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CHOMDU 23

Publie le mercredi 19 mars 2008 par Open-Publishing

de P’tit Nico

« La cooptation à laquelle les média, après l’État, ont donné les noms de participation et de concertation, y dit l’pote
Paul Beaud, instaure sur la base d’une modification quantitative des rapports entre classes un système de pouvoir qui
tend à concurrencer les formes traditionnelles du conflit, de la négociation et du compromis : action syndicale, système
représentatif de la démocratie parlementaire.

Si le principe de la délégation cachée, sans mandat avoué, ne date pas
d’hier, la nouveauté réside dans l’élargissement de son objet et de sa base sociale, plus encore dans sa prétention à être
un mode de traitement plus direct, plus démocratique des problèmes sociaux, plus rationnel et plus raisonnable. (...)

Les
mass média, tantôt accusés d’occulter le pouvoir, tantôt loués de le rendre transparent, ont en fait pour effet de
dissimuler sous les mythes de la manipulation ou de la libre circulation de l’information la permanence de réseaux de
communication structurés en fonction de rapports de classes, d’intérêts politiques et économiques, réseaux dans
lesquels les média sont d’ailleurs eux-mêmes imbriqués. (...)

M’sieur l’voyou Tapie copain d’not’ ancien président d’gôche qu’était un monarque aussi qu’les Français y z’avaient élu
comm’ not’ président, y dit : "Quand on va voir le médecin, on ne lui demande pas s’il est de droite ou de gauche, on lui
demande de nous soigner". Y disait ça pour préparer la cohabitation des voyous.

Parce que m’sieur Auguste Comte, le père des sociopathes amis de not’ président, y l’avait dit : « quand la politique sera
devenue une science positive, le public devra accorder aux publicistes et leur accordera nécessairement la même
confiance pour la politique qu’il accorde actuellement aux astronomes pour l’astronomie, aux médecins pour la
médecine, etc. ».

Comm’ y disaient des médecins du travail dans un reportage à la radio de not’ président qui s’intitulait « complices
malgré eux » : « nous on est pas "pour" les salariés ni "pour" les employeurs, on est "pour" la santé ! ».
C’est pour ça, y rajoute l’pote Poulantzas, qu’ « en raison de la situation de cette petite-bourgeoisie comme classe
intermédiaire, polarisée entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, en raison aussi de l’isolement de ses agents
(individualisme petit-bourgeois), celle-ci a une forte tendance à considérer l’État comme une force neutre en soi, dont le
rôle serait d’opérer un arbitrage parmi les classes sociales en présence. » C’est pour ça qu’y croit beaucoup aux pétitions
l’p’tit bourgeois et qu’y l’arrête pas d’en signer sur Internet qu’c’est facile "en un clic" comm’ pour ach’ter n’importe quoi.

C’est à la fin des années 60, y continue l’pote paul Beaud, qu’y a eu « la soudaine apparition (...) d’un nouvel enjeu de
négociation sociale : l’accès à ces moyens nouveaux de communication comme moyen de participation à la gestion de la
société d’une couche sociale qui trouve dans ce débat lieu et matière à concrétiser l’une de ses principales conquêtes, son
droit à la parole dans l’espace public. (...) Les nouvelles classes moyennes (...) peuvent se caractériser par leur rôle de
médiateurs dans le champ de la production et par la capitalisation de ce à quoi elles doivent leur place dans ce champ :
des savoirs scolaires et des savoir-faire sociaux, bagages d’entrée dans cette industrie de "l’intégration psychosociale et
du bonheur". »

En fait, y dit mon ancien délégué syndical CGT, la p’tite bourgeoisie ell’ sert à occuper tout l’espace public et privé d’la
parole et d’l’image. Qu’c’est pour ça qu’y bavardent partout, qu’c’est un vrai poulailler d’p’tit bourgeois la radio, la télé et
les forums d’Internet d’not’ président qui amuse "l’peuple" qui s’en fout, d’tout’ manière, parce que qu’y l’écoute ou pas,
l’prolo, ça change rien pour lui, et au moins ça l’endort pour faire ronfler la bête aliénation qu’est dedans not’ corps.

