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Rio + 20 : les multinationales aux commandes de la planète

par Françoise DEGERT

Publie le jeudi 19 avril 2012 par Françoise DEGERT - Open-Publishing

Au 20ème sommet de la terre, prévu à Rio du 20 au 22 juin 2012, un nouveau pouvoir supra-national, l’Organisation mondiale de l’environnement (OME), pourrait voir le jour.

On doit à Maurice Strong l’émergence d’une politique mondiale de l’environnement. Son rôle a été crucial lors de la première conférence des Nations Unies sur l’environnement, à Stockholm en 1972. Il a ensuite fait triompher la conférence de Rio en 1992 et le « Développement Durable », favorisé la multiplication d’accords multilatéraux sur l’environnement (AME). Ses vœux ont été exaucés : plus de 500 conventions et accords se sont accumulés depuis Stockholm, auxquels se sont ajoutés quelques 300 fonds financiers. Restait à peaufiner le système multilatéral.

En 2005, la France s’y est employée, poussant à la création de l’IPBES, plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques. Réunissant les États, la « société civile » (ONG, syndicats) les scientifiques et les entreprises, l’IPBES doit éclairer les politiques pour contrer le déclin de la biodiversité. En fait, elle organise la financiarisation de la biodiversité, une perspective qui a rebuté nombre de pays émergents au point qu’elle n’a toujours pas de statut. Pas découragée, la France est maintenant à l’offensive pour la création de l’Organisation mondiale de l’environnement (OME) au prochain sommet de Rio. Cette fois-ci, avec l’appui d’une centaine d’États. Les deux ministres concernés, Alain Juppé, et Nathalie Kosciusko-Morizet, ont réuni le 1er février dernier, à Paris, le Gotha Onusien, quelques ministres étrangers, des grandes ONG et le monde des affaires.

Pour faciliter les choses, le PNUE devrait se transformer en agence de l’ONU et lui transférer ses moyens financiers. L’OME serait « ouverte à tous les États » souligne la ministre. Avec tout de même une particularité de taille : sa « gouvernance » serait calquée sur celle de l’IPBES, associant d’emblée les États aux représentants des collectivités locales, aux scientifiques, à la société civile, et surtout aux entreprises. Il est vrai que l’ONU et ses instances sont déjà fortement influencées par les plus grandes compagnies de la terre qui les financent, depuis 2000, via « Le pacte mondial ». Mais cette fois-ci, les grandes compagnies seront carrément aux commandes, les États réduits à la portion congrue. Les décisions seront prises au nom de la science, par consensus.

Or, le champ d’action de l’OME couvrirait les ressources génétiques du vivant et les savoir-faire traditionnels qui y sont associés sur terre, et les ressources de la haute mer où le nombre de brevets déposés ne cesse d’exploser. Outre les sols et la désertification, l’OME couvrirait également les eaux de surface (fleuves, lacs) souvent convoitées par plusieurs pays et génératrice de conflits. L’OME édicterait également des règles « pour aider les pays en développement à mettre en œuvre les normes environnementales » selon Nathalie Kosciusko-Morizet. Les normes consacrent l’hégémonie d’une puissance sur d’autres États et couvrent tous les secteurs d’activité (agriculture, industrie, bâtiment), les comptabilités, dont celles des entreprises permettant aux investisseurs financiers de les estimer à l’instant T.

Intégrer l’environnement dans la comptabilité des entreprises, comme le prévoit le protocole de la Convention pour la diversité biologique (CDB) de Nagoya (octobre 2010), permettra d’établir des circuits de compensation monétaire contre le réchauffement climatique et les atteintes à la biodiversité. Soit la création d’un nouveau marché financier obligatoire, à l’échelle planétaire. Enfin, l’OME édictera des règles « pour diffuser et partager les meilleures solutions technologiques ». En particulier celles des multinationales de l’eau et de l’assainissement. Quant aux normes sociales prévues par l’accord de Rio de 1992, le président de la chambre de commerce internationale (CCI), Gérard Worms, ne veut pas en entendre parler. « La lutte contre la pauvreté, le marché du travail, ne relèvent pas de l’OME. L’organisation internationale du travail (OIT) est là pour ça ».

Ainsi, l’OME édictera des règles qui seront retranscrites et avalisées par les États, sans avoir de légitimité. Nathalie Kosciusko-Morizet s’en défend : « personne ne peut prétendre incarner la voix de la planète à lui seul ». La société civile ne trouve rien à y redire. Au contraire, les ONG et quelques syndicats appuient la création de l’OME. En consultant la liste des « Donors » de ces ONG, on comprend pourquoi. La balle est dans le camp de quelques pays émergents, dont l’Inde et le Vénézuela, qui refusent catégoriquement sa création.