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Et si la France demandait pardon, les Algériens sont-ils en mesure de pardonner

par CHABANE NORDINE

Publie le lundi 20 février 2012 par CHABANE NORDINE - Open-Publishing
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LA QUESTION DES HARKIS, PARLONS-EN AU SENS DE LA TRIPLE VÉRITÉ CULTURELLE : HISTORIQUE, HUMAINE ET MORALE.

En 1962, à l’indépendance, il y avait des odeurs de pourriture, un mélange d’ordures, mêlé aux cadavres des bêtes abandonnées par les Européens d’Algérie, qui n’avaient de cesse que de quitter Alger la Blanche devenue rouge de sang. Les oiseaux, les chiens, les chats et autres animaux domestiques, toutes races confondues, finissaient par mourir de faim, et leurs cadavres mêlés aux ordures ménagères qui s’amoncelaient, dégageait une odeur de salpêtre, qui était elle-même enveloppée de la fumée qui s’échappait des amoncellements de meubles et de voitures que les propriétaires brûlaient, un peu partout, faute de ne pouvoir les emmener avec eux.
Dans ce brouillard d’incertitude, une chose était certaine ; l’Algérie venait d’être indépendante, et la joie du peuple en liesse soufflait si fort des bouches des femmes qui lançaient des « youyous », que personne ne ressentait les choses comme moi. Tout le peuple algérien était heureux.
Moi je l’étais moins, occupé à essuyer les larmes de ma pauvre mère qui avait perdu son mari, son fils et son frère, tous tombés au Champ d’honneur. Cette femme, ma mère, n’avait plus que moi, « seul rescapé » des hommes de ma famille. Je revenais sous-officier de l’ALN que j’avais rejoint à la mort de mon père alors que je n’avais que 17 ans.
Quelques mois après l’indépendance, alors que j’allais sur mes 19 ans, et qu’il y avait encore à Alger des familles d’Européens, appelés pieds noirs, j’ai un jour fait la connaissance de deux dames de l’âge de ma mère, la cinquantaine. Et dans la discussion, elles me firent la confidence de ce qu’elles aussi avaient perdu ; l’une son fils et l’autre son mari, des militaires de l’armée française, tués par ceux qu’elles appelaient les gens du FLN.
Une idée me traversa l’esprit et je décidai de les inviter chez moi pour les présenter à ma mère. Je voulais savoir ce que produirait la rencontre de ces femmes dont les hommes de l’une avaient peut-être tué ceux des deux autres ? Et vice-versa. En tout cas, je voulais savoir ce que produirait la rencontre de ces femmes d’ennemis.
Arrivés chez moi, ma mère parlant très bien le français les a reçu gentiment, et je les lui ai présentées en lui racontant que l’une avait perdu son mari et l’autre son fils. Et à ces deux dames, j’ai fait part du malheur de ma mère. Elles se sont regardées une fraction de seconde et elles sont tombées en sanglots dans les bras l’une de l’autre. Elles pleuraient tellement fort que je ne distinguais plus ni les pleurs ni la voix de ma mère de celles de ces Françaises. Elles se serraient tellement fort qu’il m’a fallu l’aide d’un ami présent pour les séparer. Elles se sont assises au salon, et se sont mises à discuter entres elles de leurs malheurs. Ce jour-là, je compris ce que c’était que la guerre d’Algérie.
Et depuis, j’ai quitté l’armée pour me consacrer à la construction de ce que d’autres hommes ont détruit. Ayant survécu à la guerre d’Algérie et après un long travail sur ma personne, l’essentiel de mes efforts, aujourd’hui, consiste à répandre le message du pardon et de la réconciliation entre tous ceux qui sont nés sur la terre d’Algérie, pour lesquels, quelles que soient leurs religions ou leurs nationalités, je n’ai que de l’amour.
On est en droit de se demander pourquoi prendre en charge une tâche aussi difficile ? Mais c’est très simple : c’est parce qu’il y a tant de blessés à soigner, tant de blessures à guérir :
1-) S’il y a une culture mondiale aujourd’hui, c’est celle de la mort. De l’Afrique à l’Europe à l’Amérique, télévision, cinéma, journaux, littérature – tout n’est que violence, vengeance, amertume et ressentiment.