« Il n’existe pas, y dit m’sieur Debray, on le sait, un appareil idéologique dominant pour toutes les classes et catégories
sociales. Pour un ouvrier, l’appareil productif de l’usine, avec ses règlements, l’organisation des outils, les hiérarchies
internes, incarne une puissance idéologique évidemment supérieure aux autres : pour lui, l’alpha et l’omega ne peuvent
être le journal et la télé. Ce qu’il entend à la télé et lit dans son journal passe par le tamis de sa quotidienne expérience
des rapports sociaux : comment s’expliquer qu’il existe encore quelque chose comme un mouvement ouvrier s’il n’y avait
pas, quelque part dans l’expérience quotidienne, un noyau de réalité réfractaire aux formidables pressions, cumulées sur
plus d’un siècle, exercées par cette masse d’images et d’idées sociales pour lesquelles le mot d’"exploitation" n’est qu’une
invention d’idéologues aigris ? »

« Les classes populaires, y rajoute m’sieur Hoggart, ne sont pas à même de prendre une vue d’ensemble de la vie
économique et de ses conflits ni de tenir une comptabilité des coûts et des profits. Mais situées, en quelque sorte, au
plus près et au plus intime des processus d’exploitation, elles occupent, en revanche, une place privilégiée pour voir à
l’oeuvre, dans leurs moindres détails, la libre entreprise et l’égoïsme des nantis : les gens du peuple qui servent
d’intermédiaires entre clients et patrons sont bien placés pour connaître les petits carottages de l’économie de marché. »

« Le "silence des masses" que croit percevoir Baudrillard, y reprend l’pote Paul Beaud, n’est qu’abstention non de la
"masse" mais de tous ceux qu’excluent les nouvelles médiations sociales, quand elles ont pour but de redéfinir l’espace
du social, et qui n’ont d’autres possibilités que de ne pas répondre à toute question qui ne les concerne pas ou d’y
répondre selon une logique que le questionneur ramènera à la sienne (sondages, élections, etc.), en un quiproquo
intéressé baptisé opinion publique, légitimité ou consensus. »
Y z’ont calculé, les potes de Le Plan B, que, alors qu’ les ouvriers y représentent 24,8% d’la population active, y sont
que 0,17% à l’assemblée nationale d’la République des Lumières. Alors qu’les professions libérales ell’s sont 20,5% à
l’assemblée pour 1,25% d’la population active. Qu’dans les émissions d’débat d’la télé publique d’not’ président, en 2006,
sur 1437 invités y a eu 1253 cadres et professions intellectuelles supérieures invités et 1 n’ouvrier.

C’qui fait qu’les ouvriers on les voit pus, y’en a mêm’ qui s’demandent si ça existe encore la classe ouvrière que m’sieur
Trillat y l’est parti à leur recherche avec sa caméra pour vérifier. Mais à cause d’ça, les ouvriers y s’rendent plus compte
d’leur force pour mener la bagarre générale, mêm’ si, y dit l’pote Poulantzas, la bourgeoisie « se heurte au noyau
irréductible de la socialisation du procès de travail productif, qui conduit constamment la classe ouvrière à la subversion
de ces rapports, et c’est là précisément le propre des revendications antihiérarchiques de la classe ouvrière et qui se
distinguent en général, dans leur contenu, de celles de la nouvelles petite-bourgeoisie. Ce n’est pas par hasard si la
bourgeoisie doit passer, pour introduire ces rapports politico-idéologiques au sein de la classe ouvrière, par le biais tout
particulier de l’"aristocratie ouvrière" et des "bureaucraties syndicales de collaboration de classe" (Lénine). Ces
coordonnées restent, bien entendu, co-substantielles à la domination de la bourgeoisie sur la classe ouvrière, mais elles
sont constamment subverties par les rapports de travail au sein de la classe ouvrière (l’ "instinct de classe "), alors que
l’intériorisation de ces rapports au sein de la nouvelle petite-bourgeoisie bureaucratisée découle de la reproduction de sa
place même dans la division sociale du travail. » Ouais, qu’y dit Fred, quand j’vois l’service d’ordre d’la CGT jeter les
mecs qui sont pas d’accord avec eux dans les manifs, j’ai plutôt l’impression qu’c’est "l’instinct d’casse".
Et pis la solidarité, les patrons y l’ont bien cassé aussi avec les nouvelles organisations du travail, la précarité et la peur
du chômage.

