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Déclaration de Koïchiro Matsuura,
directeur général de l’UNESCO
Le Directeur général de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, suite aux actes de pillages commis hier dans le Musée Archéologique de Bagdad, a aussitôt saisi les autorités américaines et britanniques et leur a demandé de prendre immédiatement les mesures de surveillance et de gardiennage des sites archéologiques et institutions culturelles iraquiens.
Dans un courrier adressé, le 11 avril 2003, aux autorités américaines, le Directeur général a souligné l’urgence qu’il y avait à préserver des collections et un patrimoine considérés comme l’un des plus riches du monde. Il a particulièrement insisté sur la nécessité d’assurer la protection militaire du Musée Archéologique de Bagdad et du Musée de Mossoul. La même demande a été formulée auprès des autorités britanniques concernant plus particulièrement la région de Bassorah.
Afin d’empêcher l’exportation illicite de biens culturels iraquiens, le Directeur général a également entrepris une action auprès des autorités des pays limitrophes de l’Iraq et des autorités de police et de douane internationales afin que soient respectés les termes de la Convention de l’UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. Il a une nouvelle fois demandé à INTERPOL, l’Organisation mondiale des douanes, la Confédération internationale des négociants en œuvres d’art( CINOA), l’ICOM (Conseil International des Musées), l’ICOMOS ( Conseil International des monuments et des sites) et les principaux acteurs du marché de l’art, de s’engager aux côtés de l’UNESCO, dans une « action d’envergure pour faire en sorte que les objets volés ne puissent trouver d’acquéreurs ». 12-04-2003 1:00 pm reference
1 - Un patrimoine exceptionnel pour l’humanité tout entière
L’Iraq, le "pays entre deux fleuves", fut le berceau de civilisations majeures qui, dès le cinquième millénaire avant J.C, marquèrent le tournant entre la Préhistoire et l’Histoire de l’humanité. Grâce à une combinaison exceptionnelle de facteurs géographiques et climatiques, la production agricole excédentaire a favorisé le développement de sociétés sophistiquées, l’invention de l’écriture et l’établissement des premiers habitats urbains et des premiers codes juridiques. Dans les périodes plus récentes de notre histoire, Bagdad a été la capitale du Califat abbasside et le centre politique et culturel de l’une des trois religions monothéistes.
De nombreux sites exceptionnels sont toujours les témoins des grandes réalisations techniques et artistiques des ancêtres du peuple de l’Iraq d’aujourd’hui, et constituent un héritage précieux pour l’humanité tout entière. Parmi ceux-ci se trouvent les villes d’Ur des Chaldéens, lieu de naissance d’Abraham, Babylone, avec la légendaire Tour de Babel, Ninive, Hatra, Ashur et Samarra, pour ne citer que les plus connues. En plus des sites mentionnés ci-dessus, l’Iraq abrite quelques-unes des plus importantes collections archéologiques au monde, telles que celles du musée iraquien de Bagdad.
Ce patrimoine exceptionnel est confronté à de nombreux périls. La première Guerre du Golfe de 1991 et le manque de soins appropriés dans les années qui suivirent ont déjà causé de nombreux dégâts. Un nouveau conflit armé et la période de désarroi qui lui succédera probablement, pourraient avoir des conséquences encore plus dommageables sur l’état de conservation de ces sites, ainsi que pour tous les autres biens mobiliers et immobiliers situés sur le territoire iraquien.
2 - L’Iraq et la Convention du patrimoine mondial
Dans le passé, l’Iraq a contribué de manière significative aux efforts de l’UNESCO pour la protection du patrimoine culturel en soutenant ses Campagnes de sauvegarde internationales. L’Iraq fut l’un des premiers Etats à rejoindre la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, puisqu’il ratifia celle-ci dès 1974.
En dépit de la richesse incontestable de son patrimoine, un seul site iraquien a été inscrit à ce jour sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, la ville de Hatra, centre prospère important autour des second et troisième siècles avant J.C, situé entre l’Empire romain et le Royaume parthe.
A la fin des années soixante-dix et au cours des années quatre-vingt, plusieurs sites furent proposés au Comité du patrimoine mondial pour inscription sur la Liste, mais celui-ci renvoya les dossiers d’inscriptions à l’Etat partie pour des raisons techniques (manque d’informations, absence de plan de conservation approprié, etc.). Depuis 1991, compte tenu de la situation politique difficile et du manque de ressources, les autorités iraquiennes n’ont pas pu mener à bien le travail préparatoire nécessaire à la soumission de nouveaux dossiers d’inscription.
En l’an 2000 cependant, l’Iraq a soumis une nouvelle "Liste indicative" (listes des sites que l’Etat partie considère comme prioritaire en vue d’une inscription dans les prochaines années, voir la carte). Cette Liste indicative comporte sept sites, tels que la ville-Etat sumérienne d’Ur ou la forteresse islamique d’Al-Ukhaidar. Toutefois beaucoup reste à faire afin que l’exceptionnelle diversité du patrimoine iraquien soit pleinement représentée sur la Liste du patrimoine mondial. Et quand bien même ces sept sites de la Liste indicative seraient tous inscrits sur la Liste du patrimoine mondial et protégés par la Convention, cela ne constituerait qu’une petite partie, bien que très représentative, de l’incroyable richesse du patrimoine du "pays entre deux fleuves".
