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VIVA ZAPATERO ! : un film documentaire de Sabina Guzzanti

Publie le dimanche 11 décembre 2005 par Open-Publishing
2 commentaires

Avant première Viva Zapatero !
Jeudi 15 Décembre à 20h (ouverte au public) au cinéma des 7 Parnassiens (98 bd du Montparnasse 75014 Paris M° Vavin) en partenariat avec la FIDH et en présence de Karl Zero

Haut et Court distribution présente :

VIVA ZAPATERO ! : un film documentaire de Sabina Guzzanti

date de sortie : 21 décembre 2005

Sabina Guzzanti est une imitatrice populaire en Italie, où elle a animé sur la télévision publique l’émission satirique "RaiOt".

Le Conseil d’administration de la RAI a décidé de retirer l’émission suite à la diffusion de "RaiOt - Armi di distrazione di massa" [Armes de distraction massive], sur le thème de l’information en Italie.

Sabina Guzzanti a fait de son histoire et plus généralement de la mainmise de Berlusconi sur les médias et les esprits italiens l’objet de ce sulfureux documentaire...

Suite au partenariat entre, Haut et Court, Bellaciao.org et L’Italie à Paris, gagnez des places en répondant à trois questions !

Questions :

 De quel journaliste politique Sabina Guzzanti est-elle la fille aînée ?

 Comment s’appelle la dernière émission animée par Sabina Guzzanti pour la Rai ?

 Dans l’émission "Porta a Porta", Silvio Berlusconi a donné une liste de personnes qui ne doivent plus selon lui, faire la moindre apparition à la télévision... Qui apparaît en première position ?

Ici votre réponse : bellaciaoparis@yahoo.fr


Sabina Guzzanti

Sabina Guzzanti Sabina Guzzanti est née à Rome en 1963, où elle a obtenu le diplôme de l’Académie d’Art Dramatique. Fille ainée d’un influent journaliste politique, le celebre Paolo Guzzanti (lui-même neveu d’un puissant médecin qui a été ministre du gouvernement Dini), l’actrice s’est toujours opposée aux divers mouvements politiques, contrairement à son père qui, après avoir milité au sein de la gauche, se reconnaît maintenant dans le déploiment de centre-droite.

Au cours de sa carrière, principalement à la télévision (ce qui lui a permis d’atteindre une telle popularité), elle a su créer des personnages mémorables à travers l’emploi de la parodie satirique. Elle connaît véritablement le succès en 1988 lorsque elle participe au programme la TV des filles (La TV delle ragazze).
Grâce à la notoriété acquise elle peut s’orienter la même année vers le cinéma. Giuseppe Bertolucci la veut pour son film I cammelli, qui la lance sur le Grand Ecran. Avec l’affinité qui s’instaure entre eux deux, ils tournent ensuite Troppo sole en 1994, dans laquelle l’actrice joue quasiment tous les rôles prévus dans le scénario (écrit entre autre en collaboration avec David Riondino, qui est son compagnon dans la vie).

En 1998 elle se sent prête à faire une tentative en autonomie complète. Elle réalise alors Donna selvaggia un court-métrage dans lequel elle se lance dans la mise en scène.

Mais Sabina aime aussi le théâtre, et ce, depuis le début de sa carrière. De par ses liens artistiques avec son frère Corrado, mais aussi avec Serena Dandini (auteur et présentatrice de beaucoup de ses spectacles télévisés), Sabina Guzzanti joue dans le spectacle Recital, dans lequel elle interpète des personnages plus ou moins célèbres, comme Massimo d’Alema, ou sutout son omniprésent, hilarant, Silvio Berlusconi.

En novembre 2003 elle fait parler d’elle avec son programme "Raiot", sur Rai 3, pour deux raisons...

La première : Malgré l’horaire de la retransmission (23:30), l’audience a été exceptionnelle.

La seconde : Mediaset a demandé à ses avocats d’entamer des actions judiciaires contre de "très graves mensonges et insinuations" au cours de l’émission !

Les enregistrements ont continué mais la retransmission a été suspendue, faisant jaillir de nombreuses polémiques...