En plus, y dit Polo, c’est au niveau mondial aussi qu’l’bourgeois y l’cache dans l’bidonville l’prolo pauvre. « En tout, y
l’explique m’sieur Davis, la classe ouvrière informelle mondiale (qui, tout en la
recoupant, n’est pas identique à la population des bidonvilles) est forte d’environ un
milliard de membres, ce qui en fait la classe sociale dotée de la croissance la plus forte
et la plus radicalement nouvelle de la planète. (...) Même si de vastes secteurs informels
existaient sans aucun doute dans les villes victoriennes, comme dans le Shanghai des
compradors ou dans l’Inde coloniale urbaine ("une réalité écrasante et persistante", écrit
Nandini Gooptu), le rôle macroéconomique actuel de l’informalité est révolutionnaire.
Il y a dans la communauté scientifique un consensus de base pour dire que la crise des
années 1980 - au cours desquelles le secteur du travail informel a crû de deux à cinq
fois plus vite que le secteur formel - a inversé leurs positions structurelles relatives, le
travail informel pour la survie devenant le mode de subsistance majoritaire dans les
villes du tiers monde.(...)

Une partie de ce prolétariat informel sert à l’évidence de main-d’oeuvre fantôme pour
l’économie formelle, et de nombreuses études ont montré la profondeur à laquelle les
réseaux de sous-traitants de Wal-Mart et autres mégacompagnies étendent leurs
ramifications dans les colonias et les chawls. De même, les tréfonds du secteur
informel sont sans doute davantage reliés au monde de plus en plus dérégulé du secteur
formel dans un continuum que séparés par une faille abrupte. Pourtant, au bout du
compte, la majorité des travailleurs pauvres habitant dans les bidonvilles sont
véritablement et radicalement sans domicile dans l’économie mondiale contemporaine.
(...) En lieu et place d’une mobilité sociale ascendante, on ne trouve en réalité qu’un
escalator qui ne fait que descendre, par lequel les travailleurs licenciés du secteur
formel et les employés remerciés de la fonction publique s’enfoncent dans l’économie
parallèle.

La brutale tectonique de la mondialisation néolibérale depuis 1978 rappelle les
processus catastrophiques qui aboutirent à la formation originelle d’un "tiers monde", à
l’ère de l’impérialisme de la fin de l’époque victorienne (1870-1900). À la fin du
XIXème siècle, l’incorporation de force au marché mondial des grandes paysanneries
de subsistance d’Asie et d’Afrique entraîna la mort par famine de millions d’individus
et le déracinement de dizaines de millions d’autres hors de leurs terres traditionnelles.
Le résultat final (en Amérique latine aussi) fut une "semi-prolétarisation" rurale, c’està-
dire la création d’une immense classe mondiale de semi-paysans et de journaliers
miséreux dépourvus de toute sécurité existentielle de subsistance. La conséquence en
fut que le XXème siècle devint une ère non pas de révolutions urbaines, comme l’avait
imaginé le marxisme classique, mais de gigantesques soulèvements ruraux et de guerres
d’indépendance soutenues par le monde paysan.

Depuis 1980, cependant, l’informalité économique est de retour, et avec une puissance
redoublée. L’équation marginalité urbaine = marginalité professionnelle est devenue
irréfutable et universelle : d’après les Nations unies, les travailleurs informels
représentent environ les deux cinquièmes de la population économiquement active des
pays en voie de développement. (...) D’après Aprodicio Laquian, "la plupart des emplois trouvés dans les petites et
moyennes villes appartiennent au secteur informel : étals de nourriture et restaurants, instituts de beauté et échoppes de
barbier, salons de couture ou vente à la sauvette. Si ces emplois du secteur informel sont souvent des emplois à maind’oeuvre
intensive et ont la capacité d’absorber un nombre important de travailleurs, on peut s’interroger sur leur
efficacité économique et leur potentiel productif".