3 - Ashur et le barrage de Makhoul
Egalement inscrit sur la Liste indicative de l’Iraq, Ashur fut la première capitale du Royaume assyrien, ainsi qu’un centre religieux très important, du troisième au premier millénaire avant J.C. Comme beaucoup d’autres sites situés en zone semi-aride, Ashur est actuellement menacée par la construction d’un barrage à environ 40 Km au sud du site. Le barrage de Makhoul, dont la mise en service est prévue pour 2006, devrait avoir un réservoir d’une capacité de 3 milliards de m3 d’eau, qui affecterait au minimum 60 sites archéologiques dans cette zone.
Dans ces conditions, des zones entières de la ville, particulièrement au sud, seraient inondées à certains moments de l’année dès lors que le réservoir sera opérationnel. Les ruines archéologiques des anciennes structures souffriraient dans tous les cas des infiltrations et des suintements des eaux souterraines. De fait, la nappe phréatique de toute la zone augmentera considérablement dès que le niveau du réservoir du barrage touchera à son maximum.
Alors que le barrage et le réservoir sont principalement construits à des fins d’irrigations, il est néanmoins prévu d’incorporer une station hydro-électrique au barrage en vue d’exploiter le flux libéré par le réservoir pour générer du courant électrique.
Le Conseil d’Etat iraquien des antiquités et du patrimoine alloue déjà des ressources en personnel et des fonds à un projet de sauvetage de l’ancienne Ashur et de ses environs. Cependant, en septembre 2002, les autorités iraquiennes ont requit l’assistance de l’UNESCO afin de lancer un appel international pour la sauvegarde du site. Au même moment, l’Iraq a soumis un dossier pour l’inscription d’Ashur sur la Liste du patrimoine mondial, espérant que cela renforcerai sa protection.
En novembre 2002, le Centre du patrimoine mondial et la Division du patrimoine culturel de l’UNESCO, avec l’aide du Bureau de l’UNESCO à Amman ont mené une mission technique afin d’évaluer l’impact potentiel du barrage sur le site, de conseiller sur de possibles mesures protectrices et d’améliorer le dossier d’inscription soumis par les autorités iraquiennes.
Deux types de solutions sont envisagés afin de résoudre le problème : la construction d’une digue en terre avec un coeur imperméable et un mur de coupure dans les fondations, une solution très similaire à celle mise en place au barrage principal à Mak’Houl, ou alors un renforcement du sol grâce à une combinaison de gabions et d’un sol mécaniquement renforcé afin de protéger et de supporter les parois du réservoir. Les deux solutions nécessiteront un système supplémentaire de protection contre les infiltrations de l’eau dans les couches archéologiques fragiles, sous la barrière du barrage.
La proposition d’inscription sera vraisemblablement examinée par le Comité du patrimoine mondial lors de sa prochaine session en juin 2003 à Suzhou (Chine). S’il est convaincu de la possibilité de préserver le site de la menace du barrage, ainsi que de la volonté politique du pays d’allouer les ressources nécessaires, le Comité pourrait décider d’inscrire Ashur sur la Liste, en en faisant le second site du patrimoine mondial d’Iraq.
4 - Autres Conventions de l’UNESCO pour la protection des biens culturels
En plus d’avoir ratifié la Convention du patrimoine mondial en 1972, l’Iraq est également devenu Etat partie à la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (La Haye, 1954), de son Protocole de 1954 ainsi que de la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicite des biens culturels (Paris 1970) deux Conventions adoptées par l’UNESCO dans son effort de protection du patrimoine culturel.
Pendant et après le conflit de 1991, les autorités iraquiennes ont informé le Directeur général des dommages causés au patrimoine culturel de l’Iraq. En ce qui concerne les biens mobiliers, la Délégation permanente de l’Iraq a transmis au Secrétariat en octobre 1991, quatre volumes de documentation sur des biens manquants dans plusieurs musées provinciaux iraquiens et a demandé assistance pour leur restitution. L’UNESCO a transmis des copies de ces volumes au Metropolitan Museum of Art (New York), à la Fondation internationale pour la recherche en art (IFAR), à l’Organisation International de la Police Criminelle (INTERPOL), au Conseil international des musées (ICOM) et à Sotheby’s (Londres), pour en informer le marché d’art londonien.
L’UNESCO a également publié en mars 1995 un communiqué de presse en vue d’alerter la communauté des musées, les collectionneurs et les marchands d’art contre l’achat d’objets pouvant avoir été volés en Iraq. De plus, l’Organisation a publié le 1er août 1995 un document relatif à certaines pièces représentatives manquantes comprenant des photographies et des descriptions détaillées.
Il est important de souligner que les principes de protection et de préservation du patrimoine culturel en cas de conflit armé ne sont pas seulement un principe obligatoire partagé par les 103 Etats parties à la Convention de 1954, mais qu’ils peuvent également être considérés comme faisant partie du droit coutumier international, selon la Résolution 3.5 de la vingt-septième session de la Conférence générale de l’UNESCO (novembre 1993).
Pour davantage d’information sur la Convention de La Haye et sur la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicite des biens culturels