2-) Le cycle est sans fin : chaque guerre en amène une autre, chaque violence davantage de violence. Toute personne ou groupe de personnes semble avoir son ennemi. Chose surprenante, ces« ennemis » ne sont souvent plus présents ; dans certains cas, ils ne sont même plus vivants. Mais le véritable ennemi, celui qui nous menace tous, a plusieurs visa-ges : c’est la colère et l’amertume que l’on porte chaque jour en soi, la peur et l’anxiété qui dorment à nos côtés la nuit. Nul besoin de voir l’ennemi en un autre – il est en nous. Nous nous tuons nous-mêmes. El khir fina oua char fina (Si Boudiaf, Allah yarahmou).
Loin de moi l’intention de dénigrer notre Révolution et les hommes qui l’ont inspirée, ceux qui l’ont conçue, jusqu’à ceux qui l’ont réalisée. Loin de moi l’intention de diminuer de la qualité de nos chouhada et moudjahidine, puisque mon père, mon frère et mon oncle sont tous trois tombés au champ d’honneur sous la bannière de l’ALN ; ma mère est une moudjahida et moi-même je fus impliqué dans la lutte de libération dès l’âge de 15 ans, et à la mort de mon père j’ai rejoint à mon tour l’ALN alors que je n’avais que 17 ans. Je ne peux donc ni me renier ni me désavouer. Et étant l’héritier et le gardien de notre passé, je suis aussi à 68 ans un témoin des événements de l’époque moderne.
Et pour toutes ces raisons, je ne peux donc rester insensible à ce que devrait être mon pays si toute la famille algérienne dans ses différentes branches se retrouvait, les manches retroussées, pour que notre pays devienne un paradis sur terre. Aussi, et pour que l’on comprenne bien les raisons de cette intervention, je tiens à signaler que mon intention ici est de poser la question cruciale de savoir, jusqu’à quand les tabous ? Jusqu’à quand l’entretien des mythes qui ne servent ni notre pays, ni notre peuple ? Nous sommes dans la voie de la réconciliation avec notre ennemi d’hier, avec lequel, pour peu que le représentant principal de l’Etat français fasse la reconnaissance du tort fait à l’Algérie, que le pardon devra régner, pour passer à une autre page de l’histoire.
Des voix exigent de la France une demande de pardon ; certes, cette reconnaissance tôt ou tard sera faite. Les Algériens sont-ils prêts à pardonner à ceux qui demanderont pardon ? A ma connaissance personne ne s’est encore soucié de cette question. C’est pourquoi je me sens le devoir de le faire. Et même si, pour certains, je le fais mal, le mérite aura été de l’avoir dit. Pour parler réellement et honnêtement de ce qu’a vécu notre pays depuis l’occupation coloniale, de 1830 à 1962, il faut bien retenir que le mal qui a été fait a touché l’ensemble de la société algérienne, appelée indigène à l’époque. Et ce mal était fait sans distinction ; il était fait à tous les indigènes quels qu’ils soient. Et ces indigènes ont pour la plupart souffert de l’occupation, mis à part quelques centaines de familles, collaborateurs, caïds et bachaghas.
Quant au reste de la population, ils allaient presque tous sans exception nu-pieds, jusque dans les grandes villes d’Algérie, où pavoisait la bourgeoisie Européenne d’Algérie. L’Algérie ayant été l’objet d’une politique de peuplement, des gens de toutes sortes, familles issues de nombreux pays européens furent appelés à peupler l’Algérie, comme si celle-ci était un territoire vide de tout habitant. Et c’est ainsi que des milliers de familles furent trompées et contre un lopin de terre et les moyens de labourer, ils furent déclarés propriétaires d’une terre que l’autorité française n’avait pas le droit de céder puisque n’étant pas la sienne.
