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CHOMDU 16

Publie le dimanche 24 février 2008 par Open-Publishing
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de P’tit Nico

L’organisation du travail, y r’prend mon ancien délégué syndical CGT, c’est aussi un dispositif. En fait, c’est l’organisation d’la division du travail qu’l’bourgeois magicien y met en place pour discipliner l’ouvrier et l’faire
disparaître dans la grand’ machine d’m’sieur Taylor.

Polo y dit que m’sieur Durkheim, qu’est l’père des sociopathes qui regardent la société avec un’ loupe pour voir comment on fonctionne pour l’dire à m’sieur Leclerc pour qu’y puisse nous vendre ses produits en fonction de qui on est qu’lui y sait mieux qu’nous qui on est vu qu’nous on s’en fout d’l’savoir puisqu’on l’est, y dit qu’la division du travail ça
permet d’refaire une religion qui relie les hommes EDF avec la solidarité :

« (...) La véritable fonction de la division du travail est de créer entre deux ou plusieurs personnes un sentiment de solidarité. (...) Des individus sont liés les uns aux autres qui, sans cela, seraient indépendants ; au lieu de se développer séparement, ils concertent leurs efforts ; ils sont solidaires et d’une solidarité qui n’agit pas seulement dans les courts instants où les services s’échangent, mais qui s’étend bien au-delà. (...) La solidarité, c’est tout ce qui force l’homme à compter avec autrui, à régler ses mouvements sur autre chose que les impulsions de son égoïsme. (...) On voit combien la division du travail nous apparaît sous un autre aspect qu’aux économistes.

Pour eux elle consiste essentiellement à produire davantage. Pour nous, cette
productivité plus grande est seulement une conséquence nécessaire, un contrecoup du phénomène. Si nous nous
spécialisons, ce n’est pas pour produire plus, mais c’est pour pouvoir vivre dans les conditions nouvelles d’existence qui
nous sont faites. »

C’est c’qu’y veut nous fair’ croire, ouais, y dit Fred, parce que nous on voit bien qu’tout l’monde est de plus en plus
individualiste vu qu’c’est la guerre de tous contre tous. La division ça divise, et pis c’est tout.
Pourtant l’pote Karl y disait qu’c’était naturel à l’homme, qu’ « il se manifeste... d’emblée une interdépendance
matérialiste des hommes... interdépendance qui prend sans cesse de nouvelles formes et présente donc une “histoire”
même sans qu’il existe encore une quelconque absurdité politique ou religieuse qui réunisse les hommes par surcroît »
et que comm’ l’capital y pousse à l’extrême la division du travail « il établit un réseau englobant tous les membres de la
société : telle est la grande action civilisatrice du capital ».

Qu’mêm’ les syndicats ouvriers y z’étaient pas contre le taylorisme à cause de ça, comm’ y raconte m’sieur
Fridenson qu’est historien : « Non seulement ces conflits sur l’introduction du taylorisme ont été peu nombreux, mais
encore à plusieurs reprises des convergences se sont exprimées. La formule "le maximum de production dans le
minimum de temps pour le maximum de salaire avec des moyens techniques appropriés" n’émane pas d’un ingénieur
taylorien. Elle appartient à un des dirigeants les plus chevronnés du syndicalisme ouvrier. [...] De même, ce n’est pas un
industriel, mais bien [...] le principal responsable syndical CGT de Renault qui, en 1917, déclare : « Nous demandons
que, dans l’avenir, on emploie dans l’industrie les méthodes nouvelles américaines. Pour cela, nous souhaitons tous, et
nous ferons le nécessaire pour cela, que la classe ouvrière comprenne l’intérêt qu’il y a pour elle à faire fi des vieux
préjugés et à s’adapter aux méthodes nouvelles. »

