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Luttes de classes en Russie (5)

par Marie-Anne

Publie le mercredi 15 août 2012 par Marie-Anne - Open-Publishing

Les luttes se déroulent dans tous les secteurs en Russie.

Dans les mines, les travailleurs ont obtenus des avantages substantiels, notamment en 2011 à Chelyabinsk, en matière de maintien de leur protection sociale, d’augmentation de salaire et de prévention des accidents du travail. Les mineurs se sont mobilisés à deux reprises, une première fois pour obtenir un accord et une deuxième fois pour le faire respecter.

En août 2012, un mouvement a eu lieu dans une autre mine à Kouzbass (oblast de Kemorovo). Le 7, les mineurs refusent de remonter à la surface après le quart de travail : ils ont des revendications en matière de durée du travail, d’augmentation substantielle de leur salaire et de prise en compte des accidents du travail. L’action semble avoir été très spontanée, et s’être déroulée en dehors du syndicat. L’employeur clame que les revendications n’ont pas été présentées officiellement et que l’action des grévistes était une violation aux règles de sécurité : quatre mineurs sont licenciés.

Dans l’industrie, le secteur automobile réussit, dans la difficulté, à engranger des gains et à obtenir des accords collectifs. Mais des conflits éclatent dans toutes les branches, du fait du recours à une main-d’œuvre extérieure, des conditions de travail dégradées ou de l’insuffisance des salaires. Les salariés d’une usine de production des pièces pour la télévision et la téléphonie dans la région de Kaliningrad ont entrepris une grève « sur le tas » du fait de retards de plus de deux mois dans les paiements des salaires (2 août).

Des conflits sont également signalés dans le secteur des services : pour citer des exemples actuels, dans la distribution (chaîne de magasins « Magnet »), au consulat de Finlande à Saint- (où les employés, outrés de devoir contribuer selon les règles finnoises et d’être écartés des avantages puisqu’ils sont russes, menacent de faire la grève des visas) ; dans le secteur des ambulances à Ivanovo (rebondissement d’un conflit ancien sur fonds de répression syndicale), dans le gardiennage-nettoyage dans la région d’Yamal, également pour des impayés de salaires...

Dans le secteur public, les enseignants sont depuis longtemps préoccupés par la dégradation de leur situation et les projets du gouvernement. En effet, du fait du vieillissement de la population, le nombre d’élèves chute et une réduction drastique des effectifs est programmée. Ils dénoncent la dégradation des conditions de l’enseignement public et redoutent la mise en place d’un système éducatif à deux vitesses avec de meilleures conditions d’éducation pour ceux qui auraient les moyens d’accéder à l’école privée. Le financement des activités para-scolaire a quasiment disparu et le gouvernement a dans ses cartons des projets de suppression de classes plutôt inquiétants. Les enseignants veulent une revalorisation de leurs salaires et une prise en compte de leur problème de logement en fonction de leurs différentes affectations.

Cet été, les enseignants sont vent debout contre la mise en œuvre brutale des projets gouvernementaux.

Cet été, un projet de loi devait être examiné par la Douma sur l’organisation de l’éducation nationale. Ses disposition affecte le mode de rémunération des enseignants et donnent tout pouvoir aux directeurs, qui sont en situation de traiter le personnel de la manière la plus arbitraire, jusqu’au licenciement.

Le syndicat des enseignants a proposé des amendements qui devront être examiné par la commission tripartite. Si comme le craignent le syndicat ces propositions sont rejetées par le gouvernement, les enseignants sont invités à alerter leurs députés. Une manifestation a déjà eu lieu le 1er juin pour dénoncer l’examen du projet par la Douma en été, où les enseignants sont dispersés. Les deuxième et troisième lecture du projet pourrait avoir lieu en septembre.

En mai et juin, la ville de Moscou a lancé un vaste plan de restructuration des établissements, entraînant le regroupement des écoles maternelles et primaires et des licenciements dans le personnel. Les enseignants sont touchés, ainsi que les cuisiniers, les infirmières, les psychologues, les orthophonistes, les gardiens et le personnel d’accueil. Ce processus de fusion est une machine de guerre à l’encontre du personnel, souvent en violation de leurs droits. Il est dit que les économies ainsi réalisées permettraient de verser des « primes d’incitation » pour les enseignants et leurs assistants.

Le 27 juin, parents et enseignants ont organisé une manifestation devant le ministère. Les parents dénoncent en outre la généralisation du passage à la restauration industrielle dont la piètre qualité a des conséquences sur la santé de leurs enfants.

Des faits semblables se sont également déroulé au même moment dans la ville de Perm, à 1400 km de Moscou. L’éducation est en danger en Russie.

Si tous les secteurs sont concernés par l’agitation sociale, toutes les régions de la Russie, de Saint-Pétersbourg à Vladivostok, du Nord, du Sud et du centre de la Russie sont également le théâtre de conflits sociaux.

L’amélioration de la situation économique depuis l’effondrement des années 1990 a entraîné une hausse des salaires réels mais le salariat russe subit à la fois certaines conséquences de l’héritage soviétique (villes de mono-industries qui ont perdu leur raison d’être, installations vétustes entraînant des accidents du travail…) tandis que l’insertion dans le système capitaliste a beaucoup accru leur vulnérabilité.

La législation du travail encadre très strictement le droit de grève, la protection des responsables syndicaux est menacée. En revanche la tentative syndicale d’obtenir l’interdiction, pour les entreprises, de recourir à des agences de prêt de main-d’œuvre, a été bloquée par le gouvernement. Le recours massif à une main-d’œuvre immigrée, souvent non régularisée, affaiblit le monde du travail dans son ensemble. Tous les « contre-feux » sont en place pour affaiblir les salariés russes et pour conserver une main-d’œuvre à bas coût.

Les luttes se déroulent sur fond de forte répression syndicale. Les travailleurs se mobilisent pour des augmentations de salaires, pour leur sécurité, pour le respect de leur vie privée à travers la régularité des horaires de travail, pour le paiement de leurs arriérés de salaire, pour la réintégration des militants syndicaux licenciés, et contre l’externalisation de leurs contrats de travail. Les conflits entraînent souvent des recours juridiques, et les décisions sont souvent favorables aux travailleurs ; mais ces décisions sont rarement appliquées « spontanément » par l’employeur, et les travailleurs doivent à nouveau se mobiliser.

Si les luttes sont signalées dans tous les secteurs, il est difficile d’apprécier leur capacité d’amener les employeurs à faire des concessions importantes. La concentration dans des bastions ouvriers, le soutien de fédérations internationales aident à construire le rapport de force. Au-delà des acquis obtenus, l’existence d’une structure comme, par exemple, le syndicat interrégional de l’automobile contribue à ancrer une structure de résistance parmi la population ouvrière. Par ailleurs, malgré l’importance de la main-d’œuvre étrangère, on trouve peu de témoignages de lutte de travailleurs immigrés, ou d’implication de syndicats russes vis-à-vis de cette main-d’œuvre surexploitée. Il y a peut-être là, pour le mouvement social russe, un champ de mobilisation à ouvrir pour changer la donne.

Les autres articles "luttes de classes en Russie" sur le blog "Le libéralisme est un totalitarisme" :

1 - La réalité de l’exploitation capitaliste
2 - Les travailleurs s’organisent : l’automobile
3 - Luttes dans l’agro-alimentaire
4 - Solidarités dans le monde maritime

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