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18 mars 1871 ! Raconter un fantastique espoir

Publie le dimanche 18 mars 2007 par Open-Publishing
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voir : Entretien : La "réjouissante" Commune de Tardi (video)

de Jean Vautrin, écrivain

J’ai porté le Cri du peuple dans mon ventre d’écrivain pendant trois ans. C’est dire assez si ce livre me tient à cœur.

J’ai voulu donner, à rebours des modes et des tendances de nombrils, un grand roman populaire aux éclairages violents et faire revivre le Paris de la Commune, ses crimes, ses joies, ses exactions, ses excès, ses amours, ses énergies refoulées.

J’ai voulu raconter l’émergence d’un fantastique espoir de justice sociale, aller au plus près de la fraternité des hommes et parler des communards avec le parti pris libertaire qui est le sort que partage Jacques Tardi.

J’ai voulu ramasser la torche jamais éteinte de ceux qui l’ont tenue pendant deux mois et demi seulement et ont éclairé le monde conservateur de leurs utopies généreuses.

J’ai voulu relater, à travers ses impuissances et ses misères, un épisode crucial de notre histoire, un épisode ébréché, "oublié" dans les manuels, ou tout simplement passé sous le boisseau des pudeurs et des dénigrements des héritiers de Monsieur Thiers.

J’ai voulu embarquer le lecteur dans le dédale des rues du 18 mars 1871 et le faire circuler dans un Paris mystérieux comme celui de Victor Hugo, social comme celui d’Eugène Sue, familier comme celui de Léo Malet et grouillant comme le Londres de Dickens.

J’ai voulu que le lecteur entende parler le pantruchois du petit peuple, qu’il côtoie les biffins, les chourineurs et les apaches du canal de l’Ourcq aussi commodément que les banquiers, les restaurateurs ou les grands acteurs de l’Internationale ouvrière.

J’ai voulu qu’il déserte avec les lignards, qu’il défende les barricades avec la Garde nationale ou les Garibaldiens, qu’il se fasse fusiller avec les généraux félons, qu’il chante Mon petit Riquiqui , Fatma la danseuse ou la Marseillaise et qu’il tremble au vert langage des pétroleuses.
Grand travail !

Mais plus que tout, une fois écrit le livre, comme un prolongement nécessaire à son épanouissement, j’ai tôt souhaité que le romanesque donne sans façon le bras à l’image.

J’ai tôt souhaité que la grande histoire recule au profit de la familiarité des personnages.

J’ai rêvé que l’architecture de Paris, que la simplicité des gens de la rue, leur joie de vivre au moindre prétexte des événements ou de la fête, que la fraternité sans faux-semblants du petit peuple, que le panache qu’il avait mis à mourir pour son rêve, que l’énergie violente qu’il avait déployée pour façonner les contours d’un monde meilleur et plus égalitaire, surgiraient un jour, à la portée de tous, nés de la plume d’un grand dessinateur et qu’ainsi matérialisés aux yeux des enfants, des adultes, du plus grand nombre - mis en scène, cadrés, interprétés par un démiurge ombrageux et talentueux (qu’il ne faudrait surtout pas bousculer) - Fil de Fer, Caracole, Edmond Trocard, le commissaire Mespluchet et la belle Caf Conc’ rencontreraient enfin Louise Michel, Courbet et Jules Vallès au rendez-vous de l’épopée.

Ainsi allais-je en ces dispositions d’esprit, mois après semaines, têtu comme un âne bâté, et m’abreuvais-je en attendant de bonnes lampées de vins de graves ou de médoc, et de l’espoir qu’un jour mes personnages seraient incarnés.

Si bien que lorsque Jacques Tardi a commencé à taquiner du bout du rapido la tronche d’Horace Grondin et la moustache de Tarpagnan, quand, à main levée, il a tracé les attitudes de quelques femmes du peuple et le minois de la Pucci, j’ai retenu mon souffle.

Un peu plus tard (ne me demandez pas combien de siècles je suis resté en apnée), il a émis l’intention d’adapter et de dessiner le projet, et c’est seulement tandis qu’abasourdi de tant de bonheur, je lui disais mon enthousiasme, que j’ai réalisé mon crime : j’avais échafaudé depuis belle lurette, à mon propre insu, le plan selon lequel ce serait lui, personne d’autre, à qui reviendrait le fantastique travail de donner une forme à la tourbe de mes rêves.

Ainsi savais-je depuis la parution du Cri du Peuple, que Jacques était l’homme providentiel, le regard irremplaçable, et que lui, mon ami, mon frère, diligenté sans nul doute par les fantômes de Lissagaray et de quelques communards de l’au-delà, allait mieux que quiconque donner évidence, universalité, vie et force et gouaille et courage et dignité, au désespoir des jours bernés ou à la rage de vivre de ceux qui avaient trouvé leur destin au bout des barricades. Lui seul était capable de réapprendre le nom des rues, le mode de vie, la topographie, le vocabulaire de ceux qui « eurent de la foi jusqu’à en mourir ».

Lui seul saurait donner assez de chair aux êtres et assez de force aux poitrines pour aller au-devant des balles et pousser le cri de la grandeur révolutionnaire qui toujours - et plus que jamais aux époques de renoncement où nous sommes - fera cymbale à la plainte des hommes opprimés.

Quand Jacques a dessiné, j’ai compris qu’il était revenu le temps des cerises. Et j’ai su que mon texte avait rencontré son Daumier. Je répète avec cet ami-là : vive la Commune !

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