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C.BATTISTI:c’est ma parole de citoyen qu’on a trahi (D.Pennac)

Publie le giovedì 26 febbraio 2004 par Open-Publishing

Cesare Battisti " C’est ma parole de citoyen qu’on trahit " Daniel Pennac
L’écrivain Daniel Pennac nous donne les raisons de son soutien à Cesare Battisti

Qu’avez-vous ressenti à l’annonce de l’incarcération de Cesare Battisti en vue de son extradition ?

Daniel Pennac. De la honte. Comme si c’était ma parole de citoyen qu’on trahissait. Après tout, Cesare Battisti et les autres réfugiés italiens sont " nos " protégés, pas ceux d’un gouvernement particulier. La parole donnée est celle de notre pays. Elle est garantie par deux présidents successifs, dont le deuxième, rappelez-vous, a bénéficié, par accident électoral, des mêmes voix que le premier. Eh bien voilà, les voix sont prises et la parole trahie.

Que pensez-vous de l’attitude du gouvernement français et de l’acharnement de la justice italienne ?

Daniel Pennac. La question qui se pose immédiatement est celle de l’enjeu. En échange de quoi, cette trahison ? Ce n’est évidemment pas une affaire de " justice ". C’est un troc. Battisti contre quoi ? Pour ce qui est de la justice italienne, il faut rappeler que les Italiens n’ont pas voté l’amnistie sur ces " années de plomb ". De ce fait, le terme " terroriste " conserve ad vitam aeternam sa puissance hypnotique sur l’opinion, qu’il s’applique à Battisti ou à tous les terroristes potentiels contre qui les gouvernements européens se mobilisent depuis le 11 septembre. De sorte que Berlusconi peut se vanter devant son opinion publique d’avoir arrêté un dangereux " terroriste " en récupérant un homme qui n’a plus rien à voir avec le Battisti d’il y a trente ans. Peut-être pense-t-il que c’est payant, en cette période électorale qui ne s’annonce pas si bonne que ça pour lui.

Pensez vous que le statut d’écrivain de Cesare Battisti soit un facteur qui compte dans le traitement qu’il subit ?

Daniel Pennac. Je ne crois pas. Je crois surtout que Battisti était facile à attraper. Et pour cause, puisque depuis vingt-cinq ans nous lui garantissions sa sécurité. Son statut d’écrivain a permis de mobiliser un grand nombre de soutiens, mobilisation qu’on doit à la vive réaction de Claude Mesplède surtout, qui est l’ange gardien de toutes les plumes noires.

Y a-t-il une dimension particulière due au fait qu’il écrit des romans noirs ?

Daniel Pennac. Je ne sais pas. Je n’ai encore lu aucun roman de Battisti. Mais, dans la pratique de la mauvaise foi, tout est possible. On peut très bien imaginer qu’un crétin mal intentionné établisse un rapport artificiel entre terrorisme et roman noir. Il faut lire l’excellent essai de Pierre Lepape le Pays de la littérature, aux Éditions du Seuil, pour savoir quel écot les écrivains ont toujours payé aux contingences politiques dans notre pays. Et on ne s’est jamais embarrassé d’arguments logiques pour les jeter en prison.

Comment vivez-vous la réaction des écrivains et du public ? Sont-elles à la hauteur de l’enjeu ? Êtes-vous optimiste ?

Daniel Pennac. À travers la défense de Battisti, c’est aussi et surtout le sort des autres réfugiés italiens qui préoccupe. Je ne serai optimiste que lorsque les Italiens décideront d’amnistier une bonne fois les délits et crimes politiques commis dans les années soixante-dix. Les condamnés de la Commune de Paris ont été amnistiés neuf ans à peine après les faits. Et il a fallu bien peu d’années après la guerre d’Algérie pour amnistier les gens de l’OAS. Que ça nous plaise ou non, la paix sociale est à ce prix. En s’acharnant aujourd’hui encore sur les jeunes gens des années de plomb, le gouvernement italien entretient les conditions du désespoir qui les avait jetés dans la rue. Il serait de l’honneur du gouvernement français de pousser les autorités italiennes à voter une loi d’amnistie. L’amnistie n’est pas l’amnésie, elle est la condition nécessaire à une société pour écrire sereinement son histoire.

Entretien réalisé par Alain Nicolas.

http://www.humanite.fr/journal/2004-02-26/2004-02-26-388861