Une brève chronologie des médias et de la politique en Italie

par Olivier Doubre

années 1970 : ancien chanteur sur des bateaux de croisière, Silvio Berlusconi, commence à investir dans de lucratives affaires de spéculation immobilière autour de Milan. Associé à des personnages souvent louches, il reçoit curieusement d’importantes sommes d’argent, dont on ne connaît toujours pas la provenance aujourd’hui. En une dizaine d’années, il va réussir à construire des quartiers entiers, de "standing", modernes et "à l’américaine", qui plaisent tant à la classe moyenne : c’est Milano 2, puis bientôt Milano 3...
début des années 1980 : Silvio Berlusconi, devenu l’un des plus grands entrepreneurs milanais, spécialisé dans l’immobilier, se met à investir dans la télévision privée naissante, autorisée depuis peu. Ses régies publicitaires acquièrent rapidement une position dominante...

4 août 1983 : entrée en fonction du gouvernement Craxi. Secrétaire Général du Parti Socialiste Italien (PSI), Bettino Craxi est un ami personnel de Silvio Berlusconi. Le nouveau Président du Conseil légifère bientôt dans le domaine des télévisions privées. Il favorise ainsi grandement l’empire télévisuel naissant de Silvio Berlusconi Fininvest-Mediaset, en lui permettant notamment de conserver sa position dominante, au mépris des règles généralement admises en matière de concurrence.

seconde moitié des années 1980 : le groupe Mediaset, propriétaire de très nombreuses télévisions locales, détient surtout les trois grandes chaînes nationales : Italia 1, Rete 4 et Canale 5. Le cinéma italien, parmi les plus prestigieux du monde jusqu’à la fin des années 1970, a quasiment disparu des salles du pays et des festivals internationaux.

fin 1989 - 1991 : la chute du mur de Berlin provoque des bouleversements au sein du Parti Communiste Italien (PCI). Principal opposant au système politique dominé depuis 1945 par la Démocratie-Chrétienne (et ses alliés successifs), celui-ci abandonne son nom pour devenir le Parti des Démocrates de Gauche (PDS). En 1991, cette évolution est refusée par une minorité qui prend le nom de Parti de la Refondation Communiste (PRC).

17 février 1992 : un responsable local du PSI (parti allié avec la Démocratie-Chrétienne au pouvoir) est arrêté à Milan alors qu’il vient de récupérer un pot-de-vin qui contribue à financer le parti politique auquel il appartient. Les juges milanais du pool Mani Pulite ("Mains propres", ndlr) remontent rapidement la filière. En quelques mois, toute la classe politique italienne est balayée par une vague d’enquêtes et de mises en examen sans précédent : plus de 70% des parlementaires se retrouvent impliqués dans des dizaines de procès.

24 avril 1992 : chute du gouvernement Andreotti, suite aux révélations par les magistrats sur l’ampleur de la corruption au sein du système politique italien. La démission de Giulio Andreotti, personnage incontournable depuis l’après-guerre, surnommé "l’inoxydable", est d’autant plus symbolique qu’il était alors Président du Conseil pour la 7ème fois ...

fin 1992 - 1993 : fin de la "Ière République". Les partis qui gouvernaient l’Italie depuis 1945 disparaissent de la vie politique, sous le coup des enquêtes judiciaires. La vieille Démocratie-Chrétienne s’auto-dissout dans une ambiance de fin de règne. Exclus du pouvoir depuis 40 ans en raison de la guerre froide, les héritiers du Parti Communiste Italien (le PDS) sont les seuls, avec les néo-fascistes, à ne pas être inquiétés par les affaires. Leur victoire semble alors inéluctable aux prochaines élections, n’ayant plus d’opposition organisée sur leur droite...

Porta a Porta décembre 1993 : entrée en politique de Silvio Berlusconi, l’homme le plus riche d’Italie. Il se sert pour ce faire de ses chaînes de télévision qui retransmettent en direct un show "à l’américaine" avec strass, paillettes et pin-ups dénudées, mettant en scène la création de son parti politique, véritable machine de guerre, Forza Italia ["Allez l’Italie", slogan des supporters de l’équipe nationale de football, ndlr]. Son programme : libéralisme à outrance et "barrer la route aux "communistes"...

