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Aux Etats-Unis, la Réserve Fédérale peut-elle faire faillite ?

Publie le mardi 16 décembre 2008 par Open-Publishing

Dans la tempête que nous traversons, il existe des institutions financières réputées insubmersibles : les banques centrales. Quand tout s’écroule, elles sont là, ouvrant grand le robinet des liquidités pour éviter que le système bancaire ne périclite. Elles ont ce pouvoir régalien d’imprimer la monnaie de manière illimitée, donnant l’illusion que leur richesse l’est tout autant.

Il n’en est rien. De même que les lois de la gravité s’appliquent également aux puissants, les banques centrales ne peuvent ignorer celles de la comptabilité. Elles aussi ont un bilan qui fait donc apparaître une situation nette - c’est-à-dire un solde actif-passif - plus ou moins favorable. Or, face au tsunami financier, les banques centrales ont utilisé leurs bilans comme des digues pour tenter d’enrayer la montée des risques et des pertes. Elles l’ont fait à coups de centaines de milliards de dollars et, à l’heure des comptes, l’impact sur leurs bilans est colossal. D’où l’interrogation : si les banques centrales étaient des entreprises « normales », seraient-elles aujourd’hui en faillite ?

Une seule grande banque centrale publie ses comptes : il s’agit de la Réserve fédérale américaine. Championne de la transparence, elle publie même un bilan actualisé... chaque semaine, ce qui tranche singulièrement avec la Banque centrale européenne (BCE), qui ne publie même pas de comptes annuels.

S’il était besoin de se convaincre de la gravité de la crise financière, les comptes de la Fed en apporteraient une preuve éclatante. En un an, son bilan s’est gonflé de 1 250 milliards de dollars, soit à peu près le double de l’enveloppe prévue par le plan Paulson de sauvetage du système financier. Ou encore une somme voisine de la totalité des fonds propres du système bancaire américain. Ce gonflement donne la mesure des actions engagées par la banque centrale américaine en faveur du système financier : Ben Bernanke, son président, a bel et bien joué un rôle de pompier.

Comment ? La réponse est fournie à la lecture du bilan de la Fed. Pour agir, celle-ci dispose de deux types de ressources. Il y a d’abord, comme pour n’importe quelle banque, ses fonds propres. Mais ils sont faibles : 43 milliards de dollars. Et comme il est rare qu’une banque centrale fasse appel à son actionnaire - l’Etat fédéral dans le cas de la Fed - pour augmenter son capital, ce n’est pas là-dessus qu’elle va jouer le plus pour augmenter ses capacités d’intervention.

Il y a donc surtout, figurant au passif, les billets de banque en circulation (835 milliards de dollars) et des dépôts. Les billets sont inscrits au passif car ils constituent une créance sur la banque centrale donc sur l’Etat. Notons au passage qu’aux Etats-Unis les billets portent la signature du secrétaire au Trésor - le détenteur d’un billet de 1 dollar détient donc clairement une créance sur les Etats-Unis d’Amérique - tandis qu’en Europe, puisqu’il n’existe pas d’Etat européen, ils sont signés par le président de la BCE. La banque centrale, c’est son privilège, a toute latitude pour augmenter la quantité de billets, dans la mesure (mais c’est une autre histoire) où cela ne crée pas trop d’inflation. Voilà pour ses moyens.

La contrepartie de tout cet argent liquide inscrit à son passif, on la retrouve à l’actif du bilan de la banque centrale : y figurent toutes sortes de titres de créance qu’elle a rachetés aux banques pour, littéralement, leur « faire de la monnaie ». Là où l’histoire se corse, c’est que, avec la crise, la Fed a acheté de plus en plus d’actifs aux banques et de moins en moins bonne qualité. Et elle a même tout récemment été beaucoup plus loin en rachetant aussi du « papier commercial », c’est-à-dire des titres émis par des entreprises : elle est devenue non plus la banque des banques, mais la banque de l’économie. Selon les comptes de la Fed au 3 décembre, ces achats totalement nouveaux ont porté sur plus de 300 millions de dollars. C’est modeste, mais ce n’est peut-être qu’un début.

Bref, en multipliant ses interventions, la Fed a donc repris à l’actif de son bilan une très grande quantité d’actifs financiers - les 1 250 milliards de dollars évoqués plus haut - et soulagé d’autant le système bancaire. Que valent vraiment ces actifs ? Que valent des titres de créance sur des banques malades ? Très probablement moins que la valeur pour laquelle ils sont inscrits dans ses comptes. Ainsi, au fur et à mesure que le bilan de la Fed s’est gonflé pendant la crise, il s’est aussi dégradé.

Certes, à la différence d’une banque normale, la Fed ne peut se trouver un jour en cessation de paiements pour la bonne raison qu’elle peut émettre autant de monnaie qu’elle le souhaite. Par hypothèse, elle ne sera donc jamais à court de liquidités. En revanche, elle peut très bien se retrouver avec un bilan déséquilibré et une situation nette négative. Nous y sommes.

Deux signes ne trompent pas. En septembre, quelques jours après la faillite de Lehman Brothers, le Trésor américain a annoncé qu’il allait apporter 40 milliards de dollars à la Fed. Discrètement, son actionnaire la renflouait ! Et, la semaine dernière, le « Wall Street Journal » émettait l’hypothèse que la banque centrale puisse elle-même emprunter de l’argent sur les marchés, ce qui ne s’est jamais fait mais arrangerait bien le Trésor puisque le Congrès a plafonné les montants qu’il peut lui-même emprunter.

La Fed en faillite ? Cela signifierait que le Trésor l’est aussi. Ce n’est pas envisageable. En revanche, il est clair que, avec la crise, la signature qui figure sur les billets de banque américains n’inspire plus tout à fait le même crédit.

Nicolas Barré, directeur délégué de la rédaction des « Echos ».

http://www.lesechos.fr/info/analyses/4809235-la-fed-peut-elle-faire-faillite--.htm