Parce qu’c’est sûr, l’ouvrier y l’est comm’ l’nègre qu’est un n’enfant aussi, y sait pas qu’l’progrès d’ la lumière ça amène la
vie belle pour l’bourgeois mêm’ si la sienne ell’ est pas si belle qu’ça à porter les marchandises qui s’parlent pour
qu’l’bourgeois y l’amasse plein d’p’tites pièces pour ach’ter plein d’rollex pour être heureux d’sa réussite. Faut faire des
sacrifices pour son élevage d’riches. Si l’syndicat y l’dit...
« Pour Friedmann, y racontent m’sieur Murard et m’sieur Zylbermann, qui revient de plusieurs séjours en URSS, il n’y a
pas à juger de "l’organisation scientifique du travail" en soi, mais de son application sous le capitalisme. Suivant
fidèlement le changement de ligne de l’Internationale communiste, qui a décidé de développer une propagande contre le
taylorisme capitaliste accusé de servir à développer la production militaire en prévision d’une attaque contre l’URSS,
Friedmann entend montrer qu’un "autre taylorisme est possible", pour paraphraser un slogan en vogue.

En URSS, écritil :
"on a conservé, avant tout, l’analyse des gestes et des opérations, la détermination des procédés de travail les plus
simples et les plus économiques, la préparation rationnelle du travail par un organisme distinct de l’atelier, l’emploi
d’instructions détaillées données par écrit aux ouvriers. On a écarté, bien entendu, tout le système brutal des primes et
sanctions, et, d’autre part, l’application simpliste du chronométrage sans une étude préalable, scientifique, de la fatigue,
sans considération des mouvements naturels et des réserves physiologiques du travailleur. [...] Le problème de la
monotonie dans le travail [...] se pose en termes tout à fait nouveaux en URSS. Les conditions de travail répétées sont
transformées par l’éducation technique qui permet de plus en plus à l’ouvrier de dominer sa machine, de la situer dans
la production globale de l’atelier et de l’usine. Le travail, même parcellaire et répété, a acquis une importance sociale et
morale pour l’ouvrier, qui le relie au plan de production de l’usine qu’il connaît et discute avec ses camarades." »

Bon sang, mais c’est bien sûr ! y s’marre Fred qu’y dit qu’y l’a vu hier à la télé d’not’ président qui veut qu’on apprenne
l’communisme à l’école, un professeur d’théorie marxiste d’l’université d’Pékin qui disait : « Bien sûr qu’il y a
d’l’exploitation dans nos usines, mais au final cela fera du bien à la construction du communisme. C’est pour abolir
l’exploitation demain que nous sommes pour l’exploitation aujourd’hui ».
Qu’après, quand y s’est rendu compte qu’y l’avait dit un’ connerie, y continuent m’sieur Murard et m’sieur Zylbermann,
m’sieur Friedmann « adoptera un discours de plus en plus critique qui ne s’explique pas seulement par sa rupture de
1938 avec le Parti communiste. Il déplore ainsi que la technique dicte, pour une large part, l’organisation du travail au
prix d’une dégradation de la condition ouvrière. Dans un livre consacré à "ceux qui sont plus grands que leurs tâches", il
montre que la décomposition du processus de travail en tâches élémentaires qu’entraîne le taylorisme est un mouvement
de déshumanisation, de déqualification et d’aliénation des ouvriers.

"Nulle part mieux qu’au travail de l’homme
contemporain ne s’applique le concept d’aliénation mis par Hegel au coeur de son système et repris par Marx [...]. Pour
beaucoup d’ouvriers, le travail est quelque chose de désagréable, dépourvu d’intérêt et de signification, souvent de
dignité, quelque chose qui n’est pas naturel." »
Parce qu’en fait, y dit mon ancien délégué syndical CGT, c’est toujours la mêm’ question de qui décide du comment et
du pourquoi.