C’est ainsi que les nouveaux occupants de l’Algérie Française furent trompés et travaillèrent une terre qu’ils croyaient être française, et qui en fait ne l’était pas puisque 132 ans plus tard, l’Algérie sera algérienne, et les pieds-noirs la quittèrent sous l’influence d’une organisation secrète, l’Oas, qui allait mettre le pays à feu et à sang. Faisant fuir les familles de pieds-noirs et de harkis vers la métropole française où ils furent très mal accueillis et souffrirent d’un nouveau départ avec toutes les difficultés d’installation et d’adaptation qui allaient s’en- suivre.
En 1959, les pieds noirs étaient plus d’un million, soit 10,4 % de la population vivant en Algérie. Concentrés dans les régions côtières, ils représentaient 35,7 % de la population dans l’Algérois, 40,5 % à Bône et 49, 3 % à Oran. Cela dit, l’on ne peut pas parler des méfaits de la France en considérant que les pieds- noirs et les harkis ne sont pas à prendre en compte ni à considérer dans l’évaluation du tort qu’a fait l’autorité française de l’époque à l’Algérie en lui faisant la guerre. Car les pieds-noirs ont été trompés pour être ramenés en Algérie par le pouvoir politique de l’Etat Français pour peupler l’Algérie, et les harkis, avant de devenir harkis, étaient des indigènes qui subissaient le joug colonial comme tous les autres Algériens. C’est l’armée française qui a utilisé le maillon faible de la société algérienne pour en faire des mercenaires qu’elle a entraîné à combattre leurs propres frères et cousins, qui eux combattaient pour l’indépendance et la libération de la patrie Algérie.
Cet acte est à l’origine du grave fratricide, qui s’en est suivi. Pour comprendre cet état de choses, il nous faut situer les faits dans leur con-texte, et revenir à cette époque. A savoir que le mouvement indépendantiste algérien était représenté par Messali, vénéré par les militants du PPA/MTLD, son parti, dans lequel il y a eu une scission, entre ceux qui était pour le déclenchement de la lutte armée de libération nationale et ceux qui suivaient Messali dans la voie pacifique pour le recouvrement de l’indépendance.

Aussi rappelons à ceux qui ne le savent pas que le 14 juillet 1953 (2) il y a eu, lors de la manifestation autorisée et non violente, organisée par les syndicats et les partis de la gauche française à Paris, à laquelle participaient les nationalistes algériens du PPA-MTLD. Ce jour-là, à l’arrivée du cortège, place de la Nation à Paris, la police française a voulu arracher des drapeaux algériens aux manifestants qui ne se sont pas laissé faire puisqu’ils ont riposté. C’est à ce moment-là que les forces de l’ordre ont, sans sommation, ouvert le feu, tuant six Algériens et un Français. Il y a eu aussi plus d’une dizaine de blessés par balles... Un carnage qui allait accélérer le recours à la force armée par les jeunes du Parti, qui ne supportaient plus de se voir laminer à profusion.
Cependant, alors que le CRUA (Comité révolutionnaire d’unité et d’Action) préparait la rencontre historique des « 22 » en vue du déclenchement de la lutte armée de libération nationale, la décision d’entreprendre la lutte armée fut déclarée dans la dernière réunion du PPA/ MTLD tenue à Birkhadem (Alger). Ainsi le parti de Messali se rallia à la solution du recours aux armes pour libérer le pays du joug colonial et déclara par la voix de son représentant officiel que le déclenchement du soulèvement se fera avant la nouvelle année 1955, c’est-à- dire au plus tard le 31 décembre 1954. Et alors Messali créa le Mouvement national algérien (3), El Haraka Watania Djazaïria (M.N.A).
Dans le même laps de temps, le groupe du CRUA organisa la réunion historique des « 22 », et la lutte de libération armée fut déclenchée le 1er novembre 1954, sous l’égide du FLN/ALN dirigé par Boudiaf, Ben Boulaïd, Didouche, Ben M’hidi, Bitat et Krim. Et c’est là que la première et grave confusion allait se produire, à savoir que :
- Les militants MNA savaient par leurs chefs que la révolte était imminente, si bien que dès les premiers coups de feu de Novembre, ils rejoignirent les maquis pour combattre et se mirent à la disposition de l’ALN, croyant que c’était la structure militaire de leur parti.
