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Interview d’Andreï Sokolov, communiste russe emprisonné en Ukraine

Publie le mardi 15 septembre 2015 par Open-Publishing
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Interview réalisée en mai 2015 par le Secours Rouge International. Andrew était alors à la prison de Mariupol.

1. Quel ton chemin politique ?

De par mon origine sociale, je suis un ouvrier, un machiniste, un armurier. Pour ce qui concerne mes opinions politiques, je suis un révolutionnaire russe, un communiste. Lorsque j’étais jeune, je suis passé du stade d’activiste de gauche modéré à celui de supporter radical de la lutte armée. J’ai été membre de différentes organisations de gauche - depuis les trotskistes et le CPRF (Parti Communiste de la Fédération Russe) jusqu’au RCYL(b) (Ligue de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire - bolchévique) et au RCWP (Parti des Ouvriers Communistes Russes). Suite à la répression des autorités en 1997, je suis allée en prison pour la première fois. Donc, la nouvelle période de ma vie à commencé - la période en prison. Aujourd’hui, j’ai 36 ans et j’ai passé 9 années de ma vie en prison en vertu de quatre condamnations (terrorisme de gauche et traffic d’armes). Cette captivité ukrainienne est déjà mon cinquième emprisonnement. Pour l’instant, je ne sais pas ce qui m’attend : un échange, ou une condamnation, ou une exécution en tant qu’otage, si la guerre s’intensifie. Il y a un totale incertitude.

2. Quelles sont les accusations contre toi ?

Je suis accusé d’avoir aidé à informer le ministère de la Défense de la DPR (République Populaire de Donetsk). A ce que l’on prétend, je me suis déjà rendu dans différentes usines du Donbass et leur ai donné des conseils en tant que spécialiste des armes sur la possibilité de réparer les armes dans ces entreprises. C’est mon ‘crime’. Et la preuve est - mon passeport de citoyen russe, le ruban de St. George sur l’antenne de ma voiture et mon témoignage ‘volontaire’ recueilli sous la menace de la torture alors que j’avais été confiné dans une prison militaire secrète dans la zone ‘d’opération anti-terroriste’ du 16 au 29 décembre 2014. C’est tout. Selon la loi ukrainienne, la DPR est considéré comme une organisation terroriste, et toute personne qui l’aide - soldats, policiers, médecins, professeurs - sont aussi des terroristes. Quelle absurdité ! J’ai été enlevé le 16 décembre à un poste de contrôle entre Donetsk et Gorlovka alors que je conduisais ma voiture pour aller rendre visite à mon camarade, l’anarcho-communiste Egor Voronov. Je me suis rendu jusqu’au poste de contrôle par erreur, je n’avais pas de carte. Bien sûr, je ne prévoyais pas de quitter la DPR pour l’Ukraine (tant Gorlovka que Donetsk son en DPR).
Ayant vu une voiture avec des plaques russes et le ruban de St. Georges, ils m’ont immédiatement placé en détention. Et pendant plus de deux semaines, on m’a gardé dans une prison secrète, avec un masque sur mon visage pour que je ne puisse pas voir où j’étais enfermé et où on me conduisait. C’est une pratique habituelle de l’état ukrainien à l’égard des prisonniers. Tout comme le tabassage, la torture et le meurtre. J’ai décrit ces journées en détail dans mon article ‘Everybody speaks under captivity’ publié par mes camarades. Maintenant, je comprends très bien ce que les autres camarades en ressenti dans de telles situations en Argentine ou au Chili dans les années 1970. Lorsque vous êtes retenu par des militaires et qu’ils peuvent vous faire exactement tout ce qu’ils veulent, pour tout le monde - vous êtes autre part, vous avez disparu. Une vie humaine ne coûte pas une cartouche de fusil ici.