Dans la plupart des villes subsahariennes, la création d’emplois formels a pour ainsi dire totalement cessé. Une étude
menée par l’OIT sur le marché de l’emploi urbain au Zimbabwé pendant la période d’ajustement structurel
"stagflationniste" du début des années 1990 a montré que le secteur formel ne créait que 10 000 emplois par an, pour
une population active urbaine qui s’enrichissait quant à elle de 300 000 nouveaux travailleurs chaque année. De même,
une étude de l’OCDE portant sur l’Afrique de l’Ouest prédit que le secteur formel en diminution constante n’emploiera
plus qu’un quart de la population active en 2020. Cette prédiction s’accorde avec les sinistres projections de l’ONU
selon lesquelles le secteur de l’emploi informel devra, d’une manière ou d’une autre, absorber 90 % des nouveaux
travailleurs de l’Afrique urbaine au cours de la décennie à venir. »
« Un prolétariat sans usines, sans ateliers, et sans travail, et sans patrons,
éperdu dans les djobs, noyé dans la survie et menant son existence
comme un sillon entre les braises. »
y dit m’sieur Chamoiseau.

Mais mêm’ là, la classe moyenne, ell’ empêche l’pauvre d’se défendre, y raconte m’sieur Davis : « Le vétéran du
militantisme pour le droit au logement P.K. Das formule une critique encore plus sévère des ONG qui s’occupent des
bidonvilles : "Elles n’ont de cesse de subvertir, désinformer et démoraliser les gens afin qu’ils se tiennent à l’écart de
toute lutte des classes. Elles adoptent et propagent la pratique qui consiste à mendier des faveurs en s’appuyant sur la
pitié et l’humanitarisme au lieu de faire prendre conscience aux opprimés des droits qui sont les leurs. Concrètement,
ces agences et ces organisations interviennent systématiquement pour s’opposer à la voie émeutière lorsque des
individus la choisissent pour obtenir satisfaction de leurs demandes. Elles travaillent constamment à divertir l’attention
des gens des plus importants méfaits politiques de l’impérialisme, en la focalisant sur des problèmes purement locaux et
en empêchant ainsi les gens de faire clairement la distinction entre leurs ennemis et leurs amis".

Dans Slumming India (2002), pamphlet virulent, d’une puissance presque swiftienne, contre le culte des ONG
travaillant dans le domaine urbain, Gita Verma développe et précise les reproches de Das. Urbaniste rebelle travaillant
en marge de ce qu’elle appelle "le Système", Verma décrit les ONG comme des intermédiaires "d’une nouvelle classe"
qui, avec la bénédiction des organisations philanthropiques étrangères, usurpent la parole authentique des pauvres. Elle
raille la Banque mondiale et son paradigme d’amélioration des bidonvilles qui entérine l’existence du bidonville comme
une réalité éternelle, ainsi que les mouvements anti-expulsion qui refusent de se faire porteurs de revendications plus
ambitieuses. Le "droit de rester, dit-elle, est un piètre privilège. [...] Il empêchera peut-être tel ou tel bulldozer de passer,
mais, pour le reste, il se contente pour l’essentiel de remplacer l’étiquette “problème” par l’étiquette “solution”, avec un
enrobage de jargon créatif en petits caractères". "Sauver le bidonville, ajoute-t-elle en faisant spécifiquement référence à
Delhi, signifie accepter l’injustice que constitue le fait qu’un quart à un cinquième de la population de la ville vit sur à
peine 5 % de sa superficie." »

C’est comm’ y dit l’pote Paul Beaud pour le p’tit bourgeois travailleur social d’nos quartiers d’misère, y dit Djamel : « Le
travail social, écrit Robert Castel, a pour but désormais d’aider l’ensemble "des partenaires, chacun en fonction de sa
place, bien entendu, à rester dans le circuit de la production-consommation, en reconduisant la structure socioéconomique
dans sa totalité. (...) L’aliénisme et son modèle de l’internement ont représenté la version médicalisée de la
conception ségrégative de l’assistance. Les technologies de relations dans la communauté correspondent à une
conception participationniste de l’intégration. Elles supposent que soit cassée la dichotomie du normal et du
pathologique et la séparation des espaces où a lieu la "prise en charge", comme doit être dépassée, sur le plan social, la
rupture entre les classes".

