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de Charles Bonifacio
L’aide internationale a tendance à stagner et de nombreux grands pays diminuent leur intervention (Italie, Royaume Uni, Canada, France). De toute façon, cette aide correspond-elle aux besoins des populations les plus démunies de la planète - 20% de la population mondiale - dans le cadre de la globalisation triomphante des dernières décennies ?
En fait, la manière dont les ressources de l’APD sont allouées est aussi déterminante sinon plus que leur montant ou leur allocation. En effet, de nombreux programmes ne correspondent pas aux priorités des populations ou alors, quand les études préalables ont été correctement réalisées, leur mise en œuvre est laissée à des administrations irresponsables qui « utilisent mal les fonds » selon la langue de bois de la gouvernance... Que penser, d’ailleurs, de tous ces projets orientés vers le soulagement de la pauvreté dont les fonds servent essentiellement à payer des salaires ou des 4X4, des voyages ou des résidences à des nantis issus des hiérarchies locales ou internationales ? Les experts de la Banque Mondiale voyagent en business class et ne descendent que dans les meilleurs hôtels. La dette des Etats « bénéficiaires » est alourdie en augmentant le désespoir des plus pauvres.
Les experts se cachent derrière le parapluie de l’approche participative en interrogeant superficiellement des fonctionnaires plus ou moins compétents sans toucher vraiment les « bénéficiaires » qu’ils survolent au cours de rapides missions sur le terrain. Souvent, l’approche participative ne sert qu’à vérifier des présupposés (ou cadres logiques) issus de l’expertise internationale plutôt qu’à établir une véritable communication avec des bénéficiaires d’accès difficile à cause des distances géographiques ou du fossé culturel qui les sépare des « développeurs. Il arrive même que des bailleurs (Banque Mondiale) créent des associations artificielles récipiendaires de l’aide pour représenter les bénéficiaires (projets d’irrigation au Mali, au Niger et au Burkina). En fait, ces associations représentent la même classe de nantis qui s’enrichit grâce à l’aide aux plus pauvres. Que dire de certains systèmes de microfinance (inutiles, coûteux et prédateurs) qui bénéficient aux bureaux d’études internationaux qui les mettent en œuvre en profitant de la mode de la microfinance, l’une des rares réussites de ces décennies désespérantes de non développement ? Car seuls les missionnaires, les fous ou les artistes s’impliquent dans les projets de développement où le progrès socio-économique est le dernier souci d’acteurs-prédateurs. Blancs et Noirs se partagent le gâteau, les projets représentant avant tout des ressources économiques ou des avantages politiques pour les cadres et techniciens locaux, les experts européens ou occidentalisés, les représentants des gouvernements et des administrations, la bureaucratie internationale, nouvelle nomenklatura qui gère le développement depuis les grandes capitales...
La situation est grave à la ville comme à la campagne. En ville, l’intermède colonial a abouti à une reformulation du pouvoir en accordant des privilèges exorbitants à une bureaucratie qui n’a pas le sens de l’Etat et utilise sa position pour s’enrichir ou placer sa (grande) famille. Le système est dans un état avancé de délabrement avec la chute du cours des matières premières, l’accumulation de la dette et la faillite des Etats. La vie de la population urbaine (dont la croissance est d’environ 6% par an) est devenue une course de fond épuisante à la recherche de moyens de subsistance. Dans le monde rural, où la croissance démographique moyenne a été de 3% au cours de la dernière décennie, la croissance agricole n’a pas suivi : elle s’élève à 2%. Quant à l’aide internationale dans ce désastre, elle a surtout servi à maintenir au pouvoir la classe urbaine et prédatrice des fonctionnaires en finançant "des structures d’encadrement" (voir la plupart des grands projets agricoles) plutôt que des politiques agricoles. Elle a aussi permis à une caste cosmopolite de "développeurs" de vivre confortablement une aventure exotique. Economiquement, ses résultats sont presque nuls ! Quant aux populations-cibles, elles bénéficient d’un faible pourcentage des dépenses engagées (35% au maximum). Sont-elles seulement consultées, interrogées ou informées ? Non, elles sont absentes des circuits de décision et elles ignorent les règles d’un jeu qui les concerne au plus haut point... Quid de l’intérêt général dans ce guêpier ? Le mot est ésotérique. D’ailleurs, récompense-t-on ou sanctionne-t-on la gestion d’un programme en appliquant ici l’un des crédos du libéralisme ? Non, murmurent quelques renégats, autrement une grande partie des développeurs aurait disparu...
Ainsi, les procédures et le juridisme de l’Union Européenne nuisent considérablement à la mise en œuvre des projets de l’UE à travers le monde. Il faut, par exemple, répondre systématiquement à des Appels d’Offre avant la réalisation d’une quelconque action sur le terrain, ce qui profite en général aux grands bureaux d’études qui connaissent la technologie très complexe des Appels d’Offre de l’UE (voir les sites de l’Union Européenne dans ce domaine). De surcroît, ces procédures retardent considérablement la mise en œuvre des projets et, souvent, les sommes budgétées pour des programmes de développement ne peuvent pas être dépensées à cause des retards accumulés pour être en conformité avec des procédures inutiles pour ne pas dire kafkaïennes. Et quand, la personne chargée de faire appliquer ces procédures est « tatillonne », alors c’est l’enfer, un conseiller financier pouvant bloquer ou ralentir tous les projets à l’intérieur du pays où il sévit.
Seules quelques ONGs et agences bilatérales, souvent celles de petits pays sans ambition (néo)coloniale, obtiennent de meilleurs résultats sur le terrain. Leur approche est plus orientée vers les bénéficiaires que vers les administrations supposées les représenter. Les procédures de l’aide sont simplifiées et c’est le bon sens plutôt que l’application de procédures compliquées qui décide de la réalisation d’un projet. L’approche administrative a été réduite à son minimum. D’ailleurs, la coopération au raz du sol et la communication avec les bénéficiaires sont les clefs de la réussite sur le terrain.
Au contraire, les coopérations plus lourdes qui, parfois, n’ont pas un seul assistant technique pour suivre les décaissements et la mise en œuvre de leurs projets, enregistrent échec sur échec. Quand un projet devient une success story, c’est toujours grâce au dynamisme exceptionnel des équipes en place qui ont voulu et su passer à travers le tissu complexe des procédures, des oukases gouvernementaux et/ou des diktats lancés par des bureaucrates internationaux à mille lieux des réalités du terrain. Par exemple, le PPPMER financé au Rwanda par la FIDA - projet pour la promotion des petites et micro entreprises rurales - a obtenu des résultats remarquables : entre 1998 et 2002, 78% des entreprises touchées ont augmenté leur fonds de roulement et leur chiffre d’affaires ; 75% la valeur de leurs biens et équipements. L’accès au crédit a été généralisé et le nombre des épargnants a doublé dans les districts couverts par le projet. L’impact du projet a été aussi important sur les conditions de vie des communautés rurales...
En fait, tout repose sur l’équipe chargée de manager le projet sur le terrain et sur le coaching qui est fait au niveau des bailleurs de fonds ! Le développement est possible et la pauvreté peut être combattue, mais il faut la traquer au quotidien par des puits, des écoles, des canaux d’irrigation plutôt que par l’injection de millions de dollars que l’on surveille à travers un arsenal administratif. Si l’augmentation de l’aide au développement est un devoir pour les plus riches nations de la planète, les procédures d’octroi de cette aide doivent changer de manière drastique car, souvent, cette aide ne sert à rien.