3. Quelle est la situation politique dans le Donbass ?

La situation politique au Donbass est une situation de guerre prolongée. C’est une guerre qui a une influence sur toute l’économie et toute la politique ici. La militarisation de la société a eu lieu. Alors que l’Ukraine peut se permettre de diviser la vie du pays en région ‘pacifique’ et zone ‘anti-terroriste’, la DPR n’a ni le territoire, ni la population pour cela. Toute la terre est fouillée par l’artillerie et les roquettes. Cette guerre a touché tout le monde, et tout le monde doit prendre part à la défense et travailler pour le front. D’autant plus que près de la moitié de la population est réfugiée et est partie en Russie. Il y a quelques personnes qui sont restées ici. Seuls 60-70.000 soldats de l’armée de Novorossia se dressent contre 250.000 hommes de l’armée ukrainienne. Une telle différence de force entraine une situation économique difficile et la pauvreté pour les civils qui sont restés au Donbass. Il y a de la pauvreté et de l’inflation en Ukraine aussi, mais c’est beaucoup plus difficiles en DPR et en LPR (République Populaire de Lugansk).
Une guerre ‘étrange’ se déroule ici. Des ‘cessez le feu’ sont prononcés mais ne sont respectés par personne. L’électricité, le gaz et le charbon traverse la ligne de front. Un commerce clandestin se déroule. Les élites locales résolvent leurs affaires et leurs problèmes financiers derrière le dos des militants de la base. Mais seuls les ouvriers et les paysans combattent (dans les deux camps).
Lorsque des ‘élections’ officielles furent organisées à l’automne 2014, légalisant les oligarques moyens d’hier qui avait soutenu le mouvement anti-Maidan - Zakharchenko et Plotnitskiy, les communistes furent éliminés de ces élections par une raison officielle. Tout ceci a causé le mécontentement du commun des mortels et de l’armée Novorossia. J’ai parlé à de nombreux militants de base, et ils veulent que cette situation change. Pour expulser les oligarques et mener la nationalisation. Pour aller se battre - sachant qu’ils donnent leurs vies pour leurs propres usines, pour leurs propres mines, pour leur propre terre. Mais pas pour l’élite bourgeoise d’hier qui avait changé le drapeau ukrainien en drapeau de la DPR.
Une telle attitude colérique entrainera une guerre civile à l’intérieur de Novorossia même. Et cette colère devient plus brute de mois en mois. Ce furent les ouvriers et les paysans de retour de la ligne de front qui ont fait la révolution de 1917. Avec l’expérience de la guerre prolongée et la haine à l’égard des maîtres d’arrière garde.
La situation politique ? Il y a la Russie, d’un côté, et l’Ukraine et l’OTAN de l’autre et enfin le mécontentement social populaire en raison de la pauvreté et de la guerre (davantage ici et là). C’est la situation. Très dure !

4. Quelles sont les forces politiques au pouvoir dans la RD de Donetsk et de Lougansk ? Quelle est l’importance des oligarches ? Quelle est l’importance des chauvinistes russes ? Quelle est l’importance des communistes ?

