sont devenus un par­te­naire majeur dans ce pays.

Et bien pire, le Hamas est sur le point de rejoindre l’OLP et de par­ti­ciper au gou­ver­nement pales­tinien. Il est grand temps de faire quelque chose. Attaquer Gaza, par exemple. Contraindre le Hamas à rede­venir extrémiste.

NON CONTENT de nous voler notre guerre, Meshal est en train de se livrer à une suite d’actions encore plus menaçantes.

En rejoi­gnant l’OLP, il associe le Hamas aux accords d’Oslo et à tous les autres accords entre Israël et l’OLP. Il a annoncé que le Hamas accepte un État pales­tinien dans les fron­tières de 1967. Il a fait savoir que le Hamas ne se pré­sen­terait pas à la pré­si­dence pales­ti­nienne cette année, de sorte que le can­didat du Fatah – quel qu’il puisse être – serait élu pra­ti­quement sans oppo­sition et serait en mesure de négocier avec Israël.

Tout cela met­trait le gou­ver­nement actuel d’Israël dans une position incon­for­table. Meshal a quelque expé­rience pour créer des ennuis à Israël. En 1997, le (premier) gou­ver­nement Néta­nyahou avait décidé de s’en débar­rasser à Amman. Une équipe d’agents du Mossad fut envoyée pour l’assassiner dans la rue en lui injectant un poison indé­tec­table dans l’oreille. Mais au lieu de faire ce qui convenait et de mourir tran­quillement d’une cause mys­té­rieuse comme Yasser Arafat, il laissa ses gardes du corps prendre en chasse les atta­quants et s’en emparer.

Le roi Hussein, ami et allié de vieille date d’Israël, entra dans une fureur noire. Il mit Néta­nyahou face à un choix : ou bien ses agents seraient jugés en Jor­danie avec le risque d’être pendus, ou le Mossad envoyait immé­dia­tement l’antidote secret pour sauver Meshal. Néta­nyahou capitula, et voilà que nous avons Meshal, en pleine forme.

Autre résultat curieux de cette mésa­venture : le roi exigea que le fon­dateur et diri­geant du Hamas, le Cheikh Ahmed Yacine, soit libéré de sa prison israé­lienne. Néta­nyahou dut céder, Yacine fut libéré et assassiné par Israël sept années plus tard. Lorsque son suc­cesseur, Abd al-​​Aziz Ran­tissi fut assassiné à son tour peu après, la voie était libre pour que Meshal puisse devenir le chef du Hamas.

Et au lieu de témoigner sa gra­titude, il nous met main­tenant face à un affreux défi : action non-​​violente, ouver­tures de paix indi­rectes, la solution à deux États.

QUESTION : pourquoi notre chef d’état major meurt-​​il d’envie d’une petite guerre à Gaza, alors qu’il pourrait avoir toute la guerre qu’il désire en Iran ? Pas seulement une petite opé­ration, mais une grande guerre, une très, très grande guerre.

Eh bien, il sait qu’il ne peut pas l’avoir.

Il y a quelque temps j’ai fait quelque chose qu’aucun com­men­tateur che­vronné ne fait jamais. J’ai promis qu’il n’y aurait aucune attaque mili­taire israé­lienne contre l’Iran. (Ni, d’ailleurs, aucune attaque américaine.)

Un jour­na­liste ou un homme poli­tique che­vronné ne fait jamais une telle pré­diction sans se ménager une porte de sortie. Il formule un discret “à moins que”. Si sa pré­vision ne se réalise pas, il rap­pelle cette porte de sortie.

Je peux dire que j’ai une expé­rience cer­taine– de quelques 60 années – mais je ne me suis alors réservé aucune porte de sortie. J’ai dit “Pas de Guerre”, et voilà que main­tenant le général Gantz dit la même chose en bien plus de mots. Pas de Téhéran, juste la pauvre petite Gaza.