Comm’y l’explique m’sieur Mendel, qu’y dit Polo qui connaît mêm’ des gens qui passe pas à la télévision d’not’ président
mêm’ quand y z’étaient vivants, « le contraste est quand même bien surprenant entre les extraordinaires développements
de la technologie et de la plupart des disciplines scientifiques depuis cent ans, et la stagnation des formes sociales du
pouvoir qui ne font que partout répéter, le plus souvent en les truquant ou en les vidant de leur contenu, les formes
utilisées à son profit par la Bourgeoisie depuis plusieurs siècles : élections, délégations de pouvoir, assemblées diverses,
hiérarchies... (...) Le Pouvoir, c’est toujours encore notre sacré. Le fait que ce monde et notre vie dans tous ses aspects
sont entre nos mains et que c’est à nous, usufruitiers provisoires, de leur vouloir un sens (non pas dans l’absolu, mais à
partir des réalités de notre époque), ce fait heurte de front à la fois les pouvoirs établis et l’intime de notre personnalité
telle que les siècles l’ont façonnée. Jamais sans doute autant qu’à propos du pouvoir ne s’opposent aussi
conflictuellement monde imaginaire et monde matériel - matérialiste.

Ces rapports de pouvoir social sont encore si peu défrichés que nous choisirons une image très simple pour illustrer
notre propos. Imaginons un homme désireux de s’abriter et voulant construire une maison en bois. Suivons-le tandis
qu’il dessine à même le sol un tracé ; puis qu’il s’en va abattre des arbres, transporte les troncs, les assemble ; qu’il
coupe d’autres arbres, en tire la charpente pour le toit et des planches pour la porte, les volets, le plancher ; qu’il fauche
des ajoncs, les fait sécher puis les lie en gerbes sur les solives de son toit, etc. Et imaginons, contemplant son travail une
fois achevé, cet homme, auquel nous prêterons pour l’occasion les sentiments d’un homme contemporain : des
sentiments de plaisir et de fierté point si éloignés sans doute de ceux décrits dans la Genèse à propos de Dieu
contemplant ce que son acte avait pu réaliser : "Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici, cela était très bon."
Ce plaisir de ce que serait le pouvoir de l’Acte, que devient-il dans notre société ?

Tout d’abord, il nous faut décomposer cet Acte total (la construction d’une maison) en un certain nombre d’activités
particulières qui seront exécutées par des travailleurs spécialisés : architecte, métreur, bûcheron, transporteur,
menuisiers, charpentiers, plombiers, etc. L’unification économique de ces diverses activités est dans les mains d’un
entrepreneur capitaliste et l’unité d’organisation dans celles d’un chef de chantier ; chacune de ces activités représente
une forme de la division technique du travail, forme soumise à une organisation hiérarchique (ouvriers ; contremaître et
chef de chantier ; entrepreneur). De plus, ces hommes qui collaborent à la même tâche - construire une maison - le
produit final n’est pas destiné à leur usage : il sera vendu directement par l’entrepreneur.

Imaginons pour que la chose soit encore plus claire qu’il se soit agi non d’une simple maison, mais d’un grand
ensemble immobilier. Que demeure-t-il, pour les travailleurs de cet énorme édifice, du plaisir quasi-divin d’avoir vu, tel
l’homme que nous avions tout d’abord imaginé, le pouvoir de son Acte transformer la réalité extérieure en façonnant à
soi seul dans toutes ses parties un objet complet voué à rester, tout au long de l’usage qu’il en fera, comme le
témoignage de son pouvoir sur cette réalité ?
Il ne reste quasiment rien de ce plaisir, de ce « et voici, cela était très bon ». L’organisation technique a été à ce point
poussée, dans un but de rentabilité, que chacun des gestes indéfiniment à répéter est quasiment sous le contrôle
permanent d’un chronomètre : tant de mètres de peinture à couvrir chaque jour ou tant de mètres de tuyaux à poser. Au
mieux, chaque travailleur, ou plutôt chaque équipe, ont pu se percevoir comme l’élément d’un tout pré-établi et
programmé sans eux, décomposé à l’avance en parties sans eux, coordonné sans eux, et destiné à conforter la position
socio-économique d’autres qu’eux-mêmes (les entrepreneurs, les promoteurs).