27 mars 1994 : victoire de Forza Italia, alliée aux "post-fascistes" de l’Alliance Nationale AN (bien implantés dans le Sud) et aux xénophobes de la Ligue du Nord. C’est aussi la première fois que les Italiens votent au scrutin uninominal-majoritaire, adopté après des années d’un système proportionnel supposé avoir donné trop de pouvoirs aux appareils des anciens partis.

10 mai 1994 - 22 décembre 1994 : 1er gouvernement Berlusconi. Rapidement, ses alliés (qui représentent des intérêts divergents, sinon opposés) s’entredéchirent : la Ligue du Nord, défend le Nord riche et industrialisé qui, refusant de continuer à payer la part prépondérante de l’effort national, veut rompre avec l’Etat centralisé ; les héritiers du parti néo-fasciste, l’Alliance Nationale, (héritiers du parti néo-fasciste) sont pour leur part les chantres d’un système centralisé qui continuerait d’aider le Sud plus pauvre. La Ligue du Nord sort avec fracas de l’alliance, faisant chuter le gouvernement. Pour Silvio Berlusconi, c’est le début de sept années d’opposition (jusqu’en 2001).
1994 - 1996 : gouvernements dits "techniques".

Avril - mai 1996 : victoire de l’Ulivo : l’alliance des partis de gauche (avec, pour la première fois depuis 1945 les héritiers du PCI) remporte les élections législatives. Son leader, Romano Prodi, ancien haut fonctionnaire de l’aile gauche de l’ex-Démocratie-Chrétienne prend la tête du gouvernement.
1996 - 2000 : la gauche au pouvoir, ne parvenant à se décider entre une stratégie d’attaques frontales et des tentatives de négociations avec Berlusconi, ne légifère pas pendant ces cinq années pour limiter, comme dans la plupart des pays européens, le quasi-monopole sur les médias détenus par Silvio Berlusconi. Les procès en cours contre lui n’aboutissent pas davantage. Toujours chef de l’opposition, son "conflit d’intérêts" entre chose publique et propriété privée n’est pas résolu.

30 mars 2000 : lancement devant les caméras du "navire de la liberté", le yacht de luxe sur lequel Silvio Berlusconi fait sa "campagne-croisade" (électorale) tout autour de la péninsule italienne.

16 avril 2000 : Forza Italia remporte massivement les élections régionales provoquant la démission du Premier Ministre, Massimo D’Alema. Celui-ci est remplacé par Giuliano Amato, en attendant les prochaines élections législatives : la campagne est lancée...

15 juin 2000 : le magazine Forbes publie son classement annuel des plus grandes fortunes de la planète. A la 23ème place apparaît le nom de Silvio Berlusconi.

février 2001 : sortie du livre de Marco Travaglio et Elio Veltri, L’odore dei soldi (Editori Riuniti, traduit en français sous le titre L’odeur de l’argent, Fayard, oct. 2001). L’ouvrage révèle les nombreuses zones d’ombre et l’origine trouble de la formidable fortune accumulée par Silvio Berlusconi. Le livre provoque alors un énorme scandale. Certaines émissions de la Rai, pas encore mise au pas par le Cavaliere, organisent des débats autour de l’ouvrage. Quelques mois plus tard, leurs suppressions pures et simples (et le licenciement de quelques-uns des journalistes italiens les plus respectés) sera la seule réponse du nouveau pouvoir berlusconien. Ils sont peu à peu remplacés par des salariés des télévisions Mediaset, ce qui permet à Berlusconi de s’assurer également le contrôle des émissions de la Rai.

16 avril 2001 : victoire de la coalition du Polo della libertà dirigée par Silvio Berlusconi [Pôle de la liberté, ndlr] aux élections législatives. C’est le grand retour du Cavaliere au poste de Président du Conseil. Le système majoritaire en place depuis prèes d’une décennie est devenu solidement ancré dans la vie politique : le nouveau gouvernement jouit donc d’une vraie stabilité. Il est d’ailleurs aujourd’hui toujours en exercice...

