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MATCH ÉGYPTE-ALGÉRIE : visa pour l’Afrique du sud, Et après ?

Publie le samedi 14 novembre 2009 par Open-Publishing
2 commentaires

« Chaque minute en Amazonie, on déboise l’équivalent de 60 terrains de football. C’est un peu idiot, il n’y aura jamais assez de joueurs. »

Philippe Geluck (bande dessinée : L’avenir du chat)

La fièvre du samedi soir ! C’est ainsi que l’on qualifie l’évènement concernant le match de l’Algérie avec l’Egypte. Ce qui arrive est très symptomatique des sociétés du Sud qui fonctionnent à l’émotion. Avons-nous analysé les dynamiques souterraines qui mobilisent les foules et principalement les jeunes qui trouvent dans cet exutoire le droit ou la permission de se défouler sans craindre le courroux du pouvoir ? Pourtant, cela est préjudiciable. Des commerces ont fleuri et tout se vend à des prix qui défient l’imagination. Quand des jeunes acceptent d’aller à pied, en voiture jusqu’en Egypte ou en car, c‘est qu’ils y croient. Quels sont les symboles qui reviennent le plus souvent : d’abord, le drapeau décliné sous tous les formats même accrochés aux voitures. Il est vrai que nos médias tombent en partie dans le travers de l’excès des médias égyptiens qui font dans la surenchère. Quand on ouvre la boîte de Pandore, il est difficile de la refermer.

Mustapha Hammouche s’interroge dans le journal Liberté de l’effet hallucinogène de la drogue Equipe nationale. Ecoutons-le : « Le 14 au soir, nous serons des millions à défiler dans le désordre indescriptible habituel. Une police discrète et bon enfant nous accompagnera, sans matraques, contrairement aux escadrons envoyés mater les profs. Dernièrement, après un soulèvement de quartier, l’État a débloqué cent cinquante logements. Quelques jours plus tard, le Premier ministre déclarait que ce ne sont pas les manifestations qui règlent les problèmes. Vain paradoxe : les Algériens ont constaté qu’en matière de revendications, ce n’est pas le civisme des moyens qui en garantit l’efficacité, sinon les employés de l’éducation auraient été mieux écoutés que les insurgés de Diar Echems ! (...) L’EN fait désormais office de programme national et de cause populaire ! Si après cela, on douterait des effets hallucinogènes du football... Cette drogue, parce qu’elle est politiquement tolérée, voire encouragée, ne manque pas de soulever des vocations de sponsors et de tifosi. (...) Le problème, c’est que les drogues sont toujours toxiques et leurs effets ultérieurs n’ont rien à voir avec l’ivresse du moment(...) »(1)

Est-ce que les Egyptiens se souviennent ?

Le match risque d’être terni par des hooligans égyptiens - sans doute délibérément laissés libres de leurs actions - par une police pourtant réputée savoir réprimer des manifestations. En tout cas, pour ce qui s’est passé les autorités ne peuvent pas invoquer le « dépassement » ou les cas isolés. Cette campagne d’hystérie a été orchestrée afin de tout faire pour déstabiliser moralement et, on le voit, physiquement les joueurs. Le président de la Fédération égyptienne n’a-t-il pas appelé ses concitoyens à ne pas laisser dormir les joueurs en faisant un tintamarre autour de l’hôtel sous l’oeil indulgent, voire complice, des autorités policières car comment comprendre avec cette atmosphère de veillée d’armes que le bus ne soit pas accompagné, qu’il soit caillassé en toute quiétude par des hooligans et que même les officiels n’y ont pas échappé.
On le voit encore une fois, l’Egypte veut être la première en tout si les roitelets du désert acceptent à tort ou à raison cet état de fait, nous ne sommes pas obligés d’accepter cette chape qui veut qu’en toute chose, c’est l’Egypte qui représente le monde arabe. Nous l’avons vu avec la demande de l’Algérie de solliciter une présidence tournante à la Ligue arabe. En vain ! L’Egypte n’a pas le magistère moral pour « guider » le monde arabe, pas plus d’ailleurs que l’Algérie. Il vient qu’en toute chose, l’Egypte se veut être première et ce n’est pas la première fois qu’elle se heurte frontalement à l’Algérie. Cette fois, l’Egypte veut être en Afrique du Sud et l’Algérie doit s’exécuter, ce qu’elle ne veut pas faire.

Il faut remonter dans l’histoire pour comprendre l’inanité des apparences actuelles. Nous sommes deux peuples sous-développés qui avons en commun une langue, une religion et un blocage qui fait que nos sociétés peinent à se redéployer. Pour l’histoire. Le peuple Gétules, descendant direct de la branche de la civilisation capsienne ayant émigré au Sahara vers 3000 av. J.-C. est certainement le peuple qui a dominé de la façon la plus certaine l’Algérie durant les 1500 ans de son antiquité. Ils étaient, selon l’historien grec Strabon, le peuple le plus nombreux d’Afrique du Nord, mais également le moins connu. Parmi les plus anciennes références aux Gétules, sont vraisemblablement celles des Carthaginois qui indiquent que le prince des Gétules proposa d’épouser Élyssa (ou Didon pour les Romains), la reine fondatrice de Carthage (actuelle Tunisie), vers l’an 815 avant J.-C. Toutefois, des références en Égypte ancienne, de certaines tribus gétules remontent jusqu’à 1350 av. J.-C. environ sous le règne d’Akhénaton de la XVIIIe dynastie, qui parlent de commerce de bétail avec ce peuple. Les Gétules sont probablement à l’origine également du calendrier berbère qui commence vers 943-949 avant J.-C. Le début de ce calendrier ferait suite à la victoire d’une coalition de Gétules sur les Égyptiens.

