Accueil > LES ARMES DE DISPARITION MASSIVE

LES ARMES DE DISPARITION MASSIVE

Publie le mercredi 18 juin 2003 par Open-Publishing

La CIA sommée de s’expliquer sur l’absence d’armes de destruction

New York de notre correspondant

"S’il est prouvé que George Bush a utilisé la CIA pour pousser le pays à la guerre, l’affaire est plus grave encore que le Watergate."Cette phrase a été prononcée par John Dean, ancien conseiller de Richard Nixon.

Son témoignage au printemps 1973 avait été décisif pour contraindre le président à démissionner. La Maison Blanche a jugé la comparaison "ridicule". Elle a le mérite de souligner le changement de climat à Washington.

Les informations fournies par la CIA sur les armes de destruction massive irakiennes et la façon dont elles ont été utilisées sont au c¦ur d’une controverse dont les conséquences politiques sont aujourd’hui imprévisibles. Les "armes de disparition massive", selon la formule de Time Magazine, hypothèquent la crédibilité de l’administration et de George Bush.

La Commission du renseignement du Sénat commence, cette semaine, des auditions à huis clos sur la fiabilité des informations utilisées pour justifier la guerre. Celle de la défense a déjà procédé la semaine dernière aux premiers interrogatoires.

INFLUENCE À WASHINGTON

Pour la Maison Blanche, le meilleur moyen de parer aux accusations de mensonge consiste à trouver un coupable. George Tenet, le directeur de la CIA, semble parfaitement convenir.
Il vient de se voir confier la responsabilité de retrouver les armes en Irak et de diriger les 1 300 hommes qui les cherchent aujourd’hui sur le terrain. S’il y parvient, l’administration en retirera le bénéfice. Sinon, il se trouve sur un siège éjectable.

Mais le gouvernement s’attaque à forte partie. L’agence de renseignement et George Tenet n’ont pas l’intention de jouer les victimes expiatoires. La CIA a même souvent réussi à éviter d’assumer ces échecs. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, elle a réussi à en faire porter l’essentiel de la responsabilité sur le FBI. Elle en a même profité pour élargir son pouvoir. Les équipes antiterroristes des deux agences fédérales ont été regroupées sous la responsabilité de George Tenet.

Pour ses détracteurs, la CIA est devenue depuis la fin de la guerre froide une bureaucratie byzantine, vieillissante et inefficace, sauf dans un seul domaine, celui de préserver et même accroître son influence à Washington. Elle le doit notamment à George Tenet, qualifié souvent d’"habile politique". Il est le premier responsable du renseignement depuis Richard Helms, à la fin des années 1960, à servir deux présidents. Nommé par Bill Clinton, il a réussi à établir une relation personnelle avec George Bush. Un tour de force alors que cette administration compte de nombreux adversaires de la CIA, à commencer par Donald Rumsfeld, le secrétaire à la défense, et son adjoint Paul Wolfowitz.

George Tenet est aujourd’hui attaqué de l’extérieur, mais aussi au sein même de la communauté du renseignement. On lui reproche sa docilité à l’égard de l’administration et la "politisation" de la CIA. Des agents l’accusent d’avoir gonflé la menace irakienne et cédé aux pressions, notamment du vice-président, Dick Cheney.

"PRESSIONS ALARMISTES"

"Dans le passé, des renseignements ont déjà été manipulés pour des raisons politiques mais jamais d’une façon aussi systématique afin de tromper nos représentants élus pour autoriser le lancement d’une guerre", souligne un groupe anonyme d’anciens de la CIA et du département d’Etat.

Dans une étude publiée dans le numéro de mai et juin duBulletin of the Atomic Scientists, le chercheur John Prados de l’université George-Washington, spécialiste de l’espionnage et auteur de nombreux livres sur la CIA, fait remonter à 1998 le changement de l’agence. "Jusqu’en 1998, la CIA était à l’aise avec ces rapports plutôt rassurants sur l’Irak. Mais, ensuite, elle a subi des pressions croissantes pour adopter des vues de plus en plus alarmistes."

En réponse aux critiques, George Tenet a pris publiquement il y a deux semaines, fait très inhabituel, la défense de ses hommes. En règle générale, le directeur de la CIA ne répond pas aux accusations et s’exprime seulement devant les parlementaires. "Je suis fier du travail de nos analystes. L’intégrité de nos procédures a été maintenue de bout en bout, toute suggestion du contraire est tout simplement fausse", a-t-il déclaré.

La CIA a lancé une enquête interne et changé d’affectation la semaine dernière deux spécialistes qui supervisaient les informations sur l’armement irakien. Le mouvement se voulait discret, mais a été révélé par le Los Angeles Times. Il est présenté comme "de pure routine" par un porte-parole de l’agence et qualifié d’"exil lointain" par les commentateurs.

Au Congrès, les assistants parlementaires ont commencé à éplucher des milliers de documents demandés par les commissions. A en croire les premières fuites, les rapports de la CIA étaient truffés d’incohérences. Des études rédigées à quelques semaines d’intervalles sur le programme irakien d’armes de destruction massive étaient parfois totalement contradictoires.

Eric Leser

 http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3222—324187-,00.html
* ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 18.06.03