2001 - 2004 : l’ensemble des télévisions publiques est mis au pas. Berlusconi dirige d’une main de fer ses propres entreprises télévisuelles (les trois chaînes nationales de Mediaset) ainsi que les trois chaînes nationales de la Rai. Son contrôle sur les télévisions du pays est de facto total.

Viva Zapatero ! 16 septembre 2005 : Le film Viva Zapatero ! de Sabina Guzzanti est acclamé lors de sa présentation à la Mostra de Venise et il sort en salle (déjà plus de 300 000 entrées). Dans chaque cinéma, un appel "pour une communication et une information qui répondent aux exigences démocratiques en Italie" est proposé à la signature des spectateurs du film. Après plus de six semaines, il continue d’attirer un public très important.

Pendant ce temps-là, le gouvernement Berlusconi, après des années de politique ultra-libérale et de législations sur mesure (prescrivant, ou décriminalisant, les multiples malversations dont les juges accusent le Premier Ministre ou ses proches) perd chaque jour des points dans les sondages. Tous les observateurs s’accordent aujourd’hui pour prévoir - enfin - la chute du gouvernement Berlusconi, lors des prochaines élections législatives de mai 2006...


Entretien avec Sabina Guzzanti

Propos recueillis et traduits par Olivier Doubre

Quel était le contexte politique au moment où commence votre film, c’est-à-dire lorsque votre émission est tout à coup supprimée de la grille des programmes de Rai 3, la 3ème chaîne de la télévision publique italienne ?
Sabina Guzzanti : Tout d’abord, je dois dire que j’ai travaillé à la Rai pendant de très nombreuses années où j’ai toujours fait des émissions comiques, satiriques. Je jouais divers personnages, souvent des hommes politiques mais pas uniquement, puisque j’ai aussi interprété des rôles plus sérieux en tant qu’actrice. Néanmoins, il est vrai que je suis surtout connue comme comique et auteur. Peu à peu, la situation politique italienne s’est compliquée, tendue même, et la satiyre a acquis un rôle central avec des sujets de plus en plus politiques. Quand Berlusconi est entré en politique, sa fonction a encore acquis de l’importance. Nous étions alors en 1994, et nous sortions tout juste des scandales Mani Pulite [Mains propres, ndlr]. Cela correspondait à un moment où la politique suscitait à nouveau l’intérêt alors qu’auparavant, dans les années 1980, les gens ne s’y intéressaient plus guère... C’est donc à ce moment-là que je me suis mise à faire ce type d’émissions, en me moquant de beaucoup d’hommes politiques, pas seulement de Berlusconi. Je me moquais aussi de la gauche, j’ai d’ailleurs été l’une de celles qui a le plus attaqué la gauche, et notamment Massimo D’Alema [l’un des principaux leaders de la gauche italienne, Premier Ministre de 1998 à 2000, ndlr].

Mais très vite, vous avez surtout des problèmes avec Berlusconi... et avec la télévision.
En fait, dès 2001, nous avons fait une série qui s’appelait L’ottavo nano [Le huitième nain, ndlr] où j’imitais Berlusconi. Déjà cette année-là, nous n’avons pu faire que deux émissions ! Elles ont provoqué un véritable tollé. C’était juste avant qu’il ne remporte les élections. Il nous a alors accusé de tous les maux, déclarant que les comiques et les journalistes lui avaient fait perdre un million de voix. En face, la gauche disait au contraire que Berlusconi avait gagné grâce aux comiques ! Une fois qu’il était au pouvoir, on a bien continué à me demander de faire des émissions, mais elles ont toujours été bloquées avant diffusion, sous des prétextes toujours plus fallacieux. Une fois parce qu’il y avait la guerre, une autre parce j’allais soi-disant faire de la concurrence à d’autres programmes... Enfin, on a commencé à travailler pour ce qui allait devenir RaiOT et là, personne ne nous a barré la route, jusqu’au jour de sa diffusion sur Rai 3.
il sodaggio Ue’ Ce jour-là, le directeur de Rai 3, la chaîne qui devait le diffuser le soir-même, m’a appelé et m’a dit tout simplement qu’il supprimait l’émission. Il ne m’a pas demandé de couper telle ou telle réplique, ou même un passage, il m’a simplement dit qu’il ne la diffuserait "plus jamais" !