- Mais lorsqu’ils comprirent que l’ALN était dirigée par le FLN et non par le MNA, et que la lutte était dirigée par d’autres chefs que leur leader Messali, ces militants, tels qu’ils ont été formés dans l’adoration de Messali El Hadj, tel un prophète, ne purent accepter d’autre chef que lui.
- Et refusant de servir sous les ordres d’autres personnes que ceux qu’ils avaient élues dans le cadre de leur parti, ils refuseront d’obtempérer aux ordres des chefs du FLN/ALN, ce qui en terme de lutte patriotique révolutionnaire signifie un refus d’obtempérer, et les désertions qui suivirent signifiaient un manquement aux devoirs patriotiques, qui est très facilement qualifié de trahison.
- Ainsi les messalistes qui refusèrent de combattre sous la bannière du FLN/ALN et de ces représentants furent déclarés traîtres et condamnés à mort à exécuter sans sommation. Certains furent exécutés et d’autres s’enfuirent.
- Vers qui, et où pouvaient-ils être à l’abri sinon chez Belounis, le créateur et chef de l’armée du MNA (4) « El Haraka Watania », dont les membres étaient des harkis. Belounis voulait rallier à lui tous ceux qui ne voulaient pas combattre sous la bannière du FLN/ALN et qui voulaient intégrer les rangs d’une unité messaliste, pour combattre eux aussi le colonialisme. - Mais ne pouvant résister aux assauts de l’ALN plus forte qu’elle, la haraka de Belounis et ses harkis fut décimée par les troupes de l’ALN.
- C’est alors que Belounis commit la grave erreur d’accepter l’aide de l’armée française, qui allait en faire une contre- guérilla, armée et financée par elle, dans le but de faire combattre l’indigène par son frère l’indigène.
- Et c’est là que prit forme la pernicieuse politique de diviser pour régner que l’armée française a su appliquer avec zèle dans notre pays.
Malgré l’aide et l’assistance de l’armée française, cette Haraka watania ne put résister aux assauts vindicatifs des hom-mes de l’ALN. Et ceux qui survécurent sachant que l’ALN ne faisait pas de prisonniers, les harkis, instinct de survie oblige, fuyant l’égorgement, rejoignirent le seul endroit où ils pouvaient être à l’abri du châtiment, à savoir les casernes de l’armée française. - C’est ainsi que la Haraka watania devint la colonne dont allaient se servir les dirigeants politiques et militaires français, pour créer une troisième force susceptible de juguler les forces du FLN/ALN.

La haraka watania du MNA devint la harka qui allait être formée, équipée et entraînée par les services spéciaux français qui allaient en faire le fer de lance de la guerre d’Algérie. Tout indigène qui ralliait l’armée française fut intégré dans la harka et surnommé harki. Qui, parmi les indigènes algériens, rejoignait ceux qui étaient déjà dans la haraka et qui se targuaient d’être des patriotes fidèles à leur parti, le MNA, et à leur chef Messali El Hadj ? Dès lors, tous ceux qui désertaient l’ALN et rejoignaient la haraka, devinrent des harkis. Des harkis qui ont servi dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie (1954-1962).
On peut en dénombrer dix types :
1) ceux qui, crevant de faim, n’avaient d’autre recours que de rejoindre l’armée française pour y gagner de quoi vivre
2) ceux, qui n’ayant pas pu supporter la vie dure et les risques dans l’ALN, ont regretté d’y être venus et déserté pour plus de commodités
3) ceux dont la famille a subi les représailles du FLN/ALN, et qui ont rejoint l’armée française par vengeance
4) ceux qui ont commencé à travailler auprès de l’armée française qui leur a fait miroiter de belles choses pour les recruter
5) ceux qui, voyous et bandits de grands chemins, ont vu la possibilité de pratiquer leur sale besogne sous le couvert de l’armée française
6) ceux qui ont réellement été attirés par le chant des services psychologiques français qui s’occupaient du recrutement
7) ceux qui ont été appelés au service militaire français et qui, s’y étant plus, ont rempilé
8) ceux qui ne croyaient pas en l’Algérie algérienne et qui ont préféré combattre pour l’Algérie française
9) les ignorants qui se sont laissés entraîner par leurs camarades
10) les réels messalistes qui croyaient dur comme fer en leur idéologie et ne reconnaissaient d’autre chef que leur idole Messali El Hadj. Les harkis étaient des indigènes connaissant la mentalité de leurs adversaires et le terrain sur lequel ils évoluaient.
