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Rodrigo Granda interview de mars 2004

Publie le mardi 28 juin 2005 par Open-Publishing
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« Pour nous le choix c’est socialisme ou barbarie »

Le 13 décembre 2004 Ricardo González (Rodrigo Granda), membre de la Commission Internationale des FARC-EP, a été capturé en toute illégalité à Caracas, en République Bolivarienne du Venezuela, par les services de police colombiens, aidés par des félons de la police vénézuélienne et par la CIA. Il a aussitôt été déporté à Cúcuta, en Colombie. Voici la longue interview qu’il avait donnée à l’hebdomadaire communiste portugais Avante en mars 2004. Il disait notamment :

« ... et à nous, qui sommes des révolutionnaires, il nous revient de courir les risques inhérents au fait d’affronter l’Etat colombien et, bien entendu, ses complices qui le nourrissent de l’étranger ... »


Dialogue avec le commandant Ricardo González,

membre de la Commission Internationale des FARC-EP

Les FARC réaffirment leur choix communiste et répondent aux campagnes diffamatoires

Par Miguel Urbano Rodrigues

Mars 2004

Quelque part au Mexique

Interview :

Miguel Urbano Rodrigues : Les FARC ont presque 40 ans. Ses critiques disent fréquemment qu’une organisation révolutionnaire qui en quatre décennie n’a pas réussi à prendre le pouvoir ne parviendra probablement jamais à le faire. Ma question est la suivante : Quelle est la perspective des FARC, une organisation qui a vocation à gouverner ? Durant les Dialogues de Paix à Los Pozos, El Caguán, vous aviez un projet pluriel pour la société colombienne, mais à long terme la perspective était le socialisme. Comment les FARC voient-elles le futur à court et à moyen terme ?

Ricardo González : La première chose à dire c’est que 40 ans de lutte pour la construction d’une armée révolutionnaire est un temps excessivement court. Nos adversaires ne connaissent pas la patience orientale qui habite les FARC. Nous avons un plan stratégique pour la prise du pouvoir et nous considérons que c’est par la combinaison de toutes les formes de lutte que nous devons affronter un ennemi qui s’est caractérisé par son intolérance, pour maintenir en parole ce qu’ils appellent la démocratie, mais qui en réalité n’existe nulle part dans notre pays. Cet ennemi a tous les moyens à sa portée, il dispose d’une puissante aide internationale conduite par les Etats-Unis ; et depuis 40 ans ils essaient de nous exterminer. Note que Marulanda et ses compañeros à Marquetalia [en 1964] étaient en tout et pour tout 48 personnes et ils ont rompu l’encerclement, alors que tout le potentiel de l’Etat colombien avait été mobilisé pour liquider ce réduit de patriotes qui ont commencé la geste qui libérera la Colombie de la domination, principalement de la part des Etats-Unis. Ces militants de Marquetalia prétendaient créer une société nouvelle, une société juste, une société sans exploiteurs ni exploités, une patrie digne pour tous les Colombiens, où il n’y aurait aucune exclusion d’aucune sorte. Cela, les nouvelles générations le perçoivent maintenant comme une possibilité réelle. Nous nous sommes peut-être attardés, mais cela a été très réfléchi et cela permettra certainement de voir la singularité extraordinaire de la révolution colombienne.

Je te dis cela parce que, bon, la comparaison est mauvaise, mais à Cuba, un mouvement guérillero triomphe, et à partir de cette victoire on passe à la construction d’un parti politique, on passe à la construction d’un gouvernement, et on passe à la construction d’un Etat. Et cela s’observe également avec d’autres révolutions, comme cela a été le cas de l’expérience sandiniste. Regarde, dans le cas du sandinisme une insurrection populaire a surgi à partir de l’existence du mouvement guérillero. Ils ont pris le pouvoir et ils ont dû passer par la même étape : construction du parti, construction de l’armée, construction de l’Etat, construction du gouvernement. Dans notre cas je crois que c’est inversé. Nous sommes passés par la construction du parti dès avant la prise du pouvoir, nous avons construit un gouvernement, parce que dans certaines régions le gouvernement réel c’est les FARC. Et nous avons construit les bases du nouvel Etat en de nombreuses parties de la géographie colombienne. Ce n’est pas de la suffisance. Pour l’issue totale de la révolution, pour nous, cela sera beaucoup simple, parce que nous disposons de tout une expérience et nous pouvons consolider le processus révolutionnaire, disons, avec moins de difficultés, malgré tout ce qu’on voit maintenant. Ce qui se passe c’est qu’il y a une confrontation violente imposée par l’Etat colombien, défi que nous sommes disposés à relever. Nos amis peuvent être assurés, nos sympathisants, nos combattants peuvent être assurés que les FARC ne vont pas s’incliner. Nous considérons qu’aujourd’hui il existe un Etat terroriste en Colombie, maintenant dominé par une tendance de type fasciste. Sans aucun doute, la lutte armée est d’autant plus à l’ordre du jour, pour affronter les armes homicides de l’Etat avec les armes libératrices de ceux qui ont encore de la dignité. Ce peuple colombien dont nous faisons partie est un peuple digne et vaillant qui, en combinant toutes les formes de lutte, modifie le panorama politique et se donne une possibilité de dialogue ou de transition pacifique pour la révolution en Colombie. Et en cela également les FARC peuvent être comparées, et elles soutiennent sur la place publique la comparaison avec leurs ennemis. Nous n’avons pas peur de la place publique, de la confrontation des idées. Ce qui est dommageable c’est qu’en Colombie il n’est pas permis que cette confrontation des idées se produise ; actuellement toute combattante ou tout combattant qui s’expose à dire ce qu’il pense est immédiatement assassiné ou capturé, accusé de terrorisme. Ainsi, actuellement, nous n’avons aucune autre possibilité d’exposer nos idées si n’est avec le soutien des fusils. Voilà la réalité en Colombie.