Cette technicisation du contrôle social individualisé, dont l’une des bases est la négation de la nature collective des
antagonismes sociaux, n’est enfin elle-même qu’un aspect d’une vision techniciste de la société dans son ensemble,
dont l’effet, présenté pour cause, est l’apparent affaiblissement des antagonismes idéologiques, lequel est avant tout
l’illustration de l’entrée sur cette scène publique de nouvelles couches sociales, d’une redistribution des cartes. (...)
Globalement, depuis 1960, ce sont les effectifs d’employés et surtout de cadres moyens et supérieurs qui ont connu les
plus forts taux d’augmentation ; pour ces catégories, cette augmentation est due en partie, dans le secteur secondaire, au
développement des activités de services et de l’appareil administaratif. »
« Aujourd’hui, une élite professionnelle comprenant des médecins psychiatres, des experts en sciences humaines, des
travailleurs sociaux et des fonctionnaires joue un rôle prédominant dans l’administration de l’État et de "l’industrie de la
connaissance", y précise m’sieur Lasch. (...) et cette nouvelle élite professionnelle interpénétrée en tant d’endroits avec
les entreprises privées (qui s’intéressent de plus en plus à tous les aspects de la culture) possède tant de caractéristiques
propres aux directeurs d’industrie qu’elle ne doit pas être considérée comme une classe distincte, mais comme une
branche de celle des dirigeants modernes. »

« Si l’on voulait ranger les divers types de caractère dans le moule des classes sociales, on dirait que que la "direction de
l’intérieur" est le propre de la "vieille" classe moyenne - le banquier, le commerçant, le petit entrepreneur, l’ingénieur
cantonné dans les tâches techniques -, tandis que la "direction par l’autre" devient le trait de caractère essentiel de la
"nouvelle" classe moyenne... », y rajoute m’sieur Riesman.
Et y z’en ont fabriqué des p’tits bourgeois d’encadrement du pauvre, y constate Fred. « Michael Pollak, y continue l’pote
Paul Beaud, rappelle que l’arrivée de Lazarsfeld aux États-Unis correspond à un premier essor de la recherche sociale
appliquée. "L’administration américaine, d’abord sous la présidence de Herbert Hoover et plus tard de Franklin D.
Roosevelt commence à utiliser systématiquement la recherche sociale née dans les milieux d’affaires autour des
problèmes de gestion, d’organisation du travail et de marketing, pour la formulation des stratégies politiques. Avec
l’augmentation massive des moyens consacrés à la recherche sociale appliquée, les années trente sont la période clé de
transformation des sciences sociales américaines, mais aussi du style politique.

La "politics" comme activité
d’argumentation et de mobilisation des masses est progressivement abandonnée et remplacée par le policy making,
l’élaboration "scientifique" et le choix entre des solutions alternatives à des problèmes isolés, une activité présentée
comme technique, donc réservée à l’élite. La réorganisation et la professionnalisation des sciences sociales pendant
cette époque ont eu pour conséquence une liaison très étroite entre politique et recherche, et à la longue un alignement
idéologique des universitaires sur le système politique dominant qui détruisit les restes de la méfiance qui caractérise
souvent les relations entre les intellectuels et le pouvoir. (...)
On ne peut qu’être frappé de la proximité de ce débat avec celui qui divise aujourd’hui la sociologie européenne. À la
faveur de la crise et des mutations technologiques, la tentation est grande chez certains sociologues de revendiquer un
rôle d’ingénieur social en participant comme experts aux organes politiques de décision, allant ainsi à la rencontre du
pouvoir politique. En France, on assiste ainsi à une prolifération de "commissions" de chercheurs en sciences humaines
et de rapports sur l’éducation, l’informatique ou le développement des nouvelles technologies de communication. (...)

