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A Jérusalem, le "mur de la honte" s’attaque aux terres chrétiennes

Publie le jeudi 29 avril 2004 par Open-Publishing

C’est une atteinte au "concordat entre le Vatican et Israël", selon le Père Ghilardi
Jérusalem de notre envoyé spécial
Pour Helmut, le gardien de l’hospice Notre-Dame-des-douleurs, "le soleil se lève désormais à onze
heures".

C’est seulement à cette heure-là qu’il franchit le sommet des 8 mètres de mur que les
Israéliens ont planté juste de l’autre côté de la route, en face du portail d’entrée de cet
établissement religieux situé aux confins de Jérusalem, de l’autre côté du mont des Oliviers.

De son bureau, Soeur Marie-Dominique Croyal ne voit plus que ces immenses panneaux de béton gris.
Et ce ne sont pas les inscriptions vengeresses ou humoristiques tracées sur les parois ("Du ghetto
de Varsovie au ghetto d’Abou Dis" ; "Faites l’amour pas des murs" ; "Mur de guerre + honte = mur
des lamentations") qui lui redonnent le sourire.

Pour la supérieure de Notre-Dame-des-douleurs "ce
mur est une catastrophe, car les familles de -ses- cinquante pensionnaires, des personnes âgées,
habitent de l’autre côté ainsi que tous les employés. Certains n’ont pas de laissez-passer, alors
ils ne pourront plus travailler".

Le cauchemar a commencé le 11 janvier. Sans prévenir, les engins de travaux publics sont venus
mettre en place ce que les Palestiniens appellent "le mur de l’apartheid". Un long tronçon a été
édifié, mais, depuis, dit Soeur Marie-Dominique, "on ne peut plus aller faire les courses à Béthanie
et les Palestiniens passent par notre propriété pour se rendre à Jérusalem. Ils sont pourchassés
par les soldats, qui s’introduisent chez nous et tirent des grenades lacrymogènes.
Les gens sont
traqués.

On ferme les yeux. Que voulez-vous dire ! La vie est déjà tellement difficile pour eux. On
n’arrête pas de les humilier. On les aligne le long du mur en les obligeant à regarder le soleil.
On les fait se déshabiller et on nettoie les jeeps avec leurs vêtements avant de les leur rendre.
On ne peut rien dire, rien faire. On ne sait rien. On ne sait même pas s’il y aura une porte dans
le mur. C’est clair, on veut empêcher toute circulation et vider Jérusalem-Est".
Soeur Marie-Dominique est écoeurée et se demande comment son hospice va pouvoir fonctionner quand
le mur sera terminé. De l’autre côté, il n’y a pas de centres de soins ni d’hôpitaux.

Pour le
moment, seuls des tronçons de mur se sont dressés sur les collines. La vie et le trafic sont
totalement désorganisés. Il faut faire d’immenses détours à pied. Des habitants ont été expulsés de leurs
maisons situées en haut des collines.
Le mur se met en place inexorablement à l’est de Jérusalem et fera la jonction avec celui édifié
autour de Bethléem pour, officiellement, assurer la sécurité des Israéliens. Mais, au pied du mont
des Oliviers, le tracé empiète sur les propriétés religieuses qui se succèdent sur le versant
oriental.

Si le terrain de Notre-Dame-des-douleurs n’est pas touché, ceux des frères passionistes, des
franciscains, des orthodoxes, des soeurs de la charité sont tous plus ou moins rognés pour laisser
passer "le mur de la honte" comme l’appelle le Père Claudio Ghilardi.
Ce frère passioniste ne décolère pas depuis que, le 6 décembre 2003, en pleine nuit, les
bulldozers ont défoncé le mur d’enceinte sans prévenir, "au mépris, dit-il, du concordat entre le Vatican
et Israël et des plus élémentaires règles de respect envers un lieu sacré". Depuis lors, rien n’a
bougé, car le nonce apostolique, Mgr Pietro Sambi, a protesté officiellement, et des plaintes ont
été déposées.

BALAFRE GRISE

"Vous voyez cette école des soeurs de la Nigrizia, elle va être séparée de nous,s’emporte cet
Italien. Notre communauté est coupée en deux. Et ce terrain, c’est une zone archéologique. Il y a
dix-sept citernes et de nombreuses sépultures de premiers chrétiens. Regardez, quatre ont été mises au
jour. C’est un délit contre l’humanité." Il montre les morceaux de poteries, les restes d’un mur
aussi vieux que ceux de Jéricho, une borne de délimitation datant des Anglais. "En plus,
ajoute-t-il, les Israéliens nous reprochent de laisser passer les Palestiniens par notre propriété.

C’est
illogique et scandaleux, car on leur dénie le droit de se soigner, d’étudier et de venir prier dans
nos églises. Deux mille fidèles se trouvent de l’autre côté."
Youssef Radouane habite juste en contrebas. Sa maison est pratiquement collée au check-point. Seul
un passage de 45 cm a été aménagé. Désormais, il faut faire 17 km en voiture pour rejoindre
Jérusalem, alors qu’il en est à la porte. Chez les filles de la charité de Saint-Vincent-de-Paul, tout
le fond de la propriété est désormais barré par le mur. "Que voulez-vous que l’on fasse. On ferme
les yeux sur le panorama, dit la supérieure Soeur Joséphine. Un jour le mur disparaîtra.

Le Bon
Dieu ne peut pas permettre cela. Tant de misère est insupportable. Sharon finira bien par s’en aller.
Alors on en vendra les morceaux, comme pour le mur de Berlin." Soeur Loudy pleure sur son potager
anéanti, sur ses citronniers, ses oliviers et tous ses arbres arrachés pour laisser la place à une
route poussiéreuse et une barrière qui fend le ciel. "Ils nous ont dit qu’ils feront une porte. Il
faudra donc que je demande la clé, et à qui ?, pour aller chercher des figues sur mon figuier de
l’autre côté, maintenant." Les soeurs dirigent un orphelinat et une colonie de vacances et se
demandent comment elles feront avec les familles et les employés, qui sont tous de l’autre côté.

Chez les franciscains, d’après le Père Ricardo, plus de 1 hectare a été confisqué. Un peu moins
chez les orthodoxes, dont la vue sur le désert de Judée jusqu’à la mer Morte est gâchée par cette
balafre grise qui court sur le terrain. "Souvenez-vous d’une chose, dit le père Innokentios, le
Moyen-Orient est la terre de l’inattendu. Alors le mur, comme tous les murs, ne peut qu’être détruit."
En attendant, sa construction continue à grands pas.

http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-362915,0.html