Actuellement nous travaillons à la construction d’un nouveau gouvernement de large coalition, qui permette d’ouvrir les voies d’une démocratie réelle dans le pays et pour cela nous avons convoqué les secteurs politiques les plus divers, libéraux, conservateurs, le clergé catholique, les corporations économiques du pays, les secteurs intellectuels, les ouvriers, les paysans, les minorités ethniques, les femmes et les hommes de la culture. L’objectif est d’arrêter la guerre. Pour cela nous devons affronter unis le projet fasciste pour la Colombie mis en œuvre par monsieur Álvaro Uribe Vélez et toute l’oligarchie colombienne soutenue par les Etats-Unis et, bien entendu, par certains pays de l’Union Européenne qui se sont impliqués de façon impudique dans un conflit qui ne concerne que les Colombiens. Il y a 40 ans que nous disons que nous voulons la paix, que nous avons lutté pour cette paix, que nous recherchons les changements, et nous aurions préféré ne pas avoir à nous affronter entre Colombiens pour réaliser une réforme qui est une nécessité structurelle urgente pour le pays ; et à nous, qui sommes des révolutionnaires, il nous revient de courir les risques inhérents au fait d’affronter l’Etat colombien et, bien entendu, ses complices qui le nourrissent de l’étranger.

Miguel Urbano Rodrigues : Une autre question. Non seulement les ennemis, mais également parfois des forces démocratiques qui ont une position très critique envers le régime d’Uribe disent que les FARC ne parviennent pas à trouver une base urbaine, que sur ce terrain-là elles ne parviennent pas à progresser, que les FARC ne pénètrent pas les couches moyennes. Que peux-tu dire à ce propos ?

Ricardo González : Il y a une désinformation totale ; en plus, je dirais, une ignorance de ce qu’est notre organisation politico-militaire appelée FARC-Armée du Peuple. Nous n’avons pas seulement un appareil armé mais nous constituons également et nous construisons le Parti Communiste Colombien Clandestin (PCCC), et nous le faisons de façon clandestine parce qu’en Colombie il n’y a pas de possibilité de développement réel d’organisations légales de caractère révolutionnaire ; et nous construisons aussi le Mouvement Bolivarien pour la Nouvelle Colombie, mouvement également clandestin, fortement présent dans le monde étudiant, dans les secteurs ouvriers, dans les quartiers périphériques des grandes villes, dans les secteurs universitaires et chez les intellectuels. Ce qui se passe c’est qu’il s’agit d’un travail éminemment clandestin et les gens ne peuvent pas dire devant tout le monde ce qu’ils sont en train de faire, d’un point de vue idéologique, politique et organisationnel. Bien entendu, nous avons également les Milices bolivariennes et les Milices populaires dans les centres urbains de grande importance, comme Bogotá, Barranquilla, Medellín, Calí, et ce travail urbain est un travail suprêmement délicat parce que dans les centre urbains se trouve toute la puissance de l’ennemi, lequel dispose de tout un appareil technique et de services de sécurité ; il dispose également de collaborateurs -ou « sapos » (crapauds délateurs) comme on les appelle populairement en Colombie- et, bien sûr, construire ces réseaux est pour nous un travail délicat. L’ennemi les recherche, il cherche à les décapiter et à empêcher notre implantation dans les zones urbaines. Il faut tenir compte de ces difficultés. Nous, comme Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, nous sommes d’origine paysanne, bien sûr nous sommes encore majoritairement paysans, mais ces 10 ou 12 dernières années ont été intégrés dans les rangs des FARC des femmes et des hommes qui provenaient de toutes les couches sociales, des couches moyennes, beaucoup d’intellectuels, il y a des journalistes, il y a des prêtres, il y a des ingénieurs, il y a des agronomes, il y a des avocats, il y a des écrivains très importants, des anthropologues, lesquels sont venus parmi nous et qui ici disposent des mêmes droits que n’importe qui entré dans les FARC à n’importe quel moment de leur histoire.

Il y a certainement une qualification très grande dans les FARC ces derniers temps et cela a été démontré lors de l’arrestation du camarade Simón Trinidad. Beaucoup de pays et beaucoup d’amis ont montré leur étonnement parce qu’il était impossible de cacher qu’il s’agit d’un homme formé dans les meilleurs universités des Etats-Unis, d’un homme disposant d’une solide formation culturelle. N’oublie pas que les FARC ont toujours été considérées comme une bande de paysans attardés, ignorants et cela fait partie de ce que l’ennemi dit contre nous et que nos amis, parfois sans réfléchir, admettent et acceptent. C’est normal. Dans le cadre de la confrontation idéologique, il y a des amis qui, lorsque se pose la question de la répression, prennent une certaine distance et restent prudents. Il y en a y compris qui acceptent ce que dit la presse dominante sans la moindre attitude critique. Nous comprenons parfaitement cela, cela ne nous dérange pas, simplement nous disons à nos amis et sympathisants de garder confiance, ici cette armée a été consolidée et elle continue de croître, aussi bien à la campagne que dans les villes, en profondeur, c’est-à-dire, dans le recrutement de nouveaux guérilleros, et également en extension, couvrant de nouveaux espaces de la géographie colombienne. Nous parvenons, cela est la réalité, au cœur et à l’esprit de beaucoup de compatriotes dans les grandes villes de Colombie.