Et puisqu’il est question de fonctionnaires, on doit rappeler ici que Paul Lazarsfeld, l’un des "pères fondateurs", avec
Lasswell, Lewin et Hovland, de la "science des média" nommait lui-même recherche "administratrive" les études
contractuelles réalisées au sein du Bureau of Applied Social Research qu’il dirigeait à l’Université de Columbia à New-
York, véritable entreprise dont la productivité reposait sur des principes d’organisation dont les modèles idéaux n’étaient
autres que l’"entreprise commerciale, le parti politique et l’armée : des commandes bien précises, des relations
hiérarchiques, une division du travail poussée à l’extrême et, corrélativement, une spécialisation des membres de
l’équipe (qui) caractérisent ce modèle d’organisation". (...)
Parlant de la Nouvelle Classe que constituent les intellectuels et l’intelligentsia technicienne, Alvin Gouldner écrivait
qu’à la différence de la classe dominante et des politiciens, elle ne dispose ni des moyens économiques, ni des moyens
institutionnels d’agir pour la défense de ses intérêts propres. Elle ne peut que tenter de persuader que ceux-ci coïncident
avec l’intérêt général. Le mode d’influence caractéristique de cette Nouvelle Classe est donc la communication,
l’écriture et la parole. Ses intérêts politiques et économiques dépendent ainsi uniquement de la continuité de son accès
aux média, de la garantie formelle de son droit de publier et de parler. La rhétorique est le moyen fondamental de ses
fins. En d’autres termes, l’existence même de cette nouvelle classe est liée à la persuasion, à ses techniques et aux
technologies qui permettent de l’exercer. (...)

Ainsi, la production de masse, la publicité ont multiplié les sociologues, les "techniciens-psychologues", les
statisticiens, les artistes et inventeurs d’idées publicitaires. Ceci explique en particulier la mainmise croissante de la
classe dominante sur l’université, les pressions qu’elle exerce sur celle-ci pour qu’elle abandonne l’humanisme au profit
de disciplines spécialisées, pourvoyeuses de "fonctionnaires des superstructures " (Gramsci). »
Mais aussi sur les médias pour dire à "l’peuple" des lumières dans la gueule du prolo c’qui doit savoir, comm’ y disent
les présentateurs d’la télé d’not’ président : « Voilà ce qu’il nous faut retenir de l’actualité du monde aujourd’hui ». Pour
faire eux aussi comm’ les américains maîtres du monde : « Ainsi, le producteur du journal télévisé du soir de la chaîne
A.B.C. définit en ces termes son travail : "Il s’agit d’informer les gens de ce que nous croyons qu’ils doivent savoir : le
monde est-il en sûreté ? Leur maison est-elle en sûreté ?" qu’y cite m’sieur Spitz, qu’y cite l’pote Paul Beaud.

Un des rôles essentiels des média dans cette période a été de substituer à la rhétorique et au vocabulaire des
affrontements idéologiques du champ politique traditionnel une autre rhétorique et un autre vocabulaire, les catégories
préalables à toute discussion sur la gestion rationnelle du progrès économique et social. Le pouvoir des média est celui
dont dispose à travers eux le pouvoir social moins de sermonner que d’imposer les termes dans lesquels toute question
qui lui est posée doit lui être posée. (...) ... puisque son enjeu est la rationalisation de la domination, non le triomphe de
la raison et la transparence du débat sur la société. (...)
L’ultime pas à franchir était le remplacement du politicien par le journaliste. C’est aujourd’hui chose faite depuis peu,
les journalistes de la presse, de la radio et de la télévision françaises ont levé ce dernier pseudo-tabou déontologique et
parlent entre eux de politique, devant caméras et micros, en dissimulant leurs attaches partisanes derrière ce consensus
qui fait de la politique un domaine dont il est maintenant possible de parler professionnellement : un domaine technique.
Ce consensus explique sans doute que les professionnels de l’information puissent sans difficulté passer d’une
entreprise à l’autre, en dépit de ce qui les sépare politiquement. »

(à suivre...)

Chomdu 22

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