Cette coalition, formée par les tribus Gétules du Maghreb, est partie du Sud-ouest algérien, renforçant ses effectifs en cours de route partout où elle passait au Maghreb. La coalition dirigée par Sheshonq (nom berbère : Sheshnaq) a vaincu le pharaon Psousennès II. Suite à cette victoire Sheshnaq épouse la fille du pharaon, s’installe sur le trône d’Égypte sous le nom de Sheshonq en 952 avant J.-C., et fonde ainsi la XXIIe dynastie. Il installe sa résidence à Busbatis, et détache tout de suite des régiments à Fayoum, une ville où plusieurs unités guerrières égyptiennes sont basées. Ces dernières se rallient finalement à lui, le confirmant ainsi sur le trône. Sheshnaq aurait poursuivi ensuite sa percée vers le Moyen-Orient après avoir renforcé de cette façon sa coalition en Égypte, il se mit à conquérir plusieurs territoires en Syrie, Palestine, Phénicie (actuel Liban) et dans le Royaume d’Israël où il s’empare de Ghaza et pillera Jérusalem. Cet événement biblique est mentionné dans l’Ancien Testament qui parle du pillage de ce chef Gétule de la tribu des Machaouach.(2)

L’hécatombe de juin 1967

Plus près de nous, les Fatimides formaient une dynastie musulmane installée à Ikdjane dans l’actuelle wilaya de Sétif (Algérie). Elle régna sur l’Ifriqiya (909-1048), en Égypte (969-1171). Issus de la secte chiite des ismaéliens - pour laquelle le calife doit être choisi parmi les descendants de Ali, cousin et gendre du Prophète de l’Islam Mohammed (Qsssl), les Fatimides considèrent les Abbassides sunnites comme des usurpateurs de ce titre. Le dâ`i ismaélien Ubayd Allah al-Mahdi fonda la dynastie fatimide en Basse Kabylie où il trouva un écho favorable à ses prêches millénaristes et parvint à se rallier de nombreux partisans chez les Berbères et à étendre son autorité sur une grande partie du Maghreb, de l’extrémité est du Maroc à la Libye. C’est cette dynastie qui alla régner sur l’Egypte. On rapporte qu’en 969, menés par le général Jawhar, sur ordre du calife al-Mu‘izz, des troupes des Kutamas alliées aux Fatimides, conquirent l’Égypte et établirent une nouvelle cité fortifiée au nord-est de Fostat.. Pendant ce temps, Jawhar fit également construire la Mosquée al-Azhar, qui devint la deuxième plus vieille université au monde. À la différence des autres autorités musulmanes, les Fatimides acceptèrent dans leur administration, non sur des critères d’appartenance tribale, ethnique ou même religieuse, mais principalement sur le mérite et la compétence.

Quand l’Egypte actuelle s’octroie le monopole du zaïmisme, c’est une étape de l’histoire qui n’a plus cours. Il est vrai que Nasser voulait donner une dimension au monde arabe. On salue le courage de l’homme qui a tenu tête à l’Occident en l’occurrence, les compagnies pétrolières anglaises, américaines et françaises quelques années après la chute de Mossadegh qui voulait lui aussi faire rendre gorge à l’Occident par un partage équitable des richesses de l’Iran. Il faut lire Mohamed Hassanen Heykel dans son livre Les documents du Caire, où il raconte comment Nasser jouait une partie d’échecs serrée avec les grands de l’époque. Le président américain Dwight Eisenhower, le responsable du Parti communiste soviétique Kroutchev, les personnages ternes des coalisés qui attaquèrent l’Egypte en 1956 sans gloire que furent Anthony Eden qui avait une haine ma-ladive de Nasser et Guy Mollet qui pensait à tort que la Révolution algérienne était téléguidée par l’Egypte. Je ne parle naturellement pas d’Israël pour qui l’attaque de l’Egypte fut du pain béni.

