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Patrice Lumumba assassiné le 17 janvier 1961

par CADTM Eric Toussaint

Publie le dimanche 17 janvier 2021 par CADTM Eric Toussaint - Open-Publishing
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https://www.cadtm.org/En-memoire-de-Patrice-Lumumba-assassine-le-17-janvier-1961

Ce 17 janvier 2021, nous commémorons le 60e anniversaire de l’assassinat de Patrice Lumumba (1925-1961).
Sommaire

- Lumumba, combattant internationaliste
- L’enchaînement des évènements qui mène au coup d’État contre Lumumba et à son (...)
- Le soutien de la Belgique à la dictature de Mobutu
- Lumumba : une figure devenue emblématique
- Annexe 1
- Annexe 2 : Les crimes de la Belgique après l’indépendance du Congo

Suite à une victoire éclatante aux premières véritables élections auxquelles les Congolais ont participé, Patrice Lumumba est devenu premier ministre du Congo du 24 juin 1960 jusqu’à son renversement et son emprisonnement le 14 septembre de la même année par le militaire Joseph-Désiré Mobutu et ses soutiens. Ce dernier a ensuite dirigé le pays, d’abord en sous-main, puis de manière directe à partir de 1965 jusqu’à son renversement en 1997.

"Ludo De Witte : Lumumba a été la victime de l’impérialisme. En fait on voulait continuer l’impérialisme au Congo, remplacer un système colonial par un système néocolonial"

Le 17 janvier 1961, Lumumba, ce grand combattant pour l’indépendance du Congo, pour la justice sociale et pour l’internationalisme a été torturé puis exécuté, en compagnie de plusieurs de ses camarades, par des dirigeants congolais complices des puissances occidentales ainsi que par des policiers et des militaires belges. Lumumba n’avait que 35 ans et aurait pu continuer à jouer un rôle très important, tant dans son pays, qu’en Afrique et au niveau mondial.

Comme l’a écrit la journaliste Colette Braeckman : « Patrice Lumumba, Premier ministre congolais destitué en septembre, placé en résidence surveillée puis détenu à Thysville, avait été envoyé au Katanga le 17 janvier 1961. Cinq heures après son arrivée sur le sol katangais, il était mis à mort avec ses deux compagnons Maurice M’Polo et Robert Okito. [1] »

Parmi les dirigeants congolais qui ont participé directement à la mise à mort de Lumumba, on trouve Moïse Tshombé président proclamé de la province congolaise du Katanga qui a fait sécession le 11 juillet 1960, à peine deux semaines après le début de l’indépendance que le Congo a obtenue le 30 juin 1960. La sécession du Katanga proclamée par Moïse Tshombe fut soutenue par la Belgique et des grandes entreprises privées minières belges très présentes dans cette partie du Congo (voir plus loin) afin de déstabiliser le gouvernement du premier ministre Patrice Lumumba.

Au moins cinq policiers et militaires belges étaient également présents lors de l’assassinat. Joseph-Désiré Mobutu, un des principaux responsables congolais de l’assassinat de Lumumba, n’était pas présent sur place le jour de l’assassinat qui a eu lieu dans l’Est alors qu’il se trouvait à l’Ouest du pays dans la capitale.

La responsabilité de la Belgique dans l’assassinat de Lumumba en janvier 1961 a été établie par plusieurs auteurs, notamment par Ludo De Witte dans L’Assassinat de Lumumba, et cela a fait l’objet des travaux d’une commission du parlement belge en 2001-2002. Lire également l’interview donnée par Ludo De Witte au CADTM en 2018, https://www.cadtm.org/Ludo-de-Witte-Il-faut-changer-les-mentalites-et-decoloniser-completement-l

Dans cette interview, Ludo De Witte résume simplement les causes de l’assassinat de Lumumba : « Lumumba a été la victime de l’impérialisme. En fait on voulait continuer l’impérialisme au Congo, remplacer un système colonial par un système néocolonial. Un système où il y aurait des noirs, des Congolais, qui seraient des politiciens et des ministres mais, en coulisse, ce serait toujours les pouvoirs occidentaux et leurs grandes sociétés qui domineraient le pays. C’est bien ça le néocolonialisme contre lequel Lumumba voulait lutter et c’est pour cela qu’il a été assassiné. ».