Véritables renifleurs, armés et bien entraînés, ils formaient un corps d’élite spécialisé dans la chasse aux rebelles, dont ils étaient capables de parler la langue, de s’habiller comme eux, de se fondre dans la masse jusqu’à être pris pour des rebelles et, ainsi, arriver à toucher des points sensibles de l’organisation du FLN/ALN.
Les harkis, c’est vrai, avaient formé un corps dangereux contre ceux qui combattaient l’armée française, c’est-à-dire les patriotes du FLN/ALN qui voulaient une Algérie libre et indépendante de la tutelle française.
Le 19 mars 1962, jour de la proclamation du cessez-le-feu, selon le rapport fait à l’Organisation des Nations unies, on dénombrait en Algérie 263 000 musulmans engagés du côté français, 60 000 militaires réguliers, 153 000 supplétifs, dont 60 000 harkis, et 50 000 notables francophiles représentant, familles comprises, près de 1 000 000 de personnes sur 8 millions d’Algériens. Le ministère français des Armées a évalué à 4 500 le nombre de soldats algériens indigènes morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et à plus de 600 les disparus.
Pourquoi ai-je évoqué la question des harkis avant toute autre chose ? Tout simplement pour dire que ces gens-là sont aussi, pour la plupart, des victimes de la France. Et tous harkis qu’ils étaient, sachant même que ce sont des personnes condamnées au sens de la vindicte populaire algérienne et qui sont les bras à l’origine des meurtres de mes parents, me font de la peine lorsque je vois ce qui leur est arrivé après la fin de la guerre. Oui, ils me font de la peine ces harkis et ces pieds-noirs, lorsque je vois comment ils ont été accueillis en France et la misère qu’ils ont vécue chez cette même autorité qui les a utilisés.
J’ai de la peine pour eux parce que la vie m’a appris que l’intelligence, c’est comprendre tout au point de tout pardonner. Et moi j’ai pardonné. Ce n’est pas pour autant que j’ai oublié. Pour preuve, j’en parle.
Et pour bien situer les choses dans leur contexte, il convient de rappeler que, durant les événements d’Algérie, il y a eu dans la guerre d’Algérie :
1) la guerre du maintien colonial que faisait l’armée française aux indépendantistes algériens qui menaient une lutte armée de libération nationale dans le cadre de l’organisation du FLN/ALN
2) dans cette guerre d’Algérie, il a été provoqué par l’armée française un fratricide, « une guerre civile entre Algériens, messalistes et djabhistes-FLNiste »
3) dans cette même guerre d’Algérie, il y a eu une guerre civile franco-française entre l’armée secrète, l’OAS, et l’armée française, qui, en tirant dans le tas, a aussi tué nombre d’Européens d’Algérie dits pieds-noirs. Ces trois guerres ont été provoquées par la politique française de l’époque. La France doit donc assumer la responsabilité de tout ce qui en découle. C’est pourquoi les méfaits de la France coloniale seront reconnus par les représentants de la France, cela viendra en son temps. Mais ce qui est intéressant de comprendre aujourd’hui, c’est que nos héros, les moudjahidine, et leurs ennemis, les harkis, sont tous en voie d’extinction. Heureusement, avant leur disparition, nous avons pu les voir se serrer la main et discuter entre eux de la guerre qui les a fait s’affronter.