A ce moment-là, quelle a été votre réaction ?
Il y a eu immédiatement un mouvement très fort de soutien dans l’opinion publique et, bien sûr, cela m’a fait vraiment plaisir. Cependant, même si on m’empêchait de travailler, le plus dur a été de voir que certains journaux, qui auraient dû défendre la liberté d’expression, se sont mis au contraire à chercher des excuses à cette censure. Peu à peu, des mensonges et des calomnies ont rempli les pages de quotidiens et de certaines émissions. Or, je ne pouvais plus répondre puisque j’étais interdite d’antenne. C’est ce qui m’a le plus révoltée. On se sent impuissante lorsqu’on voit qu’ils ont tout en main : les journaux, les radios et les télévisions... Mais petit à petit, on finit par trouver d’autres voies comme, par exemple, ce documentaire qui, finalement, est une réponse assez inattendue. On a mis du temps pour le mener à bien mais je crois que nous arrivons à un moment où je suis sûre qu’ils pensaient que cette histoire était bel et bien oubliée, étouffée. Je dois dire que je suis assez contente de leur jouer ce nouveau tour !

Quand le film est-il sorti en Italie ?
Il est sorti le 16 septembre dernier et il est toujours sur les écrans. Je sais qu’en France la situation est différente mais chez nous, le cinéma est dans un état absolument désastreux ; aussi, qu’un film italien soit toujours à l’affiche, six semaines après sa sortie, est déjà tout à fait inhabituel. Pour un documentaire, cela ne s’est jamais produit ! Il s’agit donc d’un réel succès, surtout quand on sait que, bien entendu, le film n’a pas bénéficié d’une très grande campagne de promotion : c’est uniquement grâce au bouche-à-oreille qu’il a pu rencontrer un tel public. En effet, nous n’avions pas de budget pour le promouvoir, il s’agit d’une production indépendante auto-produite . Mon producteur et moi-même n’avions donc pas les moyens d’acheter - ce qui est très important pour un film en Italie - des spots TV montrant la bande-annonce. Nous nous sommes limités à acheter des encarts dans les journaux quand il était projeté à un endroit. Et évidemment, il y a eu très peu d’émissions de radio ou de télévision qui en ont parlé ! Pourtant, les recettes s’élèvent déjà à plus d’un million et demi d’euros, ce qui est tout à fait exceptionnel pour un film italien, qui plus est dans le circuit indépendant et avec seulement 80 copies. En Italie, l’habitude d’aller au cinéma s’est perdue depuis plus de vingt ans, et c’est pourquoi le succès remporté par ce film est vraiment considéré ici comme une sorte de miracle...

Vous dites à un moment dans le film : "je ne suis qu’un bouffon, et je n’ai fait que mon devoir"... A votre avis, quelles sont les raisons de la censure de vos émissions ?
Je suis d’abord une artiste, et je ne trouve en rien choquant qu’une artiste s’implique, voire s’engage dans la vie politique. Mais je ne défends que des principes, sans être au service d’aucun parti. Mon propos consiste seulement à défendre la liberté d’expression dans mon pays, c’est-à-dire la liberté qui est à la base de la démocratie. Le problème est que mon émission était diffusée sur la Rai, c’est-à-dire la radio-télévision publique italienne, qui détient les trois chaînes nationales historiques. Or, la direction de la Rai est choisie par le gouvernement. Quand on sait qu’en face, le principal groupe de télévision privé, qui détient les trois autres grandes chaînes de télévision du pays, est également propriété du Président du Conseil, c’est bien la liberté d’expression qui est menacée. Le premier numéro de RaiOT, comme on en voit des extraits dans le film, n’était ni vulgaire (comme certains l’ont dit parfois), ni diffamatoire. On le sait maintenant puisqu’ils nous ont aussi attaqué en justice et que nous avons gagné le procès : un juge a dit que l’émission ne contenait aucune attaque personnelle, ni aucun mensonge. Suite au scandale provoqué par sa première interdiction d’antenne, ils ont dû reculer et l’émission a fini par être diffusée. Immédiatement, la série a été suspendue de nouveau mais, ce soir-là, le premier épisode a remporté un franc succès : sa part d’audience a grimpé tout au long de la soirée, jusqu’à plus de 25% pendant la dernière demi-heure, c’est-à-dire un chiffre que Rai 3 obtient extrêmement rarement... Plus de deux millions de téléspectateurs ont donc choisi de regarder RaiOT ! Il n’y avait donc pas non plus de raisons économiques : la censure de mes émissions a donc bien des raisons uniquement politiques.

