Accueil > VENEZUELA : Files d’attente ? Pour percer le mur du silence !

VENEZUELA : Files d’attente ? Pour percer le mur du silence !

par JO

Publie le dimanche 8 février 2015 par JO - Open-Publishing
1 commentaire

(Capté sur le Site de Thierry Deronne . Merci à lui d’aider à franchir le mur du silence des médias pourris aux ordres des monstres du capitalisme ! Remettre les pendules à l’heure c’est bon pour notre moral ! Basta à nous faire avaler la soi-disante supériorité du régime honteux capitaliste )

La file d’attente comme cliché médiatique du Venezuela voudrait nous
convaincre, au cas où nous ne l’aurions pas compris, que le socialisme ne marche pas. Pourtant, comme la lettre volée d’Edgar Allan Poe, cette image n’
attend qu’à être “découverte” par qui voudrait faire le métier d’informer.
Certes, face aux actionnaires qui préfèrent les reflets de la caverne de
Platon aux Histoires extraordinaires, on imagine mal le journaliste occidental
renonçant à la vulgate et retrouvant la passion de l’enquêteur Dupin.
En attendant ce jour…

Tout a commencé dans les années 50 : pétrole, explosion urbaine,
Rockefeller et Cisneros inventent la culture de masse vénézuélienne, le “j’achète donc je suis” qui pendant des décennies fera de Miami la référence
culturelle principale pour les 20 % de classe moyenne, « la bourgeoisie la plus bête du monde », immortalisée par le documentaire Mayami Nuestro de Carlos
Oteyza (1).

Un rêve pour les 80% de pauvres exclus du système, qui fit écrire à un
cycliste du nom d’Ernesto Guevara, passant par-là dans les années 50, que de
tous les pays visités, celui-ci était « le plus aliéné par l’American way of
life ». Comme le dit aujourd’hui une compagne de lutte : le jour où le
vénézuélien, en voyant les lettres C.C. ne pensera plus « Centre Commercial »
mais « Conseil Communal », la révolution aura fait un pas de géant.

Pour beaucoup, le socialisme des quinze dernières années, avec ses hausses
de salaire, ses subventions des aliments de base, son droit concret de
manger trois fois par jour, sa gratuité de la santé et de l’université, est
autant qu’une adhésion idéologique, la possibilité de se hisser au statut
jusque-là réservé aux happy few. La guerre économique recycle et travaille
cette fibre bien vivante. En 2015 l’hégémonie culturelle au Venezuela reste
télévisuelle, celle de Venevision ou Televen, celle du plaisir individualiste
de consommer, de l’ascension sociale, avec gymnases, aerobics, cheveux
lissés, courbes de silicone, photos du diplômé en cape et toque, et antenne de
Direct TV.

Même les politiques de communication des médias bolivariens
peinent à se libérer de cet imaginaire du produit et de la consommation opposé
à l’imaginaire de la production, du travail, du monde social du travail.
On a vu des files d’attente se former non pour du shampoing mais pour une
marque de shampoing. Il aura suffi, au début de janvier 2015, d’une fausse
rumeur propagée par la droite sur les réseaux sociaux évoquant l’imminence d’
une grève nationale – qui n’eut jamais lieu – pour que 18 millions de
vénézuéliens achètent fébrilement en quatre jours l’équivalent de ce qu’ils
auraient consommé en un mois et demi.

Retournons la carte postale de la file d’attente. Ce qui irrite le plus la
population, c’est l’artificialité des files : dans de nombreux cas le
stock disponible est plus que suffisant pour permettre une vente fluide. Pas
de jour sans qu’on découvre des tonnes d’aliments, médicaments, matériel
chirurgical, pneus, carburant cachés dans des entrepôts, des camions parfois
munis de plaques colombiennes. Par ailleurs, la moitié au moins des
personnes qui font la file ne sont pas des riverains mais des « bachaqueros »
(fourmis porteuses). C’est le surnom populaire des milliers de revendeurs et
contrebandiers organisés en réseaux et qui se déplacent de commerce en
commerce, armés de leurs portables, pour suivre à la trace les produits
subventionnés.

2.000 Km de frontière avec la Colombie, tout au long des États Zulia,
Táchira, Apure et Amazonas, servent de passoire depuis des années aux
camions-citernes, voitures, avions, bateaux qui vident le Venezuela de 30 à 40 % de ces produits subventionnés. Au Venezuela on remplit un réservoir de 80
litres pour 7,76 Bolivars – c’est l’essence la moins chère du monde – contre
2.100 Bolivars en Colombie. Un kilo de lait en poudre vendu au Venezuela à
70 Bolivars bondit, de l’autre côté de la frontière, à 450 Bolivars. Ce
pillage massif et quotidien est devenu un mode de (sur)vie pour la population
de 40 municipalités de Colombie, ceux du nord du département de Santander,
soit près de 1.320.000 personnes. Le néo-libéralisme colombien a fait du
socialisme bolivarien une manne nationale.