D’homme-Dieu, ils se sont trouvés réduits à répéter un geste qui n’a d’autre signification que de leur permettre
d’acheter un certain nombre de marchandises. Le plaisir du pouvoir de l’Acte s’est trouvé échangé contre de l’argent :
quel que soit le plaisir que pourra leur procurer cet argent, il est d’une autre nature que celui provenant d’un travail,
d’un acte dont on garde le contrôle social.
Jusqu’à présent il ne semble pas, quels que soient les régimes politiques, qu’on ait pu parvenir à un autre rapport entre
ces niveaux ou ces formes de la division technique du travail que le rapport hiérarchique. Ce rapport hiérarchique
recompose à son sommet l’Acte total de travail ainsi techniquement divisé mais le recompose sous la condition d’avoir
privé les travailleurs - pourtant irremplaçables, mais non en tant qu’individus : en tant que petit collectif de travailleurs
assurant précisément un niveau de cette division technique - de la plus grande partie du pouvoir de leur Acte, un Acte
partiel certes (par rapport à l’ensemble de l’Acte total), mais indispensab1e. »

Qu’c’est pour ça, y dit mon ancien délégué syndical CGT, quand l’pote Marx y dit que « dans la société bougeoise, le
travail vivant n’est qu’un moyen d’augmenter le travail accumulé. (Que) dans la société communiste, le travail accumulé
n’est qu’un moyen d’élargir, d’enrichir et de stimuler la vie des travailleurs », ça dépend quand même’ d’comment on
s’organise pour l’faire.
« Regardons plus près, y continue m’sieur Mendel, cette "privation", cette captation de pouvoir, qui s’exprime de
manière nette par le fait que, parallèlement à ceux qui travaillent, le pouvoir est assuré par une catégorie spéciale de
salariés (surveillants, contremaîtres, chef d’équipe, etc.). Cette privation concerne l’exécution du travail, son
organisation et sa coordination entre les membres de l’équipe, mais plus largement elle concerne l’impossibilité de
réflexion et d’action sociale à des niveaux pertinents et sur la base du processus de travail, aussi bien dans le secteur en
amont qu’en aval.

En amont de l’exécution : à quelles nécessités locales, régionales, économiques, sociales répond cet
Ensemble immobilier ? à qui est-il destiné ? - En amont : c’est-à-dire les motifs de la programmation de cet Ensemble ; et
plus largement, tous les conditionnements économiques, techniques, psychologiques, politiques qui ont fait que c’est
avec cette manière-ci de travailler qu’on construit et avec cette architecture-là. En aval : de quelle manière cette
construction va-t-elle, une fois terminée, s’introduire au sein des circuits économiques existants ? quelle sorte de
rapports sociaux dans la vie quotidienne un tel Ensemble implique-t-il ? Et plus largement encore, quelle est la
signification idéologique, psychologique, politique aussi bien de cette manière de distribuer l’espace social que de la
famille nucléaire que contribue à reproduire, en lui étant destinée, ce type de logement ?

(...) Problème dont la seule solution ne pourra consister que dans le resaisissement du travail social général dans et par
le travail concret quotidien. Le socialisme c’est cela, au bout du chemin des formes de transition ou de passage ; et non
pas la perspective finale d’une meilleure gestion de l’actuel mode de production ou d’une plus juste répartition des
bénéfices de l’entreprise. Mais si une solution à ce problème est possible - et si elle ne l’est pas, le socialisme n’est
qu’un beau rêve irréalisable - ne se fera-t-elle pas aux dépens de la Sainte-Efficacité que pourrait seule engendrer une
organisation hiérarchique, centralisatrice, autoritaire ? - Voire : si l’on prend en compte les dépenses non productives de
tous ordres dans de tels systèmes (l’appareil répressif et bureaucratique d’État), les coûts naturels, sociaux, humains, et
le fait que la productivité ne peut pas avoir la même définition dans un Mode de Production Socialiste et dans le Mode
de Production Capitaliste. Que la rupture décisive avec le capitalisme se situe au niveau du processus de travail concret,
quotidien, de telle manière que sens et plaisir lui restent attachés...