Onze ans plus tard, ce fut l’hécatombe de juin 1967. A ce propos, les médias occidentaux forgèrent le mythe de David (Israël) luttant con-tre Goliath (toutes les armées arabes et les terrassant, honte suprême, en seulement six petits jours !). L’Egypte a trouvé à l’époque en Boumediene, un chef d’Etat déterminé qui envoya ses troupes sur le canal ; nous étions étudiants et étudiantes mobilisés pendant quarante-cinq jours pour « aller nous battre » pour la cause arabe. Six ans plus tard, la fine fleur de l’armée algérienne envoyée en Egypte fut de tous les combats A telle enseigne qu’Anouar Sadate qui avait une façon singulière de faire la guerre, arrêta sous les conseils avisés de Kissinger et de sa « politique des petits pas », de se battre. Résultat des courses : l’Armée algérienne fut priée de rentrer chez elle. Sadate accusant Boumediene- artisan du Front du refus- de vouloir faire la guerre à distance. Résultat des courses : le général Chazli, qui a réussi à démolir la ligne Bar Lev, fut remercié. Sadate fit le voyage de Canossa en faisant le discours de la Knesset - une reddition en rase campagne - il signa la paix avec Israël. Il partagea le prix Nobel - récompense de l’Occident pour ceux qui acceptent la doxa occidentale - avec Begin. Il en mourut. Son second, Mohamed Hosni Moubarak, est toujours aux commandes de « Oum Eddounia » depuis bientôt trente ans et tente d’adouber son fils comme successeur, malgré les protestations des partis politiques dont le fameux parti « Kifaya ! » (ça suffit !)

L’Egypte comme tous les pays arabes est un pays en panne. Plus grand pays par le nombre, l’Egypte s’est installée elle aussi dans les temps morts. Si elle fait illusion auprès des potentats arabes, les peuples arabes ne croient plus en elle et sont catastrophés par son alignement calamiteux comme pays dit « modéré » qui n’a plus le ressort, voire ne représente plus l’arabité du Nassérisme. « Que devons-nous retenir, écrit Mohamed Beghdad ? Ce match doit servir de leçon. Des relations bâties à la sueur du front et de l’histoire par des hommes et des femmes qui se sont tant sacrifiés pour souder les deux peuples et raffermir des liens forts. Ce sont les années 1956, 1967 et 1973 qui sont à retenir le plus dans l’histoire contemporaine commune des deux peuples et non cette malheureuse date du 14 Novembre. Un simple jeu d’un maudit ballon, inventé par les Anglais, est en train de dégénérer, faisant beaucoup de mal à nos rapports. Ceci prouve que le sous-développement a encore de beaux jours devant lui. Et puis, est-ce qu’une qualification va changer l’avenir de nos jours ? Certes, elle va procurer aux amateurs un plaisir le temps d’un match ou d’une journée en cas de victoire. Le ventre sera toujours creux. Les vraies batailles sont celles de l’éducation, du progrès, d’une économie saine et forte, d’une université performante et d’une industrie concurrente, créatrice d’emplois et de prospérité. Voilà les vrais défis qui nous attendent. » (3)

Toute l’intelligence de nos dirigeants c’est de transformer cet essai qui prouve encore une fois l’attachement viscéral de ces jeunes capables de risquer leur vie pour le meilleur comme pour le pire. Comment faire de cet évènement une rupture et une mobilisation durable qui ne font pas dans l’éphémère. Comme en Egypte, le football reste le seul exutoire. Nous devons donner des motifs de fierté à cette jeunesse arabe qui veut et qui peut donner la pleine mesure de son talent autrement qu’en rêvant d’une façon éphémère avec un brusque dégrisement porteur de tous les dangers.

1.Mustapha Hammouche : Manifestez votre joie, pas vos soucis ! Liberté 11 11 2009

2.Les Gétules : Encyclopédie Libre Wikipédia

3.Mohammed Beghdad : Offrir une fleur à chaque joueur algérien ! Le Quotidien d’Oran. Jeudi 12 novembre 2009

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polyechnique enp-edu.dz

Messages

  • Bonjour,
    Le public du foot est loin de se soucier du passé ou même de l’avenir de son pays. C’est un public sous hypnose .
    J’ai le malheur d’enseigner et d’assister de plus en plus à des jeunes de 17 ans qui abandonnent les études pour une carrière de footballeurs, de chanteurs ou de danseuses, parce que ça rapporte gros.
    Dernièrement j’ai fait une supposition à mes élèves : si on vous donnait la coupe du monde contre une partie de votre pays. la moitié des garçons a répondu sans hésiter en faveur de la coupe du monde en ajoutant "vous vous rendez compte madame ce qu’est la coupe du monde ?"
    Je pense qu’il est temps de changer de discours et de langage aussi.
    l’avenir c’est les jeunes sur les bancs d’écoles. Il faut d’abord commencer par revaloriser les études et la culture et arrêter de se lamenter sur le sort des diplômés chômeurs et rappeler qu’il y a des diplômés qui travaillent et prospèrent.
    Ensuite leur corriger la notion de citoyenneté qui est loin de se manifester sur les gradins de terrains de foot, mais dans des gestes beaucoup plus simples que ça.
    Et surtout leur rappeler que le mal d’être vient de l’environnement non sain et ils y ont 50% de responsabilité. La saleté, la circulation infernale, etc...
    Ces petites choses s’accumulent pour transfomer la vie en enfer.
    Les 50% qui restent sont le travail des responsables sur lesquels il ne faut plus compter sinon on finira par se suicider.