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Le coup de déprime du Medef

Publie le jeudi 12 juin 2003 par Open-Publishing

Le coup de déprime du Medef
L’Expansion 27/05/2003

Licenciements, mises à l’écart et défections ébranlent l’organisation patronale sur fond de crise
financière.

Mais qu’est-il donc arrivé au Medef d’Ernest-Antoine Seillière ? Il y a dix-huit mois, les patrons
célébraient dans un
congrès exceptionnel à Lyon la fierté et la puissance retrouvées de leur organisation. Oubliés le
poussiéreux CNPF et
l’humiliation de leur ancien chef de file Jean Gandois, quand Lionel Jospin et Martine Aubry
avaient décidé d’imposer
par la loi les trente-cinq heures pour tous.

Epaulé par le très combatif et créatif Denis Kessler, l’entrepreneur Seillière avait jeté les
bases d’une nouvelle
structure, renouvelé de fond en comble les idées et le programme, engagé une négociation aussi
ambitieuse qu’inédite
avec la « refondation sociale », et présenté aux différents candidats à l’élection présidentielle
une liste
impressionnante de réformes pour assurer le rayonnement de l’économie française...

Et patatras ! Voici que le Medef paraît plus déprimé encore que la croissance. Cette PME de 200
personnes a le moral en
berne : plus d’une vingtaine de cadres de l’organisation ont été écartés, souvent sans ménagement,
mis en préretraite ou
suffisamment démoralisés pour quitter le navire, sans cacher leur amertume ; les finances sont au
plus bas, le Medef
devrait même terminer l’année 2003 avec un déficit de près d’un million et demi d’euros ; enfin,
le patron lui-même ne
cache plus sa lassitude, voire ses états d’âme, et chacun spécule en interne sur la date d’un
départ anticipé, par
exemple l’année prochaine pour célébrer, l’esprit libre, les 300 ans de Wendel, l’entreprise
familiale dont il a la
charge.

Ces remous sont révélateurs d’une crise profonde. Le positionnement politique de l’organisation
est plus difficile
depuis le retour de la droite au pouvoir. Et le départ de Denis Kessler pour la présidence de la
société de réassurance
Scor a déstabilisé les équipes. Mais c’est d’abord les préparatifs du déménagement qui ont mis le
feu aux poudres.

Il y a deux ans, le patronat décidait de quitter les bureaux vieillots de la rue
Pierre-Ier-de-Serbie, dans le XVIe
arrondissement de Paris, pour un immeuble moderne avenue Bosquet, dans le VIIe. Le projet fut
confié à l’architecte
Jean-Michel Wilmotte. En interne, le message est clair. Il n’y aura pas de restructurations, tout
au plus une
externalisation des services généraux (cuisine, accueil, reprographie).

Le secrétaire général, Yves Monnier, le répète plusieurs fois. Pour préparer le déménagement, des
« comités de pilotage
 » sont créés. « Nous avons réfléchi à des thèmes aussi surréalistes que "l’aménagement des espaces
communs communicants"
ou "accueil et signalétique" : le type même de fausse démocratie participative pour endormir notre
vigilance ! » enrage
un cadre. Quand les plans des nouveaux bureaux arrivent, certains salariés réalisent qu’il n’y
aura pas de place pour
tout le monde...

L’organisation vit très au-dessus de ses moyens

Un premier projet de licenciements est esquissé, mais il est retoqué par Denis Kessler, opposé à
tout dégraissage. Mais
le vice-président s’en va, et tous ceux à qui il fit souvent beaucoup d’ombre reprennent la main.
D’abord, les grandes
et riches fédérations, emmenées par Denis Gautier-Sauvagnac (patron de la métallurgie). Mais aussi
et surtout Jacques
Creyssel, énarque, ancien responsable des affaires économiques. Promu délégué général, il « 
verrouille » la maison,
s’entoure d’hommes de confiance et relance les projets de licenciements.

Puis les noms tombent. Dans le collimateur, les plus anciens, présents depuis dix, voire trente
ans : Jean-Pierre
Bournat, chargé du développement des PME, Alain Dumont, en charge de la formation, Jean-Luc Gréau,
de l’université
d’été, Bruno Pagès, responsable de l’animation des Medef territoriaux. Sans compter le secrétaire
général, Yves Monnier,
ou encore le patron du service de presse, Bernard Giroux, fidèle parmi les fidèles, témoin
privilégié de vingt-trois
années de négociation sociale.