Miguel Urbano Rodrigues : A propos de ce que tu viens d’aborder je voudrais que tu sois un peu plus précis. Les FARC affirment qu’elles combattent sur 60 Fronts répartis sur tout le territoire national. Cependant, le gouvernement d’Uribe et toute la presse -il suffit de voir El Tiempo- disent que cette année selon le haut commandement de l’armée cette dernière a obtenu de grandes victoires militaires. Je te pose la question : Quelle est la situation militaire concrète actuellement ? Un changement s’est-il produit ? Les FARC sont-elles plus faibles que lors de l’entrée en fonction d’Uribe, lorsque Pastrana a mis un terme à la Zone de distension, ou les FARC disposent-elles toujours de la même capacité militaire ?

Ricardo González : Les FARC sont intactes et nous pouvons dire qu’à l’image du Commandant en chef [Manuel Marulanda], qui jouit d’une santé magnifique, l’ensemble du corps des FARC est en bonne santé.

Miguel Urbano Rodrigues : A ce propos, à propos du Commandant Marulanda, on a dit qu’il avait un cancer en phase terminale et qu’il se trouvait dans un hôpital du Brésil, au Mato Grosso. Cela a été dit par la presse internationale, par CNN je crois. Que peux-tu dire à ce propos ?

Ricardo González : Imagine, Marulanda ils l’ont tué environ 50 fois et c’est encore une mort prématurée pour notre Commandant en chef. Alors, comme on dit toujours, « les morts que vous tuez sont en très bonne santé ». C’est ainsi que se trouve notre Commandant en chef.

Miguel Urbano Rodrigues : Une autre question, maintenant à propos de la réélection d’Uribe. Il s’agit, si je ne m’abuse, de la seconde tentative, parce que la première n’est pas passée au Congrès. La nouvelle manœuvre est partie, je crois, de l’ambassadrice de Colombie à Madrid, ex-candidate à la présidence et ex-ministre. Quelles sont les chances de succès pour ce projet et quelle peut être l’influence de tout cela sur la discussion à propos de l’échange de prisonniers ?

Ricardo González : L’aspiration d’Uribe Vélez est de se convertir en petit César, en un mini-César.

Miguel Urbano Rodrigues : Uribe est-il fasciste ? Les FARC l’identifient-elles comme un fasciste ?

Ricardo González : Exactement, c’est un pur fasciste. Il ne cache jamais, disons, sa sympathie pour ce type de phénomène politique et il cherche à reproduire le modèle de Hitler ; et il suit fidèlement l’exemple de son maître et chef monsieur Bush. Alors, dans ce sens nous sommes face à un régime qui utilisent tous les moyens, y compris non constitutionnels, dans sa stratégie autocratique. Il utilise le secteur financier et le secteur industriel. De plus, actuellement les postes clés, comme le Ministère de la défense et le Ministère de l’Intérieur et de la Justice, sont occupés par des personnes issues des groupes économiques les plus influents du pays.

Il y a donc tout une situation, non seulement concernant sa position de classe mais également l’exercice du pouvoir qui généralise la pratique des arrestations en masse, sans jugement. Maintenant ils essaient de recenser tous les Colombiens. Tout Colombien doit obligatoirement enregistrer devant un notaire son lieu de résidence, et dire combien de personnes vivent sur place. Imagine, pour se déplacer d’une ville à une autre il faudra demander une autorisation et la Colombie est en train de devenir une gigantesque prison. Beaucoup de personnes ont effectué 6, 8 ou 10 mois de prison et ensuite elles doivent être remises en liberté parce qu’il n’y a aucun indice qu’elles soient des auxiliaires de la guérilla ou qu’elles soient impliquées dans le mouvement insurgé. Toute la contestation sociale est pénalement sanctionnée, il existe la torture, il existe la prison, il y a des exécutions extra-judiciaires et cela c’est ce que nous vivons les Colombiens actuellement, alors qu’à l’extérieur monsieur Álvaro Uribe Vélez parle de la dite sécurité démocratique globale, laquelle dans le fond n’est rien d’autre que la transformation de la Colombie en immense caserne.

Miguel Urbano Rodrigues : Passons à la situation internationale. L’humanité vit une crise d’une grande complexité, une crise de civilisation, et actuellement, malgré son énorme puissance -militaire, politique et économique- le système de domination impériale, avec son ambition planétaire, se trouve dans une crise qui selon de nombreux économistes est différente des crises antérieures. Il s’agirait d’une crise structurelle. Les énormes déficits commerciaux et budgétaires, la colossale dette extérieure, la plus grande du monde, expliquent l’agressivité croissante du système. Aujourd’hui pour Washington il n’y aurait pas d’autre issue à la crise que des guerres préventives et le pillage des ressources des autres peuples. Les FARC pensent-elles que cette thèse soit correcte, laquelle a été défendue par d’éminents scientifiques marxistes, comme le Hongrois Meszaros, lesquels reprennent l’expression de Rosa Luxembourg « socialisme ou barbarie » ? Selon eux, l’issue de cette crise ne peut pas être autre que la fin du capitalisme. Je te pose la question, les FARC croient-elles que le marxisme et les conceptions de Marx et de Lénine devront jouer un rôle plus important dans la construction du futur ?