Toutes les forces politiques du Donbass ont été formées au printemps 2014, au cours du soi-disant ‘printemps russe’. Pendant l’année de guerre s’est déroulée leur radicalisation, depuis des exigences modérées de la fédéralisation de l’Ukraine jusqu’à la totale sécession et l’indépendance du Donbass. Trop de sang a coulé pour que l’on puisse penser à une réincorporation dans une Ukraine unifiée, même sous des conditions d’autonomie. Une grande déception s’est produite après la croyance du peuple que la Russie allait adopté le Donbass comme la Crimée, ou qu’elle allait amener des troupes pour sa défense. Cela n’est pas arrivé.
Ce conflit n’a pas pu être résolu sans beaucoup de douleur (ni Moscou ni Washington n’ont semblé le souhaiter). Les raisons principales du début de la guerre sont bien connus - c’est la réponse du Donbass à l’Euro-Maidan de Kiev, la protestation contre la politique nationale d’une région du pays s’imposant à une autre (l’Ouest et l’Est de l’Ukraine) qui est symbolisée par la dérogation pour la langue russe et le ‘Lenin fall’ (la destruction des statues de Lénine). Une révolution libérale nationaliste a eu lieu à Kiev ayant échangé un oligarque modéré, Yanukovich, pour une équipe de nationalistes et oligarques du groupe Poroshenko. De nombreuses personnes pensent que ce ne fut pas une révolution mais une prise de contrôle. Et cela s’set déroulé dans un pays multi-national. C’est semblable à la Yougoslavie. Des nationalistes s’élevant au pouvoir dans un pays multi-national est un moyen direct vers sa destruction et la guerre. C’est ce qui s’est passé en Ukraine - la Crimée et le Donbass sont perdus pour toujours. C’est la raison pour laquelle les forces politiques principales sont devenus des supporters anti-Maidan et ceux qui attendait l’aide de la Russie. Malheureusement, de nombreuses personnes même issus de l’ancienne élite locale ukrainienne, de la bourgeoisie locale du Donbass, des policiers et des anciens militaires ont pris pris l’initiative. Celles-ci sont des forces directement conservatrices.
Comme avant, la gauche ne joue qu’un petit rôle ici, dans cette guerre. Pourquoi ?
Parce que sa majorité n’était pas prête pour une telle lutte, pour une politique armée. Mais ceux qui furent les premiers à prendre les armes et à créer une milice sont en fait devenu le nouveau pouvoir. Pendant les années de paix, les communistes ont oublié l’essence du ‘Manifeste du Parti Communiste’ de Marx et Engels et que le seul moyen pour la victoire est la rébellion et la lutte armée. Deux décennies d’élections bourgeoises et de jeux parlementaires ont émoussés toutes les ‘dents et griffes’ et ont transformé le CPU (Communist Party of Ukraine) en un correspondant du CPRF russe (Communist Party of Russian Federation), en une ‘opposition constructive’ juste pour ‘ventiler’. C’est la raison pour laquelle, lorsque le pouvoir ‘poussait aux arbres’ dans le Donbass ainsi que dans toute l’Ukraine, ils faisaient pâle figure, sauf pour leur participation symbolique dans l’anti-Maidan. Mais le moment des réunions et des piquets était déjà passé. Il était nécessaire de commencer des actions plus radicale, et la gauche n’y est pas parvenue. C’est la raison pour laquelle, au lieu d’une rébellion sociale, une longue guerre entre ‘seps’ (séparatistes) et ‘ukes’ (Ukrainiens) a débuté. Les nationales se sont activement joints de part et d’autre. Mais la gauche est restée à la marge. J’ai passé un peu de temps dans le Donbass du 4 au 16 décembre. Mais maintenant, je parle beaucoup aux miliciens emprisonnés. Et je peux assurément dire qu’ils n’ont pas rencontré un seul ‘Russe chauvin’ ou nationaliste parmi eux. Ou ont-ils tellement de chance qu’ils peuvent parvenir à ne pas se faire emprisonner ? C’est l’opposé, tous nos prisonniers qui ont plus de 40 ans, qui se souviennent de l’époque soviétique, tous sont des internationalistes et sont allés à la guerre en raison de leur souhait de repousser ces ‘patriotes’ qui étaient venus pour les bombarder et les abattre.
La nostalgie de l’époque soviétique est très forte chez eux. Ils soutiennent les idées de nationalisation et de socialisme. Il y a une grande aspiration à la justice sociale parmi eux et les jeunes travailleurs. Ils sont la matière première pour la propagande de gauche. Hoo ! Où êtes-vous, les communistes ?
Un seul exemple. Durant mon séjour en DNR (Donetsk People’s Republic), dans la ville de N, un camarade local du CPU (Communist Party of Ukraine), un communiste - un retraité, est venu vers moi. Il portait un pistolet à gaz et voulais savoir s’il était possible de le transformer en vrai pistolet. J’ai examiné le pistolet, il s’est avéré être en aluminium, il était normalement impossible de transformer un tel pistolet. Je le lui ai dit, et lui ai promis de lui trouver un pistolet normal. Il étiat le chef d’un petit détachement constitué des travailleurs d’une usine. Ils avaient besoin d’armes pour la garde de l’usine et pour la nationalisation. Ils avaient des hommes, mais pas d’armes. C’est la raison pour laquelle je suis arrivé là. Pour aider de tels camarades. A quoi ressemble une telle scène ? Je n’avais que lu au sujet de situations semblables dans des livres sur la révolution de 1905. A l’époque, les ouvriers avaient acquis des armes où ils pouvaient, par n’importe quels moyens, pour créer leurs détachements. Je lui ai expliqué qu’il était nécessaire de d’abord trouver de l’argent, et que la vieille technique de tous les révolutionnaires était l’expropriation. Alors, il serait possible d’armer les ouvriers normalement et de commencer les changements sociaux. N’est-ce pas fantastique ? Non, c’est une affaire réelle !

Dernières infos

Andreï Sokolov avait été transféré dans la prison de Berdyansk (un transfert de 400 km qui a duré deux semaines) pour y être jugé le 3 septembre, mais l’audience n’a duré que 10 minutes. Faute de traducteur d’ukrainien en russe, l’audience a été reportée au 23 octobre. Andreï est maintenant détenu à la prison de Volnyansk (à 10km de Zaporizhzhya). La perspective d’un échange de prisonniers s’est éloignée. Seuls de petits échanges d’une dizaine de prisonniers de part et d’autre chaque fois, ont eu lieu. Or il y a dans les prisons de l’Ukraine a environ 1.500 prisonniers politiques et prisonniers de guerre. Beaucoup ont commencé à passer devant les tribunaux pour terrorisme, trahison et séparatisme, risquant 15 ans de prison.

Le Secours Rouge de Belgique intervient depuis un an, à hauteur de 250 US$ par trimestre, à l’aide financière avec Andreï. Pour nous aider à aider Andreï : BE09 0016 1210 6957 avec "Sokolov" en communication.

Portfolio

Messages

  • Le camarade reconnaît que la guerre dans l’est ukrainien est une guerre entre bourgeois et oligarques dont certains ont abandonné le drapeau ukrainien pour un qu’ils espèrent plus rentable. Les ouvriers et les paysans ne peuvent pas vraiment peser. Faut-il s’investir là dedans ?
    Quant à l’annexion de l’Ukraine orientale par la Russie... Pendant la guerre d’Espagne, les révolutionnaires aragonais ne demandaient pas que la France annexe leur région.