Alors, pour arriver au vif du problème, il nous faut nous rappeler que, partout dans le monde, les pays qui se sont combattus sont redevenus amis et même de très bons amis. A titre d’exemple, souvenons-nous, l’Allemagne a fait en France ce que la France a fait en Algérie : conquérir un pays riche par son agriculture et ses ressources, l’exploiter à son profit, imposer sa langue et sa culture, imposer un service militaire, il y a eu colonisation de l’Alsace-Lorraine, une région aussi riche que l’Algérie, avec une population supérieure à celle d’Algérie.
Aux siècles précédents, l’Angleterre s’était aussi acharnée à conquérir par la force des territoires de France avec la même violence, les mêmes haines et des morts innombrables (colonisation de la côte atlantique de Bordeaux à la Bretagne). Tout servait à justifier la guerre : la vie civile, économique, la religion, la formation nationale. Sans ces guerres et avec une démographie normale, la population française serait double aujourd’hui. Or, qu’en est-il aujourd’hui ? A ce que je vois, entre la France et l’Allemagne, on a enterré la hache de guerre, dépassé les conflits, les haines, la violence, les dizaines de millions de morts, et on a fait la paix. On circule librement d’un pays à l’autre. La jeunesse en profite, le commerce aussi. Le minerai de fer lorrain sert à la métallurgie allemande et le blé et l’élevage nourrissent les allemands. Pour autant, rien n’est oublié, mais on évite de rabâcher et de répandre la haine dans le cœur et les esprits. Cinquante ans après la guerre, ces pays sont sortis des conflits qui semblaient insurmontables.

Au contraire en Algérie, après une période d’espoir avec les nationalistes (1962-1970), on arrive 50 ans après la fin de la guerre de libération à relancer et à entretenir des sentiments dépassés. Pour servir quelle cause, quels intérêts, quelle frustration ? Les Algériens super nationalistes disent : « On ne veut pas que les étrangers s’emparent de nos richesses ». Or, le problème n’est plus d’avoir des richesses comme cet avare affamé assis sur son coffre d’or, mais d’en tirer profit, d’en faire l’exploitation, d’en faire profiter les populations concernées.
Quel filet, quel culte du rejet emprisonne et empoisonne la population, la jeunesse ? Que veut-on exactement ? Refaire la colonisation autochtone ? Refaire la révolution islamique avec des historiens, des scientifiques et des combattants ? C’est non seulement un prétexte pour ne rien bouger, mais aussi pour tenter de justifier les abus du temps présent à travers un miroir déformant. Il est temps de le comprendre.
C’est la première condition du rapprochement de notre pays, avec les autres. Alors, commençons pas le commencement et, là, il n’est plus question des acteurs de l’histoire mais de leur progéniture, à savoir les enfants de pieds-noirs, et de harkis, les enfants de moudjahidine et les enfants de chouhada, qui sont tous des victimes civiles de la guerre qu’a faite la France en Algérie. La violence de la guerre d’Algérie faite par le colonialisme français à notre pays est indéniablement l’acte qui a créé toutes les violences qui ont suivi et cela jusqu’au terrorisme que nous vivons à ce jour.
Car la violence trouve ses origines dans un certain mois de juillet 1830 et il s’en est suivi que les Algériens n’avaient d’autres alternative que d’utiliser la violence à leur tour pour libérer leur pays de l’occupant étranger. Et puis, ce fut le tour des enfants de la guerre d’Algérie d’imiter leurs prédécesseurs comme si la violence était chez les Algériens un phénomène de société et, pour cela, rappelons-nous aussi que les terroristes étaient pour la plupart soit des fils de harkis, soit des fils de moudjahidine, soit des fils de chouhada ! Les journaux des années 1990 sont encore là pour le prouver. Et cela, il faut toujours l’avoir présent à l’esprit pour la bonne compréhension des évènements et des choses de la vie.
Car la violence n’a jamais été un phénomène inné à la société algérienne. Bien au contraire, le virus de la violence nous a été inoculé par les injustices que nous a faites l’occupation étrangère et plus particulièrement sophistiquées par la France « civilisatrice ». D’ailleurs, il ne peut y avoir de réelle réconciliation en Algérie entre Algériens si l’on ne prend pas le mal à la racine et que l’on ne commence par réconcilier les Algériens avec leur histoire.