Ricardo González : Avec toute cette recomposition du capitalisme, ces politiques néolibérales ont essayé, disons, d’effacer la question de la lutte de classes, ils ont essayé de changer le langage. Ils nient même l’existence de l’impérialisme comme tel ; et ce que nous voyons c’est qu’ils prétendaient que la fin de l’histoire était arrivée avec la chute du camp socialiste. En fait la faim n’a pas disparu du monde. Au contraire, les inégalités sociales croissent, non seulement dans les pays d’Amérique latine, mais y compris en Europe et aux Etats-Unis. Bien sûr, les ressources stratégiques commencent également à manquer. Le cas du pétrole, qui est un problème sérieux pour les Etats-Unis et pour les pays hautement développés, les questions de l’environnement, des problèmes tels que l’eau potable et ses réserves dans le monde. Tout cela fait que l’Empire essaie de se recomposer stratégiquement. Parmi les problèmes de notre hémisphère il y a la question du bassin amazonien où est concentré un sixième de l’eau potable du monde, où se trouve la plus grande biodiversité et où se trouvent de gigantesques ressources minières stratégiques. Nous observons que les Etats-Unis ne cachent pas leur souhait de s’emparer de ces richesses en Amérique latine, ainsi qu’ils l’ont déjà fait en Irak et en Afghanistan pour le pétrole. Donc, tu vois, avec tout ce qui se passe depuis le 11 Septembre, l’Empire a été blessé au cœur, il commence à se débattre, il s’aventure en Afghanistan, il part en guerre en Irak en pensant qu’il s’agit d’une promenade pour renverser Saddam Hussein, lequel, disons, peut avoir été un dictateur, mais qui était le président d’un pays souverain. Les Etats-Unis se donnent tous les droits, par-dessus les Nations Unies, d’entrer là-bas pour imposer leur nouvel ordre économique et leur nouvel ordre international et, tu vois, dans quel bourbier ils sont embarqués là-bas. C’est que les peuples ne sont pas agenouillés et le peuple irakien, employant la forme de la guerre de guérilla, cause d’énormes pertes à l’armée la plus puissante qu’ait connu l’humanité, et il affronte avec succès également les autres armées d’occupation qui se trouvent là-bas : l’armée anglaise, espagnole, italienne. Et les répercussions commencent à se faire sentir parmi ceux qui ont planifié cette guerre d’extermination, cette guerre injuste, cette guerre d’agression, cette guerre maudite contre le peuple irakien.

C’est pour cela, au-delà de la tragédie représentée par la disparition de gens innocents en Espagne, que monsieur Aznar reçoit actuellement un châtiment pour avoir emmené son peuple dans une guerre, faite principalement contre le peuple, il reçoit sur son territoire les contre-coups d’une guerre qu’il a recherchée pour avoir voulu défendre les intérêts nord-américains au Moyen-orient. Cela tu peux le voir actuellement. La situation là-bas en Espagne a déjà provoqué la chute du Parti Populaire. Et si nous regardons l’Amérique latine nous la trouvons prise de convulsions : de l’Argentine, qui s’oppose à la Banque mondiale et au FMI, en passant par la Bolivie avec ce soulèvement populaire qui s’est produit là-bas, en Equateur, au Pérou, en Haïti, en Colombie. C’est-à-dire, la période actuelle représente un sommet dans la lutte des peuples et je crois que l’empire est également resté mortifié parce qu’il n’a pas réussi à imposer sa politique de globalisation comme c’était sa prétention, pour imposer la domination des grandes transnationales. Cela les peuples ne vont pas l’accepter et une confrontation violente va se produire. Les mouvement anti-guerre en Europe ont augmenté et les manifestations de rejet de la guerre basée sur le mensonge commencent à se faire sentir dans le monde entier. Chaque peuple employant la forme de lutte qui lui correspond, nous pouvons tous unis créer un courant d’opinion et de résistance et faire reculer le fascisme et le projet de dictature mondiale que l’Empire cherche à nous imposer. Le fait que les FARC existent aujourd’hui, les armes à la main, faisant face à toute l’agression de l’armée colombienne, aidée économiquement, militairement, technologiquement et, ne l’oublions pas, avec une aide de haute technologie et d’intelligence militaire, j’insiste, la lutte des FARC constitue une forte contribution pour les luttes révolutionnaires du monde. Nous sommes au combat sans avoir connu les pertes qu’ils annoncent.

Dans la question antérieure tu me parlais des 60 Fronts et en effet nous avons 60 Fronts en fonction. Ce chiffre est un chiffre officiel des FARC, et il est confirmé par l’intelligence militaire qui dit toujours que les FARC ont 18 000 hommes. Nous, nous ne savons pas exactement combien d’hommes nous avons. Peut-être le Commandant en chef Manuel Marulanda Vélez le sait-il, mais si tu prends les journaux et l’information de la presse de l’an passé et ce qui s’est passé jusqu’à aujourd’hui, nous trouvons qu’ils ont éliminé 23 000 de nos guérilleros. Donc, théoriquement il ne reste plus personne. Ce sont là des calculs de papier. Ils prennent leurs désirs pour la réalité. La réalité est autre. Au contraire les FARC croissent en nombre de combattants et en couverture territoriale. Ce qui se passe c’est que la confrontation dans cette dernière phase, après la rupture des Dialogues par monsieur Pastrana et après l’entrée en fonction de monsieur Álvaro Uribe Vélez, ne fait que commencer. Les FARC ne peuvent pas entrer au combat au moment où le gouvernement le dit, ou au moment où le dit l’armée colombienne, ou au moment où le dit monsieur Uribe Vélez, ou au moment où le disent les Gringos. Non. Les FARC se réservent le droit d’entamer le combat au moment où elles l’estiment opportun et nécessaire. Nous sommes donc tranquilles, observant les événements avec beaucoup d’optimisme. Les années qui viennent diront si nous avons raison ou pas, mais du point militaire il est utopique de penser qu’ils pourront soumettre les FARC ou qu’ils vont les exterminer. Précisément en octobre [2003], les FARC ont réalisé une assemblée plénière pour restructurer toute leur ligne de commandement, en commençant par le Secrétariat national, par l’Etat Major Central, par les états majors de Bloc, par les états majors de fronts et par les états majors de colonnes combattantes. C’est-à-dire que la direction est assurée pour le futur, sans le moindre à-coup, quoi qu’il arrive dans le cadre de la confrontation en Colombie. Nous sommes tout à fait tranquilles : quel que soit le dénouement de la révolution en Colombie, les FARC seront toujours présentes.