Quelques mois plus tard, ces départs forcés vont d’ailleurs pousser vers la sortie, cette fois
volontairement, des
jeunes que la maison pensait garder. Telle une boîte de Pandore, le service de presse s’est vidé
après le départ de
Bernard Giroux : Catherine Desgrandchamps est désormais chef de projet au cabinet Altedia,
Jean-Marc Zakhia, consultant
en relations presse à Euro-RSCG, et Béatrice Mottier, chef du service presse de la Française des
jeux. Et, au très
stratégique département lobbying, Florence Depret rejoint aussi Euro-RSCG, en tant que directeur
conseil.

Si les coupes sont sévères, c’est que les comptes plongent dans le rouge. Jacques Creyssel fait le
calcul : « Un trou de
1,4 million d’euros est à prévoir pour 2003. » La faute en revient aux nouveaux modes de calcul
des cotisations et à la
mauvaise conjoncture. De plus, le déménagement coûte cher (52 millions d’euros), plus que prévu,
la vente de l’ancien
bâtiment ne couvrant que 56 % des frais. Le reste doit être financé par des prêts des grandes
fédérations et par des
dons des entreprises. Sollicitées, celles-ci se font d’ailleurs tirer l’oreille. Seuls 4,5
millions d’euros ont été
récoltés à ce jour.

La lutte pour la succession a commencé

Une crise de management se greffe sur la crise sociale et financière. Dès la réélection triomphale
d’Ernest-Antoine
Seillière pour un second mandat, des cadres murmurent qu’il y va « en traînant les pieds ». « Le
contexte politique
n’amuse plus le duelliste Seillière », affirme un proche. « D’autant qu’aujourd’hui il s’agit
moins de lancer des idées
que de mettre en oeuvre des réformes », ajoute un membre du comité exécutif.

« EAS a laissé entendre qu’il pourrait partir après le déménagement, d’ici à la fin de l’année »,
croit savoir le
responsable d’un Medef territorial. L’inauguration du nouveau siège aura en tout cas lieu en
septembre. En province,
comme à Paris, on attend le bilan que le patron des patrons dressera de l’action du gouvernement.
Et les conséquences
qu’il en tirera.

Les successeurs potentiels se tiennent en tout cas sur les starting-blocks : d’abord Bertrand
Collomb, président de
Lafarge et de l’Association française des entreprises privées, mais aussi des leaders de
fédérations : Denis
Gautier-Sauvagnac (métallurgie), présent dans les négociations avec les partenaires sociaux ;
Guillaume Sarkozy, le
frère du ministre, responsable de la branche textile et chargé du dossier très chaud des retraites
 ; et un nouveau venu
au Medef, Michel Pébereau, porte-parole de la banque... Le président de BNP Paribas est assidu aux
réunions du lundi
avec les proches d’Ernest-Antoine Seillière, et il vient d’annoncer qu’il levait le pied dans son
entreprise. Est-ce
pour se tenir disponible ?

Sur le terrain social, beaucoup ont perçu le trouble du Medef. « Il leur manque à nouveau une
boîte à idées », martèle
Sylvain Breuzard, patron du Centre des jeunes dirigeants, qui, en janvier dernier, a frappé du
poing sur la table pour
que le Medef noue le dialogue avec son organisation.

Quant aux syndicalistes, ils soulignent - sans doute sans le déplorer ! -, et sous couvert de
l’anonymat, que le
patronat semble avoir perdu son projet et l’esprit combatif qu’il manifestait lors de la « 
refondation sociale »...
D’aucuns redoutent en fait un regain de corporatisme patronal avec le retour des grandes
fédérations. Un slogan en forme
de blague court même chez les syndicalistes : « Rendez-nous Denis (Kessler) ! »

A la Scor, Denis Kessler tient à préciser qu’il n’exerce plus de responsabilités au Medef, mais
qu’il a simplement gardé
sous sa coupe l’université d’été. « Et cette année, elle traitera de la "grande transformation",
un thème qui permettra
de chercher des lignes de force dans le brouhaha actuel. » Un sujet fort à propos !

Sabine Syfuss-Arnaud