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Bolivar sous le feu des mensonges

Publie le vendredi 1er juin 2007 par Open-Publishing
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de Maxime Vivas

La crainte de radoter nous vient à toujours citer le mot de Pierre Bourdieu sur le phénomène de la « circulation circulaire de l’information ». Mais le constat est d’actualité. Ainsi, une source politique ayant lancé le bobard de la fermeture par Hugo Chavez de la chaîne de télévision RCTV, les journalistes, qui se lisent entre eux, le répètent en boucle jusqu’à ne plus douter eux-mêmes de sa véracité. Dame ! C’est écrit partout : donc, c’est vrai !

Jeudi. Dans un taxi qui nous ramène des studios de VTV (Venezola de TeleVision) où nous venons de participer à une émission en direct, Thierry Deronne, vice-président de Vive TV me fait écouter un message sur son portable. C’est le correspondant français d’une station de radio allemande qui lui demande de bien vouloir le rappeler pour répondre aux deux questions suivantes : « Que pensez-vous de la fermeture de RCTV par Chavez et des menaces de fermeture de Globavision ? » Analyse : deux questions au contenu faux et une ignorance du dossier révélée par l’erreur sur le nom de GlobOvision.

N’apprend-on pas dans les écoles de journalisme, pour un dossier conflictuel, à se renseigner auprès des différents protagonistes avant de recueillir les avis de témoins ? Si le journaliste en question l’avait fait, ses questions auraient été différentes. La même mésaventure est arrivée à Benjamin Durand, un Français qui dispense des cours dans une école de cinéma de Caracas et à qui une journaliste de RFI pose des questions si manifestement semblables à celles que l’opposition anti-chaviste auraient posées qu’il refuse de répondre, lui conseillant d’étudier d’abord le dossier.
Rappelons les faits :

Le 28 mai, la licence autorisant la chaîne de télévision vénézuélienne RCTV à émettre par voie hertzienne expirait et n’a pas été renouvelée. Mais RCTV peut disposer du câble, du satellite, d’Internet, comme des centaines de chaînes à travers le monde.
Par la vertu du pilonnage mondial des médias essentiellement aux mains des puissances d’argent, ce non renouvellement s’est transformé en « fermeture » d’une télévision, sonnant le glas de toute liberté d’expression au Venezuela, accélérant une dérive autoritaire, voire dictatoriale.

Marcel Granier, le patron de RCTV, oubliant à Caracas son arrogance folle, son mépris des lois et ses préventions contre les résultats du suffrage universel, s’est précipité en Europe, agneau innocent que le loup prétend dévorer alors qu’il se désaltérait dans le courant d’une onde pure. Dans les couloirs du parlement européen à Strasbourg où il rencontra un Robert Ménard (patron de RSF) aussi primesautier qu’un croque-mort, il appela au sauvetage de la démocratie et de la liberté.

Ce parlement réunit alors une coalition de partis de droite et d’extrême droite pour voter une résolution à coloration Ménardo-Graniériste. L’affaire fut difficile cependant car, sur 785 députés, 65 seulement étaient présents. 43 se laissèrent embarquer dans cette galère (portés par un élan politicien nourri d’informations erronées) tandis que 22 députés de gauche votaient contre.

Plusieurs articles ont déjà circulé sur le Net, énumérant les cas de non renouvellement de licences, voire les brutales suspensions en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique latine. Nul d’entre nous n’en avait entendu parler. Aucune indignation planétaire n’avait envahi nos médias. L’Europe n’en souffla mot. RSF ne hurla pas. Aucun parti politique ne lança ses troupes dans la rue. Aucun opposant ne tira à balles réelles contre des policiers désarmés. Aucun gouvernement responsable de la répartition (non extensible) du spectre hertzien ne vit des télés de son pays montrer des manifestants appelant à son renversement. Aucune télé ne publia des montages d’images faisant voisiner le chef d’Etat incriminé avec un leader d’Al-Qaida. Aucune ne nous montra l’attentat dont fut victime le pape Jean-Paul II avec un commentaire laissant entendre que son président n’était à l’abri de rien (« Soyez sûr que cela ne s’arrêtera pas ici »). Aucune ne laissa ses journalistes ou invités dire n’importe quoi (exemple : « Chavez va répliquer en faisant manifester les « hordes » des « ranchos » (bidonvilles) », ou encore : « Il faut éviter que le Venezuela devienne une Cuba où les chrétiens sont pourchassés pour être tués »)(1). CNN en espagnol n’informa pas l’Amérique latine en utilisant des images (anciennes mais plus spectaculaires) d’une manifestation au Mexique. Nulle jeunesse dorée ne sortit des Universités catholiques pour descendre sur le pavé. Bref, jamais, nulle part, le non renouvellement d’une licence ne fut ainsi mondialement médiatisé, politiquement exploité au-dedans et au-dehors du pays, suscitant un déferlement d’informations tronquées ou mensongères, de trucages d’images, d’appels implicite au coup d’Etat et à tirer sur le chef de l’Etat.
Et nos beaux esprits européens, drapés dans la cape liliale de leur amour pour la liberté d’expression (mais pas pour autant de la vérité ), les fervents défenseurs de la démocratie, se vautrent dans cette fange, marionnettes agitées par des fils made in USA, bernés par un Marcel Granier que les lois françaises auraient conduit en prison dès le 15 avril 2002 (lendemain du coup d’Etat) et par un Robert Ménard, patron d’une organisation dont les effectifs sont squelettiques et dont les ressources internes sont inférieures à celles qui lui proviennent des USA, via des organisations écrans de la CIA(2).