Miguel Urbano Rodrigues : Ricardo, pour en revenir un peu à la question de l’impérialisme, crois-tu vraiment que si le capitalisme est éradiqué sur Terre, que l’alternative soit le socialisme ou la barbarie ? Quel serait le rôle du marxisme ? Dans tout le débat à propos du binôme mouvements-partis, beaucoup d’intellectuels et de dirigeants politiques affirment que la solution viendra exclusivement de l’action des mouvements sociaux. Je me souviens d’interventions dans lesquelles Fausto Bertinotti, de Rifondazione Comunista, a défendu une position extrême. D’après lui, la destruction du capitalisme sera le résultat de l’action, avec un caractère révolutionnaire du mouvement des mouvements. Cependant, d’autres soutiennent qu’il revient aux organisations et aux partis révolutionnaires de jouer un rôle irremplaçable. Que penses-tu de ce débat ?

Ricardo González : Nous ne cachons pas que nous sommes une organisation marxiste-léniniste. Dans les FARC une escadre est composée de 12 femmes et hommes et elle est en même temps une cellule du Parti communiste et c’est là que nous éduquons nos combattants dans toute la pensée marxiste-léniniste. Nous pensons que cette position est totalement valable. De plus nous lui ajoutons la pensée bolivarienne parce que nous considérons que Bolívar a encore beaucoup à faire en Amérique latine. Bolívar est même la grande inquiétude de Washington aujourd’hui. Les stratèges et idéologues du système ont peur que Bolívar ne sorte de son cercueil pour empoigner l’épée de la libération une nouvelle fois. Dans le Document de Santé Fe 4 les Gringos expriment l’inquiétude de voir cette pensée bolivarienne s’étendre sur toute la région sud-américaine. Nous sommes dans une autre époque, bien entendu, mais la pensée de l’unité latino-américaine est encore pleinement d’actualité, en effet la menace de finir soumis à l’empire s’accentue. L’objectif de créer des gouvernements qui offrent un plus grand bonheur à leurs peuples est une exigence continentale, la constitution d’armées de libération n’a pas perdu de son actualité. Donc nous considérons que Bolívar effectivement a encore fort à faire par ici.

Nous considérons que le socialisme est encore pleinement réalisable et que la globalisation elle-même a rendu cette transition encore plus proche. Nous ne pourrions pas dire qu’il existe une voie unique pour faire face à l’Empire et avancer. Très certainement en certains endroits ce sera beaucoup plus difficile. Par exemple, nous en ce moment, comme Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, en raison des conditions imposées par le régime d’Uribe Vélez, la confrontation armée nous place en une situation beaucoup plus complexe que celles des organisations révolutionnaires du passé, lorsque le camp socialiste existait et pouvait avoir apporté une aide économique. Peut-être que nous souffrons dans l’échange de l’information, dans la formation militaire, dans l’entraînement de bataillons spéciaux, etc. Nous sommes une guérilla qui doit complètement être autosuffisante, y compris dans l’achat des armes au marché noir, ou bien nous devons les fabriquer nous-même, c’est ce que nous avons commencé à faire avec les armes artisanales, pour pouvoir faire face dans ce combat inégal du point de vue technologique, ce qui est fondamental dans la guerre moderne. Nous pensons que nous avancerons vers le socialisme avec les caractéristiques et l’idiosyncrasie de la Colombie et qu’il faudra certainement analyser tous les types de socialisme qui ont existé, en Union soviétique, en Chine, en Corée, au Viet Nam, à Cuba, et de tout cela retirer ce qui peut être profitable et l’appliquer aux conditions du développement des forces productives en Colombie. Mais nous ne croyons pas qu’il existe une troisième voie, pour nous le choix c’est socialisme ou barbarie. Et la barbarie nous savons déjà qui l’applique, c’est l’impérialisme parce que cela n’a pas disparu. Au contraire, il est aujourd’hui plus vivant et plus dangereux que dans le passé ; et nous les révolutionnaires, après la débandade et après ce qui s’est passé en Europe de l’est, nous sommes désavantagés. Cependant, nous en Colombie nous sommes très optimistes et nous portons avec conscience le poids de la responsabilité historique qui nous revient actuellement.

Miguel Urbano Rodrigues : Passons à une question un peu délicate, la question de la drogue. La campagne mondiale contre les FARC, cette campagne se déroule sur tous les continents et elle rend difficile la mobilisation de la solidarité. L’argument principal et permanent c’est l’affirmation que les FARC sont une organisation qui est intimement liée à la drogue. Je sais que c’est un diplomate américain, Louis Stamb, ex-ambassadeur à Bogotá, qui un beau jour lors d’une réunion au Pentagone, a dit qu’il faudrait inventer un slogan qui puisse créer une légende noire contre les FARC. Lors de cette réunion est née l’expression « la guérilla du narcotrafic », sur sa proposition, afin de discréditer les FARC. Maintenant je vous demande : Que répondent les FARC à cette montagne d’accusations qui les présentent comme compromises avec les cartels de la drogue ? Vos adversaires prétendent que vous êtes une organisation millionnaire qui ne pourrait pas agir comme elle agit sans les millions de la drogue. Que dites-vous à ce propos, ce qui est la principale accusation faite aux FARC ? Y compris beaucoup d’intellectuels de gauche craignent d’exprimer de la solidarité avec les FARC parce que l’organisation apparaît comme uneguérilla inséparabledu narcotrafic.