(...) Dès lors, sans un autre type de processus de travail et qui implique donc d’autres rapports au sein de chaque
Institution productive, ne se développeront ni d’autres rapports sociaux, ni d’autres mentalités, ni d’autres formes
politiques. Le déterminant économique capitaliste est pour nous double au niveau le plus général, dans la finalité
imposée à la société directement ou indirectement de mobiliser toute son énergie pour fabriquer des marchandises en
vue de l’accumulation élargie du capital ; et au niveau local de chaque Institution productive, où les rapports de pouvoir
capitaliste proviennent directement de la mutilation du processus de travail réduit à un geste sans signification pour
celui qui l’exécute, alors que c’est ce processus de travail qui en réalité va déterminer la réalité sociale, psychologique,
politique de l’exécutant. - Pas de socialisme, à aucun niveau, sans une base de production dont la coordination locale
soit autre que hiérarchique, tout autant que pas de socialisme sans une régulation générale des échanges sociaux qui soit
autre que marchande (c’est ici le problème de la nécessaire planification socialiste). - Et là encore les deux problèmes
sont dialectiquement liés, n’étant en réalité que les deux faces du même problème.

(...) Mais cette transformation progressive des rapports de pouvoir, à des niveaux pertinents, au sein du processus de
travail, se limitera-t-elle à l’acte immédiat de travail ? Non pas : il existe une dynamique du pouvoir institutionnel et
social, comme il peut exister une logique économiste, d’ailleurs non contrôlable, dans le système actuel. La réflexion
collective, aux niveaux pertinents institutionnels, concernant le processus de travail (et concernant toutes les activités
sociales dans les Institutions non directement productives), s’étendra forcément et en amont et en aval de ce processus
de travail. En amont : c’est la prise de conscience des conditionnements et de la logique du passé. Comment en est-on
venu à travailler ainsi et à être qui l’on est, avec de telles résistances intérieures au changement ? En aval : c’est la prise
de conscience des implications du processus de travail actuel et des produits fabriqués tant dans l’Institution qu’audehors
de l’Institution, et dans quelle mesure ce processus de travail commande-t-il aux rapports sociaux et aux formes
politiques ?

C’est la finalité même de l’Institution productive qui sera amenée non pas à changer mais à devenir consciemment et
volontairement ce qu’elle est déjà non consciemment et de manière non contrôlée : une Institution productive à la fois
de biens utiles et de rapports sociaux.
C’est ici la dynamique du socialisme : une production de biens utiles amenés à varier au fur et à mesure que changent
les rapports sociaux, la production de la personnalité, les besoins. L’exercice du pouvoir social collectif entraînera dans
son développement progressif la société tout entière. Le pouvoir appartient à ceux qui le produisent, thème qui nous
paraît appelé à prendre la même résonance mobilisatrice qu’a pu avoir et que garde le thème de la liberté ; le pouvoir
collectif, c’est l’idée-force du socialisme, comme la liberté a été l’idée-force de la bourgeoisie révolutionnaire. Et le
pouvoir collectif ne signifie pas « moins » de liberté, mais au contraire l’extension sociale des libertés. Le pouvoir
social est créé par l’ensemble des activités humaines dans la société, elles-mêmes modélisées par la forme du processus
de travail économiquement productif : processus mutilant où le pouvoir créé est transformé en marchandise, ou bien
processus non mutilant où le pouvoir créé est exercé à des niveaux pertinents, aussi loin qu’il se répand dans la société
et dans des rapports collectifs de pouvoir avec les autres producteurs..

Ce qui distingue une époque politique d’une
autre, c’est moins ce que l’on décide que la "manière" dont on décide. () Et cette « manière » ne s’improvisera pas. Il
faut commencer à réfléchir sur elle aujourd’hui scientifiquement ; elle se met en forme dans le processus de travail
productif : il faut donc que les travailleurs commencent aujourd’hui à contrôler ce processus. Pour décider demain ?
Certes. Étant entendu que le socialisme ne consiste pas à prendre la place des capitalistes, mais à bâtir une société autre,
et donc à produire autrement et autre chose. - Le système capitaliste, ce n’est pas seulement un vol économique (la plusvalue) :
c’est tout autant un vol de pouvoir. ()