Pourquoi ? À cause de ce seul mot : Hormuz.

Il ne s’agit pas du vieux dieu persan Hormuzd, mais de l’étroit passage d’entrée et de sortie du Golfe Per­sique, à travers lequel transite 20% du pétrole mondial (et 35% du pétrole trans­porté par voie maritime). Ma position était qu’aucun diri­geant sain d’esprit (ou même légè­rement dérangé) ne pren­drait le risque de la fer­meture du détroit, parce que les consé­quences écono­miques seraient catas­tro­phiques, voire apocalyptiques.

IL SEMBLE que les diri­geants ira­niens n’étaient pas cer­tains que tous les diri­geants du monde lisent ma chro­nique, c’est pourquoi, à tout hasard, ils l’ont eux-​​mêmes exprimé. Cette semaine, ils ont conduit des manœuvres mili­taires spec­ta­cu­laires dans les parages du Détroit d’Hormuz, accom­pa­gnées de menaces non équi­voques de le fermer.

Les États-​​Unis ont riposté par d’orgueilleuses contre-​​menaces. L’invincible marine de guerre des États-​​Unis était prête à ouvrir le détroit par la force si nécessaire.

De quelle manière, s’il vous plait ? Le plus puissant porte-​​avions valant plu­sieurs mil­liards de dollars peut aisément être coulé par une bat­terie de mis­siles terre-​​mer peu coûteux, comme par de petits navires équipés de mis­siles. Sup­posons que l’Iran com­mence à mettre ses menaces à exé­cution. Toute la puis­sance aérienne et navale des États-​​Unis est mise en œuvre. Des navires ira­niens seront coulés, des ins­tal­la­tions mili­taires et des bases de mis­siles seront bom­bardées. Les mis­siles ira­niens seront néan­moins lancés, rendant le passage par le détroit impossible.

Et ensuite ? Il n’y aura pas d’autre solution que de “poser les bottes sur le terrain”. L’armée des États-​​Unis devra débarquer sur le rivage et occuper tout le ter­ri­toire d’où il est effec­ti­vement pos­sible de lancer des mis­siles. Ce sera une opé­ration de grande envergure. On pourra s’attendre à une résis­tance ira­nienne acharnée, si l’on en juge par l’expérience de la guerre de huit ans entre l’Iran et l’Irak. Les puits de pétrole de l’Arabie Saoudite voisine et des autres États du Golfe seront frappés eux aussi.

Une telle guerre dépas­serait de très loin les dimen­sions des inva­sions amé­ri­caines de l’Irak et de l’Afghanistan, peut-​​être même du Vietnam.

Est-​​ce que les États-​​Unis en faillite en sont capables ? Écono­mi­quement, poli­ti­quement et en terme de morale ? La fer­meture du détroit est l’arme ultime. Je ne pense pas que les Ira­niens y fassent appel en riposte à l’imposition de sanc­tions, aussi sévères soient-​​elles, comme ils en ont brandi la menace. Seule une attaque mili­taire jus­ti­fierait une telle réponse.

Si Israël atta­quait seul – “l’idée la plus stupide dont j’ai jamais entendu parler,” selon l’expression de notre ancien chef du Mossad – cela ne chan­gerait rien. L’Iran consi­dé­rerait la chose comme une action amé­ri­caine et fer­merait le détroit. Voilà pourquoi l’administration Obama y a mis le holà, et a remis en mains propres à Néta­nyahou et à Ehoud Barak un ordre clair de s’abstenir de toute action militaire.

Voilà où nous en sommes main­tenant. Pas de guerre contre l’Iran. Juste la pers­pective d’une guerre contre Gaza. Et c’est alors qu’intervient cet abo­mi­nable Meshal qui essaie d’en gâcher les chances, lui aussi.

publié sur le site de Gush Shalom
Traduit de l’anglais The Stolen War pour l’AFPS : FL/​​PHL
http://www.france-palestine.org/spip.php?article19010