Ricardo González : Contre nous ils ont toujours utilisé diverses campagnes pour nous retirer notre prestige. Lorsque n’existait pas le narcotrafic en Colombie ils disaient que nous étions la cinquième colonne de l’impérialisme soviétique, que c’était les soviétiques qui finançaient les FARC et que pour cette raison les FARC existaient. Ensuite ils nous ont traités de bandits, de simples bandits et de délinquants. Postérieurement, en effet, monsieur Stamb, comme tu l’as dit, invente l’épithète « narcoguérilla », et maintenant ce n’est pas étonnant qu’ils nous disent « narcoterroristes » ou simplement « terroristes ». C’est une campagne bien orchestrée et qui s’organise en des moments déterminants. N’importe qui peut se rendre compte que le business du narcotrafic est un business éminemment capitaliste, qui en Colombie, en raison des conditions spécifiques et en raison de l’application des politiques néolibérales qui ont ruiné la campagne colombienne et qui ont provoqué la suppression de 500 000 hectares de culture de café, cela a ruiné l’économie du manioc, l’économie agricole a également été ruinée pour certains autres produits comme le coton, et les gens ont commencé à cultiver de la marijuana ou à cultiver des plants de coca, et cela était dans une certaine mesure toléré par les gouvernements colombiens. Les narcotrafiquants durant la décennie 1980 étaient présents dans tous les secteurs en Colombie. Pablo Escobar lui-même, le roi de la drogue, avait été élu à la chambre des représentants sur les listes du Parti libéral. Et dans les avions des narcotrafiquants colombiens circulaient beaucoup de gens, un président aujourd’hui disparu, monsieur Carlos Lleras Restrepo, jusqu’à ce que nous avons vu avec le narco-président appelé Ernesto Samper, qui a été élu avec l’argent du narcotrafic. Une autre chose qui démontre l’hypocrisie dans cette société colombienne : lorsque le Pape Jean-Paul II a visité la Colombie, les cartels de la drogue ont réuni environ 3 millions de dollars pour les remettre au Vatican pour qu’il réalise des œuvres sociales. C’est-à-dire...

Miguel Urbano Rodrigues : Et il l’a accepté ?

Ricardo González : Certainement qu’il n’a pas su d’où cela provenait, mais cet argent est arrivé jusqu’à ses mains. Tu te souviens que Pablo Escobar était un homme très croyant, il priait la Vierge avant d’aller poser des bombes. Mais observe que le narcotrafic a touché tous les secteurs de la société colombienne, du Parlement, jusqu’aux grands banquiers, les industriels, les juges, les magistrats, les officiers de l’armée colombienne... Y compris dans les avions de la Force Armée Colombienne de la drogue a été transportée aux Etats-Unis. Le navire militaire « Gloria », le navire numéro un de la marine colombienne, a été arrêté alors qu’il transportait de la cocaïne, et dans l’avion présidentiel, lorsque le docteur Ernesto Samper Pizarro allait visiter les Etats-Unis, ils ont trouvé de la cocaïne. Mais évidemment ce business est des plus rentables qui existent sur la planète Terre, il est presque au même niveau que le commerce des armes.

Là le capital circule à une vitesse beaucoup importante et les analystes du problème considèrent que 550 000 millions de dollars circulent dans le monde qui sont le produit du narcotrafic. Sur ces 550 000 millions de dollars il y a 20 000 millions qui reviennent en Amérique latine et là-dessus il y a 5 500 millions qui reviennent en Colombie, selon les calculs les plus optimistes. Et on prétend que la Colombie produit 80% de la cocaïne de la Terre. Où est-ce que cet argent reste ? A l’intérieur de l’empire, la grande affaire est réalisé par les Etats-Unis eux-mêmes. Observe que durant toute la période correspondant au président Clinton l’économie des Etats-Unis a connu une croissance sur un rythme de 6,11% parce que, évidemment, cet argent du narcotrafic irriguait le torrent financier de l’économie nord-américaine. Les FARC ont elles-mêmes proposé aux Etats-Unis, ont proposé aux Nations Unies, ont proposé à tous les gouvernements du monde qui luttent réellement contre le narcotrafic, une politique claire de substitution des cultures et de lutte résolue contre le narcotrafic. Nous avons été attaqués par les grands cartels de la drogue, nous avons dû les affronter militairement parce que la véritable alliance est celle qui existe entre les narcotrafiquants, les paramilitaires et certains commandements au sein de l’armée colombienne et toute cette pourriture de la caste politique colombienne souillée dans ces affaires. C’est-à-dire, ce sont eux qui réellement gèrent ce commerce, mais ils peuvent sortir du pays sans problème. Nous, nous ne pouvons même pas sortir du territoire colombien parce que nous sommes recherchés partout. Comme tu sais, depuis l’époque de la guerre froide, toutes les Caraïbes et le Pacifique, l’Amazonie et la région andine sont couverts de radars appartenant aux Etats-Unis. Nous, nous avons dit aux Gringos : cessez d’être hypocrites, ce problème est votre problème là-bas et vous en tirez profit. Aux Etats-Unis ont estime qu’il y a actuellement 25 millions de consommateurs directs de la drogue, et si on considère que pour chaque consommateur la drogue affecte indirectement 4 ou 5 autres personnes, le résultats c’est qu’il y a entre 120 et 125 millions d’Américains touchés par ce problème. Pour combattre aux Etats-Unis la plaie des narcotiques le gouvernement, en soignant les malades, en faisant des campagnes dans les universités, dans les collèges, parmi la population, pour faire baisser la consommation de 1% la dépense serait de 180 millions de dollars. L’hypocrisie est évidente. Ils ne combattent pas le problème aux Etats-Unis, mais ils portent la guerre contre la drogue en Bolivie, au Pérou, en Equateur ou en Colombie, et dans ce cas-là le coût, toujours pour baisser la consommation de 1%, s’élève à 780 millions de dollars. C’est-à-dire que pour les Etats-Unis combattre à l’intérieur de leur territoire serait moins onéreux.