Bien évidemment, les difficultés sur cette route sont considérables. L’une d’entre elles tient à la mystification qui
consiste à présenter des formes du capitalisme d’État comme étant du socialisme. Mais la difficulté la plus grande - et
dont la précédente n’est qu’une conséquence - est que nous sommes les hommes du capitalisme, que nous avons été
modelés dans ses formes économiques, sociales, politiques, psychologiques. () Et si nous sommes ainsi les hommes du
capitalisme, alors que la Bourgeoisie a pu devenir elle-même sous l’Ancien Régime féodal, c’est que contrairement à ce
qui s’est passé pour la Bourgeoisie développant le MPC au sein d’un mode de production féodal, un mode de
production socialiste, lui, ne peut pas exister au sein de la société capitaliste. Si l’on croit, comme nous le croyons, au
déterminant ultime de l’économique, voilà qui permet de mieux comprendre comment et pourquoi après la prise de
pouvoir par des révolutionnaires authentiques, le capitalisme chassé par la fenêtre revient par la porte.

Ce n’est pas
seulement l’État qui ne peut pas être utilisé tel quel après la prise du pouvoir puisqu’il est capitaliste par essence - c’est
avant tout le processus de travail, lui aussi capitaliste par essence et qui, déterminant ultime, reproduira État, rapports
sociaux, mentalités, tant que la dynamique du resaississement du pouvoir à son niveau ne sera pas enclenchée. On ne
peut pas produire des marchandises et développer une autre société. Et ce n’est pas seulement "en progressant dans la
lutte qu’il mène contre la Nature que l’homme devient de plus en plus homme" : en se limitant ainsi il ne ferait que
prendre le relais du capitalisme une fois celui-ci bloqué par ses contradictions ; le pouvoir sur la Nature, c’est bien, mais
l’exercice social et collectif du pouvoir par ceux-là même qui le produisent, c’est mieux.

Le mode de production capitaliste peut être comparé à un fusil braqué sur nous et contre lequel nous sommes sans
défense à moins de changer le mode de production lui-même : en effet, sa dynamique propre n’est pas maîtrisable par la
volonté humaine et sa logique est étrangère à nos besoins et à nos espoirs. Bien plus, c’est ce "fusil" qui tend, par
l’intermédiaire des rapports sociaux du capital, à donner à nos besoins et à nos espoirs une forme sociale marchande, ahumaine
et contraire à notre véritable intérêt. »
C’est pour ça, y dit Fred, que m’sieur Lénine y l’était triste : « Nous ne saurions le moins du monde fermer les yeux sur le
fait que, dans le fonds, nous avons repris leur vieil appareil au tsar et à la bourgeoisie ».

En fait, y dit Fred, la division du travail, c’est chacun à sa place dans la machine société, l’ouvrier au boulot, l’p’tit
bourgeois pour faire bosser l’ouvrier, l’contrôler et lui raconter des belles histoires à dormir debout parce que l’ouvrier y
travaille souvent debout tout’ la journée, la technocratie qu’organise l’tout et l’bourgeois capitaliste qui s’en met plein les
poches.

Mais l’ouvrier y l’est pas plus con qu’l’bourgeois au départ d’la course. Y l’est feignant comm’ tout l’monde et y sait bien
qu’l’bourgeois y veut l’entuber à l’faire travailler comm’ un’ bête pendant qu’lui y s’prélasse sur son yacht en profitant
d’l’argent et du pouvoir de décider pour l’monde. Qu’la course ell’ est truquée, quoi. Et des fois, l’ouvrier y s’laisse pas
faire. C’est pour ça qu’l’bourgeois y l’massacre d’temps en temps et qu’y lui fait croire tout l’temps qu’y l’est con qu’c’est
génétique, qu’y l’est feignant qu’c’est pas bien depuis qu’l’bourgeois y l’a inventé l’travail-pour-les-autres et qu’c’est pour
ça qu’y mérite pas la p’tite maison dans la prairie qu’nous on l’appelle p’tit pavillon dans la banlieue qu’l’pauvre y l’en
rêve, forcément. Comm’ y raconte m’sieur Leroux, ell’ dit la soeur à Polo qui lit aussi des romans des fois : « Jacques était
sympatique à tout son personnel dont il obtenait le maximum de travail par un système de participation aux bénéfices
qui avait toujours effrayé André, mais que le cadet avait su faire pratique en le rendant, grâce à d’ingénieuses
combinaisons, à peu près illusoire. De telle sorte, expliquait Jacques, qu’ouvriers et ouvrières travaillaient comme des
nègres, soutenus par "l’espérance" ; c’était une nouvelle force qu’il avait prise à son service ».