C’est pourquoi il faut démystifier, désacraliser et dénationaliser notre histoire, afin d’aboutir à la triple vérité culturelle. Car, dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’Etat, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire. La question des moudjahidine et des harkis, tous deux acteurs de l’histoire, n’a pas encore été vue, réfléchie et analysée comme l’exige la triple vérité historique, humaine et morale. Il est évident que l’un et l’autre sont la face et le revers de la même pièce. La guerre d’Algérie n’a pas été faite avec les seuls soldats français pour des raisons de préservation du potentiel militaire français, dont les criminels stratèges ont mis sur pied l’action de diviser pour régner, afin d’opposer une tribu à une autre, une famille à une autre et pousser les frères et les cousins à s’entretuer.
Et c’est le cas du harki et du moudjahid, qui se sont combattus jusqu’à s’entretuer. Chacun a opté pour un camp, mais les raisons du moudjahid sont simples et saines, il voulait libérer son pays de l’occupant français. Par contre, les raisons du harki sont diverses et infondées. Et cela on ne peut le nier à moins d’une évidente mauvaise foi. De bonne guerre, il y a eu des membres du FLN/ALN qui se sont ralliés à l’armée française, comme il y a eu des harkis, qui, dans leur parcours du combattant pour la cause française, ont pris conscience de leur erreur et se sont repentis en désertant l’armée française pour rallier l’Armée de libération nationale où ils ont servi avec bravoure et courage jusqu’à l’indépendance de l’Algérie et beaucoup parmi eux sont devenus cadres supérieurs de la nation.
Ces harkis qui ont déserté l’armée française avec armes et bagages et ont mis les techniques militaires qu’ils connaissaient au service de la libération de leur pays et de leur peuple ont renforcé la résistance à l’occupant et fait avancer la libération en portant des coups sévères à l’occupant français. Maintenant que la guerre est finie, que l’Algérie est indépendante, que les moudjahidine et les harkis sont pour la plupart décédés et que la minorité restant en vie a dépassé la soixantaine avec des maladies chroniques, amnésiques, psychologiquement atteints, pour la plupart inapte à 100 % qui n’attendent que la mort, la vraie question, le vrai problème concerne les enfants de ceux-ci et de ceux-là... Qui s’est préoccupé de les réconcilier entre eux ? Qui s’est préoccupé de les faire se rencontrer ? Qui s’est préoccupé de les fraterniser ? Qui s’est préoccupé de ressouder les morceaux de cette cellule familiale, qui, qu’on le veuille ou non, est algérienne par le sang ?
C’est à croire que, depuis 1962, c’est-à-dire durant un demi-siècle d’indépendance, il n’y a eu aucune préoccupation humaine digne de ce nom pour dire que le moudjahid et le harki étaient des frères, que la politique coloniale française les a fait s’entretuer et, de ce fait et pour beaucoup d’autres raisons toutes aussi valables les unes que les autres, les enfants de chouhada, les enfants de moudjahidine et les enfants de harkis sont tous des victimes du même agresseur, et ils et elles, filles et garçons, ont le devoir sacré de confronter l’autorité française pour lui dire : « Vous êtes la cause de ce qui nous est arrivé, c’est vous qui avez provoqué cet accident de l’histoire ! »
Ces victimes, qui ont aujourd’hui entre 50 et 60 ans, il nous faut leur dire qu’ils doivent guérir du mal qui leur a été inculqué faisant qu’ils se sont débattus entre le choix de vivre leur vie ou de vivre celle de leurs parents ? Il faut espérer que ces hommes et ces femmes se réveillent pour assumer leur destin, celui de victimes civiles de la guerre d’Algérie. Ils ont le devoir de se réconcilier avec l’autre partie de victimes civiles de la guerre d’Algérie qui se trouve de l’autre côté de la Méditerranée. Car ce démembrement de la famille algérienne est à mettre dans le génocide reproché à la direction politique de la France de l’époque et pour lequel les victimes doivent mettre main dans la main et faire face à l’Etat français pour exiger qu’il reconnaisse ces torts. S’il existait seulement quelque part des gens mauvais et s’il suffisait seulement de les séparer du reste de la société et de les détruire pour que les choses aillent mieux, ce serait formidable.