Nous avions proposé lors de la Première rencontre internationale sur le combat contre les cultures dites illicites et le narcotrafic, à l’Union Européenne et à monsieur Pastrana, de substituer les cultures sur la base d’une étude complète qui a été réalisée dans une zone qui s’appelle Carthagène del Chairá, où existent environ 7200 hectares de plantation de coca. Il s’agissait de réaliser un grand laboratoire, de faire en quelque sorte un test pour vérifier qu’il est possible de combattre radicalement le narcotrafic. Je t’ai dit que ces fantasmes ont été lancés contre nous, c’est le prétexte des Etats-Unis pour agresser militairement la Colombie et pour cacher la véritable raison de leur Plan Colombie, qui est un plan contre-insurrectionnel, destiné à en finir avec les FARC, pour pouvoir dominer le pays, agresser le Venezuela, pour finalement s’approprier de toute la région. Nous regrettons beaucoup qu’en ce moment, aussi difficile, nos amis continuent de croire les infamies qui sont lancées contre notre organisation guérillera.

Nous avons toujours condamné le narcotrafic, crime contre l’humanité, nous connaissons les maux que cela provoque, surtout contre la jeunesse, et nous dans les zones où nous nous trouvons, nous condamnons rigoureusement la consommation de stupéfiants.

Du fait qu’elle soit majoritairement paysanne la guérilla des FARC est une guérilla saine. Les paysans colombiens, les paysans même des Etats-Unis, les paysans du Portugal, de l’Argentine, du Venezuela, ce sont des gens sains qui n’utilisent jamais ce genre de chose. La drogue est utilisée là-bas par les Nord-américains, une grande partie d’entre eux, ce qui montre au passage un haut degré de déséquilibre moral dans cette société, tout comme en Europe. En Colombie non, nous ne sommes pas impliqués dans ces affaires, mais sur la base de cela on dit que les FARC sont une organisation multimillionnaire. C’est risible. Personne ne sait jamais avec quelle soif boit l’autre ; nous sommes certainement une guérilla évoluant en autarcie et nous nous sommes vus contraints de tout autofinancer. Il y a des grands industriels patriotiques qui contribuent aux FARC, comme il y a également des grands propriétaires qui effectivement nous aident. Les FARC à l’intérieur de la Colombie ont des affaires rentables qui permettent l’autosuffisance. Evidemment comme c’est une guerre qui nous a été imposée et comme l’argent est possédé par les riches et les puissants qui ont tiré profit des larmes et de la sueur de notre peuple, parfois nous avons dû avoir recours aux rétentions de personnes. Souviens-toi qu’en cette dernière étape et depuis l’épisode du Caguán [le Processus de Paix achevé en février 2002] les FARC ont promulgué la Loi 002 par laquelle toute personne, Colombien ou étranger, dont les bénéfices sont supérieurs à 1 million de dollars doit en remettre 10% aux FARC. Cet impôt nous le recouvrons et pour le recouvrement nous ne le faisons pas avec des fleurs. Cela doit être fait parce que les FARC, lorsqu’elles promulguent une loi, c’est pour qu’elle soit appliquée. Actuellement il faut dire que de plus en plus d’industriels, de plus en plus de banquiers, de plus en plus de transnationales, se présentent pour frapper à la porte des FARC pour savoir combien elles doivent nous payer. Mais évidemment les coûts pour entretenir une armée comme la nôtre sont très élevés. Nous ne sommes pas une guérilla millionnaire. Nous avons des difficultés de toute sorte. C’est cela même qui nous empêche d’avoir accès à la haute technologie de l’armement. La France, les Etats-Unis, les Nations Unies, nous disent de ne pas utiliser les mines anti-personnel ou d’autres armes non-conventionnelles. Que faire ? Comme nous sommes déjà un petit Etat en gestation, nous disons aux Anglais, aux Nord-américains eux-mêmes, aux Gringos, que s’ils sont très contrariés par le fait que nous utilisons des mines anti-personnel, qu’ils nous donnent un crédit, qu’ils nous vendent des armes conventionnelles pour que nous puissions les utiliser.

Miguel Urbano Rodrigues : Comment sont les mines anti-personnel ?

Ricardo González : Ce sont des mines anti-personnel que nous fabriquons, nous les combattants des FARC. Dans une boîte de sardines on place une quantité d’explosifs, on y place ce qui s’appelle la mitraille, des vis, parmi d’autres choses, c’est ce qui maintient l’armée colombienne sur le terrain.

Miguel Urbano Rodrigues : Vous n’avez pas de missiles...

Ricardo González : Non, nous n’avons pas de missiles.

Miguel Urbano Rodrigues : Vous n’avez jamais été accusés d’en avoir ?

Ricardo González : Une fois en quelque part ils ont vu des paysans avec une vieille voiture peinte en forme de missile et ils ont dit que nous avions enfin ces missiles, mais ce n’est pas vrai, c’était un bidon d’essence peint. Nous n’avons pas encore ces choses sophistiquées. Ce que nous avons là ce sont quelques flèches et quelques carabines...

Miguel Urbano Rodrigues : Ricardo, une dernière question concernant le problème de la contradiction d’un gouvernement qui refuse de négocier et de discuter et de dialoguer directement l’échange de prisonniers, mais en même temps il continue de dialoguer presque amicalement avec les paramilitaires de Carlos Castaño et de Salvatore Mancuso. Comment jugez-vous cette contradiction ?