Le film est construit principalement autour des interviews que vous avez réalisées de personnages importants de la télévision ou d’hommes politiques italiens, quelquefois en allant directement à leur rencontre dans la rue. Cependant, vous ne vous limitez pas à cela : vous construisez aussi toute une réflexion sur la satire et le rôle qu’elle se doit d’avoir dans une démocratie digne de ce nom. Pourtant, le film montre que beaucoup de journaux de gauche ne vous ont pas soutenue non plus. Cela risque de surprendre le public français...
Le film est construit en effet autour de questions. Je pose des questions à tous ces personnages, mais j’interroge aussi, plus généralement, la situation qu’est en train de vivre l’Italie. La morale du film est que la liberté d’expression connaît une phase de régression sans précédent, quand on est contraint de remarquer que les politiciens sont pour la plupart en train de se transformer en une sorte d’oligarchie. Ils se distinguent de moins en moins les uns des autres. La différence entre la gauche et la droite a ainsi tendance à disparaître, lorsqu’ils concluent entre eux des accords qui font constamment abstraction des intérêts de leurs électeurs. C’est la raison pour laquelle, comme on le voit dans le film, la presse contrôlée par la gauche se montre hostile à toute critique qui remette fondamentalement en cause la légitimité du gouvernement Berlusconi : je crois qu’ils se sont entendus sur cette question. Il s’agit d’une solidarité envers un système entier. Poser la question de la légitimité d’un tel gouvernement revient à les accuser lourdement, eux aussi, d’une responsabilité qu’ils ont endossée. Voilà pourquoi, selon moi, on voit de telles prises de position de la part d’une partie de la gauche aussi.

A la fin du film, vous interviewez l’ex-directeur de L’Unità [ancien organe du Parti Communiste Italien]. Il déclare lui aussi "s’être intéressé à l’homme qui bafoue la Constitution et les libertés qu’elle proclame". Pensez-vous, comme lui, que les libertés fondamentales soient réellement en danger en Italie aujourd’hui ?
Il est indéniable qu’ils sont en train de violer sans vergogne la Constitution italienne. On ne s’en rend peut-être pas bien compte à l’étranger, mais des modifications très lourdes ont déjà été entérinées. C’est pourquoi je n’ai aucune difficulté à dire que, dans les faits, la liberté d’expression en Italie n’existe plus. La télévision fait chaque jour un travail de manipulation incroyable. Lorsqu’on regarde ces dernières années un journal télévisé italien, ou pire, des émissions dites d’approfondissement, il y a vraiment de quoi être stupéfait, devant tant de mises en scène et de mensonges.,. Je veux dire que, de façon absolument constante, ils mentent ouvertement, ou bien confortent le pouvoir. Il y a quelques jours, Berlusconi, interviewé dans « Porta a Porta », l’émissionn -phare de débats de Rai 1, présentée par Bruno Vespa, a donné en direct une liste de personnes qui ne doivent plus, selon lui, faire la moindre apparition à la télévision... Or, je suis en première position ! Evidemment, il a repris son vieux discours sur la Rai et l’information en Italie qui serait aux mains des communistes, ce qui ferait de lui une victime attaquée en permanence, en particulier par Sabina Guzzanti et quelques autres... Pour ma part, je n’ai pas fait d’émission depuis RaiOT, qui n’est passée qu’une seule fois, en 2003 ! On ne peut pas dire que ma présence a été déterminante, du moins du point de vue de sa fréquence : à peine trois émissions en plus de cinq ans...