Nicolas Maduro explique que les investissements publics de la révolution
ont soutenu trois pays. Le premier, celui de la famille vénézuélienne, qui
bénéficie aujourd’hui d’une baisse continue du chômage (5,5% en décembre
2014), du niveau de revenus le plus haut en cent ans, et de l’éradication de
la faim saluée par la FAO (2). Le deuxième pays est celui de la mafia
vénézuélienne qui dévie, stocke, cache et revend à prix d’or les produits
subventionnés.

Le troisième, c’est l’économie des mafias colombiennes, dont la
contrebande d’extraction est freinée aujourd’hui par la surveillance des
frontières menée par les forces armées vénézuéliennes.
Des contrôles d’identité menés ces dernières semaines dans les files d’
attente ont permis de détecter la présence de centaines de colombiens en
séjour illégal, liés aux réseaux paramilitaire implantés depuis dix ans au
Venezuela. On les a renvoyés chez eux. Peu à peu le gouvernement accélère les inspections, arrête les propriétaires et gérants de chaînes commerciales
vénézuéliennes coupables d’accaparer et de spéculer sur les prix, remet en
circulation les marchandises dans les circuits publics (Mercal, Pdval, etc..)
pour les vendre au prix juste, et commence ainsi à normaliser, avec l’aide
des organisations communales, la distribution et la commercialisation.
Cette mobilisation générale permet au président Maduro de rappeler la
différence entre un capitalisme qui accapare pour mieux spéculer et le modèle
socialiste de distribution pour tous.

Elle est aussi l’occasion de rafraîchir la mémoire historique, et de se
souvenir de l’offensive de la bourgeoisie chilienne contre Salvador Allende,
sur l’injonction de Nixon : “il faut faire pleurer l’économie chilienne”.
Les vénézuéliens ne sont pas plus dupes aujourd’hui qu’en 2002 lorsqu’un
lock-out pétrolier voulut les monter contre la révolution. L’Empire
sous-estime ce peuple et son président Maduro, en les soumettant depuis deux ans à une guerre économique comme phase préparatoire d’un coup d’État. Pas de violences, pas de pillage de magasins, pas de marches populaires comme en rêvait l’extrême droite. Malgré les rumeurs, et malgré les techniques du goutte à goutte qui consiste à ne faire passer qu’un petit groupe à la fois afin de faire grossir le nombre de personnes dans la rue.

Élargissons le cadre de l’image : l’économie vénézuélienne, le secteur de
l’alimentation par exemple, reste à 70 % aux mains d’un secteur privé…
qui n’a jamais été un vrai secteur privé. Ses produits sont en grande partie
importés grâce au dollar subventionné par l’État, ce qui lui permet de
spéculer en revendant avec un bénéfice de 200 à 2000 %. Alors que le pouvoir d’achat populaire a fortement augmenté avec la révolution, l’appareil
productif privé n’a pas augmenté ses investissements, bien au contraire. La file d’attente est donc l’image de de la faillite d’un capitalisme historiquement
incapable d’assumer la production et la distribution nationale. En s’
engouffrant dans cette faille, la guerre économique met le gouvernement
bolivarien au pied du mur. Le défi est immense. Nicolas Maduro sait que le projet socialiste serait impossible à long terme sans une politique volontariste
qui permette le saut structurel vers un puissant appareil productif
national, et sans la transformation en profondeur d’un État encore affaibli par le
rentisme pétrolier et sa contagion mafieuse.

L’économiste vénézuélien Luis Salas Rodríguez trace la perspective de
cette transformation.

Thierry Deronne, Caracas le 7 février 2015

Messages

  • La solution est dans l’antithèse du mot d’ordre de Marx : Prolétaires unissez-vous ! ; à savoir : Prolétaires divisez la bourgeoisie !

    Comment faire ? Mettre 50% des coûts salariaux (santé + retraites) des entreprises industrielles à la charge de la rente pétrolière, le reste, salaires nets, étant payés par les employeurs qui verront les profits tirés de la production concurrencer voire dépasser ceux de l’import-export. Et surtout ne pas hésiter à faire profiter le capital étranger de ces dispositions.