Ricardo González : Non. Je ne dirais pas qu’il y a un dialogue entre Uribe Vélez et les paramilitaires. Ce qu’il y a c’est un monologue entre eux-mêmes. Monsieur Uribe Vélez est fier quand on lui dit « paramilitaire », c’est parce que c’est de là qu’il vient. Il faut demander au docteur Álvaro Uribe Vélez ce qu’il faisait dans l’aéronautique civile quand il était directeur national, la quantité des pistes d’atterrissage qu’il a données aux paramilitaires colombiens. Le passé de Monsieur Uribe Vélez en la matière est horrible. Ce qui se produit là c’est que de vieux amis se réunissent et opèrent une division du travail. Ils ont voté pour Uribe Vélez et ils lui ont apporté toute l’aide nécessaire. Ils reçoivent maintenant la récompense pour l’aide qu’ils ont apportée à monsieur Uribe Vélez en d’autres temps. Il a été très généreux avec eux, et il continuera d’être généreux. Il ne se passe en fait rien, un simple monologue.

Miguel Urbano Rodrigues : Et l’échange de prisonniers ? Il y a au contraire une attitude de refus concernant l’échange de la part du gouvernement.

Ricardo González : Monsieur Uribe Vélez cherche à se montrer intransigeant malgré la clameur nationale qui demande l’échange, clameur qui dépasse maintenant les frontières colombiennes. Il existe en Colombie un conflit interne entre deux forces, une force irrégulière, les FARC, et l’autre, l’armée officielle. Nous avons des prisonniers de guerre, tout comme l’Etat détient dans ses geôles des prisonniers de guerre appartenant aux FARC. Monsieur Uribe Vélez feint d’ignorer que ses officiers de l’armée, de la police, de la marine, ses membres des services d’intelligence, comme le DAS et le F2, sont détenus par les FARC, capturés au combat, parce qu’ils ont défendu cet établissement en putréfaction, lequel ne s’émeut pas de la douleur et du drame qu’ils vivent. Nous avons fait la proposition de cet échange de prisonnier, proposition qui reste valable...

Miguel Urbano Rodrigues : Combien de prisonniers sont détenus par les FARC ?

Ricardo González : Actuellement on estime qu’il y a 50 ou 60 officiers de l’armée et de la police détenus par les FARC. Il y a d’autres personnes qui appartiennent à la classe politique colombienne. Comme l’a dit le commandant Raúl Reyes, ils sont tous en très bonne santé, vivant bien entendu l’inconfort de la forêt, mais traités dignement et correctement. De ce point de vue les FARC ont respecté ces personnes, disons, au niveau de la situation de la guerre, et ils sont traités comme sont traités nos guérilleros. Ils ne sont pas discriminés. Nous considérons que cet échange va contribuer à ouvrir des voies, avec ce gouvernement ou avec un autre qui saura qu’il doit ouvrir les portes de l’entente entre Colombiens. C’est pour cela que si Uribe Vélez se perpétue au pouvoir c’est une très mauvaise blague, parce qu’il y a des secteurs en Colombie, surtout dans la grande presse, qui magnifie le niveau de popularité du président actuel. Nous ne le croyons pas, au niveau de la presse ils peuvent soutenir ce qu’ils veulent, du point de vue de l’image. Tous les jours ils assurent qu’ils ont capturé 100, 200, 300 membres des FARC, ou qu’ils ont été tués au combat. Ils gagnent la guerre sur le papier, avec des grands titres, mais la réalité sur le champ de bataille est tout autre. Les coups qui ont été portés à l’armée colombienne ont été très durs, mais cela n’est pas perceptible dans la grande presse. Nous leur portons des coups tellement importants que même le journal El Tiempo doit commencer à en rendre compte. Les mines anti-personnel font de grands dégâts dans l’armée officielle. Cela doit également être analysé par le peuple colombien.

La guerre n’apporte rien de bon aux peuples, elle apporte désolation et mort. Nous avons un président qui parle tous les jours de guerre alors que nous disons que nous voulons dialoguer avec le gouvernement qui sera vraiment intéressé par l’ouverture des voies pour une solution dialoguée au conflit social et armé que vit la Colombie.

Miguel Urbano Rodrigues : Nous en arrivons au terme de cet entretien. Le thème est inépuisable. Nous pourrions parler pendant des heures sur la lutte des FARC, mais je crois que tu as dit des choses importantes. Tu veux ajouter quelque chose ?

Ricardo González : Oui. Je souhaite exprimer un remerciement pour la solidarité envers notre lutte de la part des communistes portugais. Aux camarades du Parti communiste portugais, et particulièrement à son ex-secrétaire général, Alvaro Cunhal, nous adressons fraternellement notre combatif salut révolutionnaire et marxiste-léniniste. Des partis comme le parti portugais ont fait preuve d’une grande solidité idéologique. Nous les admirons profondément. Nous avons lu et étudié « Parti aux murs de verre », et nous en tirons encore profit. Je crois que les communistes portugais peuvent être fiers de ne pas avoir fléchi quand la lâcheté s’est emparé du monde. Maintenant plus que jamais nous nous sentons plus proches. Pour vous, un salut des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, et j’espère que vous aurez l’occasion de nous visiter dans nos camps dans la montagne et j’espère aussi qu’une de nos délégations pourra également recevoir de cette chaleur des communistes portugais et du peuple portugais qui, malgré la distance, nous est proche par l’esprit et par le cœur.

Original en portugais : Avante (Hebdomadaire du Parti communiste portugais)

Version espagnole : www.rebelion.org

Version française : Numancia Martínez Poggi (traduction à partir de la version espagnole)

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