Aujourd’hui, quels sont vos projets ? Espéèrez-vous encore faire de la télévision ?
Je crois surtout que personne aujourd’hui ne me proposera quoi que ce soit à la télévision italienne. Mais ce n’est pas un drame pour moi : je joue dans des films et surtout j’aime beaucoup le théâtre, où je travaille régulièrement. Je veux dire que pour ce qui est de ma satisfaction professionnelle, tout va bien. La question est tout à fait autre : il y va de la liberté d’expression, du pluralisme et de la démocratie. Or, en particulier ici, les Italiens, en grande majorité, croient tout ce qu’ils voient à la télévision et se nourrissent intellectuellement presque uniquement de télévision. Ce médium a un poids et un pouvoir tels sur l’opinion publique, que si il est contrôlé par un seul homme ou un seul camp politique, c’est la liberté d’expression qui est de facto menacée. C’est exactement ce qui se passe ici en Italie.

Dans le film, vous interrogez Karl Zéro et Bruno Gaccio de Canal Plus, ainsi que Rory Bremmer, célèbre au Royaume-Uni pour son imitation corrosive de Tony Blair. Dans une des scènes du film, on vous voit d’ailleurs discuter tous les deux grimés, l’un en Tony Blair, l’autre en Silvio Berlusconi. Pensez-vous que les autres pays européens pourraient bientôt connaître l’évolution qu’a connue l’Italie dans le domaine des médias ? Ou bien sont-ils déjà, selon vous, atteints par la même dérive ?
En faisant ce documentaire, j’ai découvert que la plupart des personnes que j’ai interrogées et que vous avez citées, ont à peu près le même sentiment que moi : tous pensent que la liberté d’expression subit progressivement - et de plus en plus lourdement - d’importantes restrictions ! La liberté d’expression ne doit pas être soumise aux restrictions induites par la propriété privée. Dans le même sens, Rory Bremmer m’a expliqué qu’avec la guerre, au nom de "l’exportation de la démocratie", les libertés civiles ont été substantiellement réduites, non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Angleterre. C’est un fait qui ne peut plus être contesté. Or c’est en effet très inquiétant pour le reste de l’Europe car il s’agit d’un modèle facilement exportable. La question de la puissance des médias et du pouvoir qui les contrôle est un problème qui regarde chacun d’entre nous. L’Italie, de ce point de vue, est véritablement une sorte de laboratoire où l’on expérimente jusqu’où il est possible d’aller dans cette direction, avec ce type de méthodes. J’espère au moins qu’à l’étranger, les gens en sont bien conscients.

Pour terminer, j’ai noté que vous remerciez dans le générique de fin plusieurs cabinets d’avocats. Vous a-t-il fallu ainsi prendre beaucoup de précautions, notamment juridiques, avant de sortir ce documentaire ?
Absolument. Je ne crois pas qu’en France, cela arrive souvent qu’un journaliste soit traîné devant les tribunaux pour diffamation, qui plus est par les avocats du Premier Ministre ! Je suis certaine que, dans un pareil cas, ils doivent se fonder sur des motifs extrêmement graves, ou du moins valables. Or il faut bien savoir qu’en Italie, les procès sont utilisés comme une arme, les grandes entreprises - Berlusconi en particulier - payant à l’année un ou plusieurs cabinets d’avocats, ce qui leur coûte je ne sais combien de millions d’euros. Du coup, cela ne lui coûte rien de plus de vous attaquer en justice ! Tandis que pour une personne comme moi, cela a des conséquences catastrophiques. Vous vous retrouvez dans des affaires qui durent des mois et des mois, à devoir prendre des avocats ; tout cela a un coût extrêmement lourd. S’il arrive en plus que, vous tombiez sur un juge peu probant, ou simplement que vous n’ayez pas de chance, vous pouvez être condamné à payer des sommes vraiment importantes. Il nous a donc fallu, et il nous faut en permanence, faire extrêmement attention...

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