Le 27-28 mai, sous le titre : « Censure à la Chávez », Le Monde écrivait dans son éditorial : « Le président Hugo Chávez a ordonné la disparition de RCTV ». Le quotidien du soir fustigeait cette décision « qui réduit le pluralisme et augmente la concentration de l’audiovisuel aux mains du gouvernement. »(3)

Dans le Monde Diplomatique (31 mai 2007) Bernard Cassen fait l’inventaire :
« En 2006, on comptait au Venezuela 20 chaînes hertziennes VHF privées et 1 publique.
On comptait par ailleurs 28 chaînes hertziennes UHF privées, 6 publiques et 44 communautaires.

Actuellement, avec l’incorporation de RCTV, le service public disposera de deux chaînes hertziennes VHF, de deux chaînes UHF et de deux chaînes sur le câble. On est très loin du monopole…

Sans la moindre trace d’humour, l’éditorial qualifie ensuite RCTV de « chaîne privée qui donnait la parole à l’opposition ». RCTV donnait effectivement la parole à l’opposition, et ne faisait même que cela ! Des études de contenu effectuées sur le mois de janvier 2007 montrent que, dans ses programmes, elle a invité 21 personnalités hostiles au gouvernement, et aucune qui lui soit favorable. Le même mois, une des quatre autres grandes chaînes privées, Globovisión, a invité 59 opposants à M. Chávez et 7 de ses partisans. Seule Televen a respecté la parité : deux de chaque camp.

Certes on peut regretter que la seule chaîne publique hertzienne jusqu’ici contrôlée par le gouvernement, Venezolana de Television (anciennement Canal 8), ne soit pas non plus un modèle d’équilibre, mais comment pourrait-il en être autrement dans un paysage médiatique où la plupart des journaux, radios et chaînes de télévision se comportent en partis politiques d’opposition ? Il faut espérer que TVES, la chaîne qui reprendra le signal de RCTV, tiendra ses promesses de pluralisme, même dans ces circonstances adverses.

Du côté de la presse écrite, la situation est encore plus tranchée : sur 10 quotidiens de diffusion nationale, 9 sont des opposants déclarés au gouvernement. Si l’on étudie le contenu des articles d’opinion publiés dans quatre d’entre eux au mois de janvier 2007, on obtient les résultats suivants : pour El Nacional, 112 hostiles, 87 neutres et 6 favorables ; pour El Universal, les chiffres correspondants sont 214, 89 et 9 ; pour Ultimas Noticias, 31, 59 et 18 ; pour El Mundo, 49, 39 et 15. Ce qui ne les empêche pas de recevoir de la publicité des entreprises, des agences et des collectivités publiques.
Prétendre que la liberté d’expression est menacée au Venezuela relève donc de la plus insigne mauvaise foi. Il suffit de s’arrêter devant un kiosque à journaux ou de passer une heure devant un poste de télévision pour être convaincu du contraire. C’est même sans doute le seul pays du monde où, dans le passé, des appels publics à l’assassinat du président n’ont pas entraîné des poursuites judiciaires. »

Ajoutons qu’il existe un divorce flagrant entre les idées de la population (63 % ont voté pour Chavez en décembre 2006) et le positionnement politique extrême de la plupart des médias qui se substituent ouvertement aux partis d’opposition(4).

Des étudiants, chauffés à blanc par la télévision, encouragés par les réactions de la presse étrangère, réécrivent, peut-être sans le savoir, un sinistre scénario rôdé au Chili en 1973. Cette année-là, les Universités privées, la Fédération des Etudiants de l’Université Catholique appelèrent à défendre la liberté d’apprendre, contre l’instrument « marxiste de politisation des consciences » qu’ils combattirent dans la rue contre le pouvoir de l’Unité Populaire de Salvador Allende.

L’attribution du canal hertzien de RCTV à la nouvelle chaîne (TVES) devrait réjouir les hommes de bonne volonté : elle réduit le divorce politique entre les médias et la population, le déséquilibre entre les secteurs médiatiques privé et public, elle offre un espace de culture et d’éducation à un pays où l’analphabétisme vient à peine d’être éradiqué.

Sans l’agitation artificielle et purement politique qui a entouré la naissance de TVES, on aurait parlé d’une décision utile à la paix civile. Quoi qu’il en soit, c’est bien ainsi qu’elle sera vue par l’Histoire.

Maxime Vivas, Caracas, 1er juin 2007

Messages

  • « N’apprend-on pas dans les écoles de journalisme, pour un dossier conflictuel, à se renseigner auprès des différents protagonistes avant de recueillir les avis de témoins ? »

    Pourquoi tant de naïveté ? C’est en toute conscience et parti pris idéologique que les journalistes occidentaux travestissent la vérité. Leur incompétence n’est que secondaire.