Il convient de prendre connaissance du discours du premier ministre de la République du Congo, Patrice Lumumba face à Baudouin, roi des Belges.

Baudouin avait déclaré dans son allocution : « L’indépendance du Congo constitue l’aboutissement de l’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique ».

Lors de la proclamation de l’indépendance du Congo le 30 juin 1960, le Premier ministre du Congo, Patrice Emery Lumumba, prononce un discours mémorable (Cliquer sur l’image pour écouter le discours)

Lumumba dans son discours veut que justice soit rendue au peuple congolais, en voici une version intégrale sous forme audio et sous forme écrite :

Discours prononcé au siège du parlement après ceux du Roi Baudouin et du Président Joseph Kasa-vubu, le jour de la proclamation de l’indépendance de la République démocratique du Congo.

« Congolais et Congolaises,

Combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux,

Je vous salue au nom du gouvernement congolais.

A vous tous, mes amis, qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et leurs petits-fils l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.

Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang.

Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant, exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers.

Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions nègres. Qui oubliera qu’à un noir on disait « tu », non certes comme à un ami, mais parce que le « vous » honorable était réservé aux seuls Blancs ?
Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort. Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir : accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même.

Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes pour les Noirs, qu’un Noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens ; qu’un Noir voyageait à même la coque des péniches, aux pieds du blanc dans sa cabine de luxe.

Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation ?

Patrice Lumumba : Qui oubliera qu’à un noir on disait « tu », non certes comme à un ami, mais parce que le « vous » honorable était réservé aux seuls Blancs ?
[...] Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir [...] Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même

Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert. Mais tout cela aussi, nous que le vote de vos représentants élus a agréé pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de l’oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut, tout cela est désormais fini. La République du Congo a été proclamée et notre pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants. Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail. Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique toute entière. Nous allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses enfants. Nous allons revoir toutes les lois d’autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles.

Nous allons mettre fin à l’oppression de la pensée libre et faire en sorte que tous les citoyens jouissent pleinement des libertés fondamentales prévues dans la Déclaration des droits de l’Homme.

Nous allons supprimer efficacement toute discrimination quelle qu’elle soit et donner à chacun la juste place que lui vaudront sa dignité humaine, son travail et son dévouement au pays. Nous allons faire régner non pas la paix des fusils et des baïonnettes, mais la paix des cœurs et des bonnes volontés.

Et pour cela, chers compatriotes, soyez sûrs que nous pourrons compter non seulement sur nos forces énormes et nos richesses immenses, mais sur l’assistance de nombreux pays étrangers dont nous accepterons la collaboration chaque fois qu’elle sera loyale et ne cherchera pas à nous imposer une politique quelle qu’elle soit. Dans ce domaine, la Belgique qui, comprenant enfin le sens de l’histoire, n’a pas essayé de s’opposer à notre indépendance, est prête à nous accorder son aide et son amitié, et un traité vient d’être signé dans ce sens entre nos deux pays égaux et indépendants. Cette coopération, j’en suis sûr, sera profitable aux deux pays. De notre côté, tout en restant vigilants, nous saurons respecter les engagements librement consentis.

Ainsi, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, le Congo nouveau, notre chère République, que mon gouvernement va créer, sera un pays riche, libre et prospère. Mais pour que nous arrivions sans retard à ce but, vous tous, législateurs et citoyens congolais, je vous demande de m’aider de toutes vos forces. Je vous demande à tous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l’étranger.

Je demande à la minorité parlementaire d’aider mon gouvernement par une opposition constructive et de rester strictement dans les voies légales et démocratiques. Je vous demande à tous de ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la réussite de notre grandiose entreprise. Je vous demande enfin de respecter inconditionnellement la vie et les biens de vos concitoyens et des étrangers établis dans notre pays. Si la conduite de ces étrangers laisse à désirer, notre justice sera prompte à les expulser du territoire de la République ; si par contre leur conduite est bonne, il faut les laisser en paix, car eux aussi travaillent à la prospérité de notre pays. L’indépendance du Congo marque un pas décisif vers la libération de tout le continent africain.

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