La division du travail, y dit mon ancien délégué syndical CGT, c’est fait pour isoler l’prolo et l’empêcher d’discuter avec
l’autre prolo pour voir qu’y pensent pareil. C’est aussi un’ moyen d’l’faire disparaître, l’prolo.
Qu’m’sieur Salmon y dit qu’« il faudrait écrire l’histoire de ce couple étrange que forment le silence et le travail. Silence
choisi et souverain de l’artisan concentré sur sa tâche. Silence imposé par la discipline du contremaître ou le bruit des
machines. Silence des usines et des ateliers, bloquant l’expression des plaintes, des revendications, la transmission des
savoir-faire. Toute une chaîne de peurs et de mutismes.
Bernard Girard, auteur d’une Histoire des théories du management, rappelle que le silence des Britanniques, opposé au
bruit des Français, était déjà souligné par Mandeville au XVIIIe siècle comme un avantage comparatif de la maind’oeuvre
anglaise : "Le silence qui règne dans les usines anglaises, la manière dont on y traite les affaires, avec
rapidité, en respectant les rendez-vous, impressionnent tous les visiteurs".

L’organisation de la manufacture est calquée
sur le modèle militaire. Les écoles militaires, transformées en écoles d’arts et métiers et dirigées par d’anciens officiers,
introduisent la discipline militaire dans le monde de la production ; les élèves portent des uniformes, sont embrigadés
dans des bataillons qui manoeuvrent dans la cour de l’école, réveillés au son du tambour, ils sont astreints au silence
dans les ateliers... On les retrouvera, à la fin du siècle, dans les projets d’Henri Fayol . Au cours d’une visite d’une
manufacture anglaise, en 1859, Louis Reybaud constate : "Quand on entre, [...] deux choses frappent surtout : le petit
nombre de personnes qu’elle occupe et le silence qui y règne." Quarante ans plus tôt, Charles Dupin écrivait :
"Lorsqu’on entre dans ces établissements, on est frappé de l’ordre général qu’ils présentent.

Les ouvriers s’occupent
avec activité, presque toujours en silence." Sans refaire ici l’histoire du management rappelons simplement que le
silence au travail s’impose avec l’apparition de la manufacture, le regroupement dans un même lieu de forces de travail
nombreuses et soumises à une organisation fortement hiérarchique où les échanges verbaux à l’usine sont sous une
intense surveillance. Dans les bureaux comme dans les magasins, une même interdiction frappe les employées et les
vendeuses. En 1898, l’une d’entre elles déclare au journal La Fronde : "Notre lot, le voici : nous devons accepter des
salaires qui ne suffisent pas à nous faire vivre et nous taire ; nous devons supporter la station debout, intolérable au bout
de quelques heures et nous taire ; nous devons, l’été, subir l’excès du chaud, l’hiver, l’excès du froid et nous taire ; nous
devons, après une journée excédante, veiller quand et comment le veulent nos maîtres et nous taire ; nous devons
supporter les propos malséants des passants, les propositions brutales de nos patrons et nous taire ; nous devons,
malades, nous composer un visage aimable et nous taire. Nous taire, toujours nous taire, si nous ne voulons pas le
renvoi." "On aurait cousu le bec aux pauvres bougresses qu’elles ne seraient pas davantage muettes", affirme de son
côté Le Père Peinard. "Dans les manufactures de tabacs, vers 1870, les ouvrières n’ont le droit ni de parler ni de sourire,
écrit Marie-Victoire Louis. Il en va de même aux Galeries Lafayette, en 1914, où l’on ajoute à ces interdits celui de se
tutoyer.

