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Répression syndicale : Arrêté pour avoir fait son travail

par Pierre-Yves Bailet et Grégory Marin

Publie le jeudi 14 juillet 2016 par Pierre-Yves Bailet et Grégory Marin - Open-Publishing
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RASSEMBLEMENT DEVANT LE PALAIS DE JUSTICE DE PARIS, JEUDI, POUR DEMANDER LA LIBÉRATION DES SYNDICALISTES ARRÊTÉS PENDANT LES MANIFS CONTRE LA LOI TRAVAIL.
Photo : Francine Bajande

Interpellé après la manifestation de mardi, Laurent, membre du service d’ordre de la CGT, assimilé à une « bande armée », est ressorti libre jeudi. Récit.

À la sortie du palais de justice, les premiers mots de Laurent, jeudi, étaient pour « les quatre toujours enfermés. L’air libre, c’est bien, mais pour tout le monde » ! lançait-il au mégaphone. Après avoir passé deux jours en garde à vue (24 heures renouvelées une fois), le syndicaliste CGT, libre, n’oublie pas la solidarité. Il peut enfin rejoindre le rassemblement initié par ses camarades, du Val-de-Marne comme lui et de toute la région parisienne, sur la place Lépine, en face du Palais de justice de Paris. Les traits tirés, barbe de trois jours mais sourire aux lèvres et poing levé. Assisté de son avocate, il vient de refuser la comparution immédiate pour avoir participé à « un attroupement en étant porteur d’une arme ». Selon l’article 431-5 du Code pénal, il risquait trois ans de prison et 45 000 euros d’amende. Un motif d’inculpation « grave et inexplicable », soulignait Pascal Joly, responsable de l’Union régionale d’Île-de-France (Urif) CGT. « Totalement hors de propos », appuyait Jean-Noël Lahoz, responsable par intérim de l’Urif FO, associée au rassemblement.

Dans l’« attroupement » en question, en fait la douzième manifestation contre la loi El Khomri, mardi, le cégétiste faisait partie du service d’ordre (SO). Laurent, dit Lolo, n’est pourtant pas « la caricature du gros bras », nous avait prévenu Guillaume Bulcourt, responsable du service « accueil-sécurité » (la dénomination officielle du service d’ordre) de la CGT du Val-de-Marne. Mais il est là « pour faire le nombre », car les missions d’un SO ont changé : « Le 14 juin, par exemple, il faisait partie de ceux chargés de dévier les militants qui passaient trop près du carré de tête. Si tu viens au SO pour te battre, tu peux faire demi-tour, ça n’arrive plus. » Pas vraiment le profil du molosse, le Lolo que nous avons rencontré. « Jovial », mais avec des « convictions solides », qui s’expriment à la CGT comme dans son activité politique au PCF.

« J’aurais dû garder le brassard du SO. Je vais me le faire tatouer »

La bombe lacrymogène retrouvée dans son sac ? « Ce sont des outils qui servent à nous défendre quand on se fait charger, comme le 12 mai dernier, par des casseurs armés de clés à molette, de lames, et qu’on est acculés », plaide Guillaume Bulcourt. Ce matériel, Laurent n’a jamais nié l’avoir eu : il l’avait dans son sac à dos personnel, à la sortie du camion du SO où il avait laissé son brassard avant de se faire contrôler. « J’aurais dû le garder. Je vais me le faire tatouer », plaisante-t-il. « Un comble qu’on lui reproche cette possession  ! » lance Pascal Joly. Un paradoxe que détaillait Jacques Girod, secrétaire adjoint FO Paris, qui a participé aux réunions entre les syndicats et le préfet : « Les autorités ont demandé au service d’ordre d’être plus impliqué dans la sécurité des manifestations et, aujourd’hui, ils sont arrêtés à cause de leur équipement. C’est se moquer du monde ! »

Laurent n’était pas le seul syndicaliste arrêté, comme lui-même le faisait remarquer. D’autres, de la CGT et de FO, ont subi la même répression. Et même si aucun n’a eu à répondre d’accusation aussi grave que celle reprochée à Laurent, il s’agit d’un mouvement répressif qui prend de l’ampleur. « Ils veulent faire un exemple pour dégoûter les autres militants non seulement de participer aux manifestations, mais aussi de les encadrer », assure Guillaume Bulcourt. Le même discours est tenu par les syndicalistes qui ont partagé le sort de Laurent, tous relâchés comme lui, hier après-midi, sous le regard vigilant de plus d’une centaine de militants CGT, FO et PCF, « rassemblés en 12 heures, ce qui montre que, dans la stratégie d’intimidation du gouvernement, il y a un os », estimait Pierre Garzon, secrétaire de section du PCF de Villejuif (Val-de-Marne). Illustration avec ce serveur d’un café voisin venu brandir une pancarte CGT lors de sa pause, et vivement applaudi…

« Justice de classe, 49-3, tout ça ne nous arrêtera pas ! » promettaient les militants face au cordon de gendarmes mobiles qui les encerclait peu à peu, provocant quelques bousculades et de vertes explications. Un gradé reconnaissait pourtant que, sur le fond, la CGT n’avait pas tort, car le service d’ordre syndical, « on en a besoin, on n’est pas là pour assurer la sécurité dans la manifestation mais autour ». Mais les ordres sont les ordres… Même le « marchandage » entre le procureur, d’un côté du bureau, Lolo et son avocate, de l’autre, trahit le malaise de la traduction judiciaire d’une volonté politique de « casser le mouvement ». Le procureur envisageait de requérir quatre mois de prison avec sursis et cinq ans d’interdiction de port d’arme « alors que le port d’arme est interdit en France, donc le SO n’en a évidemment pas… ». L’avocate et son client avaient donc refusé à la fois ce compromis et la comparution immédiate. « Ceux qui proposent le marché sont en position de faiblesse. Ils essayent de nous faire croire que ce marché est un acte de bonté. Nous ne voulons pas de bonté, nous voulons la justice », s’indignait Jean-Jacques Guignard, adjoint au maire (PCF) de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), présent place Lépine, hier.

La mésaventure judiciaire de Laurent est « une étape de plus dans la criminalisation du mouvement syndical », assène Pierre Garzon. C’est « vrai dans les entreprises (et) inscrit dans la loi El Khomri »... « En clair, celui qui relève la tête – aujourd’hui Lolo, demain n’importe qui – est visé avec tout l’arsenal du droit et de la force publique pour le faire rentrer dans le rang. »

http://www.humanite.fr/arrete-pour-avoir-fait-son-travail-611574

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