Mais la frontière qui sépare le bien du mal passe par le cœur de chaque être humain. Alors il n’y a rien d’autre à dire à ceux qui ont la haine de la vengeance qu’il existe une loi implacable qui veut que lorsque l’on nous inflige une blessure, nous ne pouvons en guérir que par le pardon. Et libre à chacun de ne pas oublier. Dans le monde entier, les gens ont mal. Le tragique, c’est que, face aux méfaits des guerres, ils se comportent comme s’il n’y avait pas d’issue. Ils disent : c’est la vie, on n’y peut rien. Ils ne veulent pas parler de la solution qui est le pardon. Seule une culture du pardon pourra mettre fin aux cycles de la violence et du désespoir et enclencher de nouveaux cycles d’espoir et de fraternité.
Cela prendra du temps parce que le pardon est un choix très personnel — je parle en connaissance de cause — qui demande que l’on regarde en soi-même. Les gens ont besoin qu’on leur montre pourquoi il est nécessaire de prendre toute cette peine. Ils ont besoin d’entendre des histoires de pardon pour que leur cœur soit touché. Parce qu’avant de changer le monde, il faut se changer soi-même. C’est en soi-même que doit commencer le changement et c’est ensuite que vos relations changeront, et, à votre contact, votre famille et votre communauté changeront aussi. Si vous rencontrez celui qui a tué votre mère, votre cousin ou votre oncle, comment lui parleriez-vous ? Est-ce que vous lui parleriez comme vous l’auriez fait avant les massacres ? Sans l’amour, c’est impossible. Nous avons besoin de messages porteurs de véritable guérison qui nous délivrent de nos rancunes, qui nous sauvent de la haine, qui nous libèrent de nos vieilles chaînes.
Les gens sont encore prisonniers de la peur, de la colère, de la méfiance et de l’esprit de vengeance. Je crois fermement que l’on peut se libérer de tout cela, pas seulement en France et en Algérie, mais en Afrique aussi, et pourquoi pas dans le monde entier Il y a une raison très pragmatique au pardon. Quand on nous fait du mal, nous pouvons chercher la vengeance ou nous pouvons pardonner. Si nous choisissons la vengeance, notre vie sera rongée par la colère.
Et quand la vengeance est accomplie, elle nous laisse vide. La colère est une pulsion difficile à assouvir et elle peut devenir une habitude. Le pardon, lui, permet d’aller de l’avant. Et puis, il y a une autre raison qui force le pardon. C’est un don, une clémence. C’est un cadeau que j’ai reçu et que j’ai aussi donné. Dans un cas comme dans l’autre, il m’a pleinement comblé. Il peut être infiniment plus grave de refuser de pardonner que de commettre un meurtre : le meurtre peut être commis dans un moment d’égarement, sous l’influence d’une soudaine impulsion, alors que le refus de pardonner est une fermeture du cœur froide et délibérée. On peut ne pas oublier, mais on peut pardonner.

CHABANE NORDINE

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  • J’ai apprecié ton intervention et me permet de te tutoyer, car il serait temps d’aborder l’histoire de nos deux pays d’une façon plus sereine . Je ne dis pas objective car l’objectivité n’existe pas , mais de manière moins partiale. Cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie peut on débattre sur "le pourquoi de cette guerre qui fut cruelle ?" quelle en est son origine. Cela amène à d’autres questions. Peut on en parler sans réveiller les rancoeurs , les haines.Vouloir débattre de cette histoire toujours vivace, pour toutes les générations ,celles qui ont vécus ce conflit, ce qui est mon cas, qui en ont souffert, indépendantistes algériens , harkis , pieds noirs appelés du contingent. Une histoire de nos deux pays qui hante encore nos mémoires et que les jeunes génération sachent ce qui c’est réellement passé. Ce qui est loin d’être le cas.