À la Perlerie de Périgueux, en 1925, il est absolument défendu de parler, mais aussi de chanter : "C’est dans un
silence absolu, troublé seulement par le bruit des objets indispensables à l’accomplissement de leur tâche, que les
ouvrières doivent travailler toute la journée”." Des écoles militaires aux écoles d’arts et métiers, de la caserne à l’atelier
et à la manufacture, de l’armée à la prison, Michel Foucault a retracé, dans Surveiller et Punir, les méandres de ce
silence des ouvriers qui se répand telle une coulée dans toute la société disciplinaire : il en a recensé les instruments et
les techniques, mais aussi les rites et les codes ; les règlements intérieurs des ateliers, des casernes, des écoles qui
encadraient le droit à la parole, ritualisaient ses formes, écrites ou orales, autorisaient ou interdisaient son expression.
Ce silence imposé est au principe du premier management, celui de Taylor et de Fayol. Il se déploie dans l’entreprise
fordiste. Au xxe siècle, la parole des ouvriers, qualifiée de "commérage" ou de "bavardage", y est assimilée à une
diversion, un relâchement, ou même à une forme de "résistance" passive ; on y devine des intrigues ; des débrayages ou
des grèves s’y préparent. Le travail à la chaîne réduit au silence l’espace de travail ; le bruit des machines s’y substitue à
la parole des ouvriers.

En réaction, la grève et l’occupation des usines sont identifiées pendant tout le xxe siècle à une
prise de parole et la reprise du travail à un retour au silence imposé.
Depuis la révolution industrielle, le silence fait partie de l’arsenal des mesures qui assurent le contrôle sur la force de
travail, et ce silence, en bien des endroits, continue de régner ; dans les ateliers délocalisés d’Indonésie, de Chine ou du
Brésil, comme dans les usines des pays développés, le long des chaînes de montage comme dans les sweats hops, un
pouvoir discrétionnaire continue à s’exercer sur le langage des ouvriers. »

Heureusement qu’not’ président y parle pour nous, qu’y dit Djamel. Normal, y représente "l’peuple-vot’-pour-moi-etferm’-
ta-gueule". Mêm’ s’y s’fait écrire ses textes par qu’unqu’un d’autre et qu’y les récite comm’ on apprenait à l’école,
en faisant les gestes pour souligner les mots importants.

E POUVOIR APPARTIENT A CEUX QUI LE PRODUISENT

Encore faut-il qu’y l’prennent...

(... à suivre)

Chomdu 15

http://bellaciao.org/fr/spip.php?ar...

Messages

  • Dans les années 60 les futurs techniciens apprenaient dans les Lycée Technique l’OST (organisation scientifique du travail) directement issue du Taylorisme.

    Il s’agissait ni plus ni moins de contrôler chaque mouvement du tourneur par exemple et de chronométrer chacun de ses gestes. Pour les pièces en série cela permettrait calculer un temps moyen de fabrication pour chaque pièce, permettant ainsi d’établir un rendement journalier.

    Déjà la mécanisation du geste posait le problème du stress, mais le plus dégueulasse c’est que des primes étaient données à ceux qui dépassaient le quota journalier. Ce qui ne manquait pas d’arriver avec certains ouvriers qui pour se faire bien voir dans l’espoir d’une promotion étaient coutumiers de rendement supérieurs aux autres. Ce qui créait des distensions dans la classe ouvrière au sein de certaines usines.

    Dans la version PDF, c’est bien d’avoir repris la couverture de l’édition des Humbles, petit opuscule d’ailleurs souvent oublié de nos jour. Pour la petite histoire ces petits bouquins en ma possession viennent de la bibliothèque d’un école communale maintenant fermée. D’ailleurs, on peut encore y retrouver les annotations de certains élèves. Je ne suis pas sur que de nos jour on donnerait à lire ce genre d’ouvrages dans les écoles primaires. C’est sans doute dommage !