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Benazir Bhutto
On vient d’assassiner Benazir Bhutto comme on a abattu ses deux frères Murtaza et Shahnwaz et pendu son père Ali Bhutto. Tragique destin donc que celui des Bhutto. Il est difficile de dire aujourd’hui à qui profite le crime. On ne saura peut être jamais la vérité. Mais l’histoire mouvementée du Pakistan nous apprend que les américains sont souvent derrière les évènements majeurs de ce pays.
Le Pakistan a été « Conçu à la hâte, mis au monde prématurément par une césarienne de dernière minute » disait Tarik Ali (1). De surcroît, il a été « amputé » du Cachemire toujours disputé à l’Inde et séparé de sa partie orientale le Bangladesh en 1971. Lorsque Ali Bhutto a décidé de doter son pays de la puissance nucléaire pour consolider son indépendance, Henry Kissinger le menaçait de ces mots : « nous pouvons déstabiliser votre gouvernement et faire de votre sujet un horrible exemple » (2). Effectivement son gouvernement, démocratiquement élu, fut renversé par un coup d’Etat militaire et remplacé par la dictature du général Zia avec la bénédiction de Washington. Le père de Benazir fut jugé et exécuté en avril 1979.
Pour durer, la dictature utilisa l’Islam fondamentaliste comme arme pour éliminer toute résistance. Des mouvements violents se réclamant de l’Islam ont pris une importance considérable. Les Etats-Unis laissèrent faire. Dans l’Afghanistan voisin, ils ont même armé et financé des milices pour contrer l’Union Soviétique qui occupait ce pays et pour renverser le pouvoir de Najibullah. Les Talibans (on les appelait à l’époque les Moudjahidins de la liberté !) prennent le pouvoir à Kaboul et installent, au nom de l’Islam, un pouvoir ultraconservateur. La pensée laïque et progressiste a beaucoup souffert (et souffre toujours) de cette nouvelle situation.
Aujourd’hui l’Afghanistan est occupé par les forces de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Le Pakistan est dirigé d’une main de fer par un dictateur arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat en 1999. Il s’agit du général Pervez Mucharraf, le ferme soutien des américains dans la région.
Cette situation contraste avec l’époque où une femme, en l’occurrence Benazir Bhutto, accède, par des élections, au poste de premier ministre dans un pays musulman au grand dam de tous les réactionnaires, conservateurs et autres fondamentalistes. C’était en 1988 et en 1993.
Benazir et Zardari son mari ont été accusés de corruption et de bien d’autres choses. Elle a connu l’exil et son mari la prison. Elle a décidé de revenir au Pakistan malgré les menaces qui pesaient sur sa propre vie. Elle a échappé par miracle à un attentat qui a fait 140 morts et plus de 400 blessés le 18 octobre 2007. C’était une femme déterminée et courageuse.
Mais Benazir n’a pas fait grand-chose pour les plus démunis des villes et des campagnes durant les années où elle était au pouvoir. Elle a laissé l’élite piller le pays. La corruption, comme une pieuvre, continuait à étouffer par ses tentacules tous les secteurs vitaux de l’économie pakistanaise. La misère reste, hélas, le lot quotidien de l’immense majorité de la population.
Toutefois, Benazir n’est pas la seule responsable de ce chaos dans lequel se trouve aujourd’hui le Pakistan. La réalité du pouvoir se trouve entre les mains de l’armée et de ses généraux soutenus par les Etats-Unis. Les programmes économiques imposés par la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International ont ruiné ce qui restait encore des services publics. Seule compte, pour ces généraux et pour les américains, la « lutte contre le terrorisme ». Cela permet aux dictateurs comme Mucharraf de rester au pouvoir et aux Etats-Unis d’avoir la mainmise sur la région d’autant plus que le Pakistan est une puissance nucléaire et que l’instabilité règne toujours en Afghanistan. Daniel Markey ancien responsable des questions pakistanaises au département d’Etat ne déclarait-il pas que « la tragédie renforce le sentiment dans l’administration Bush qu’il est plus que jamais nécessaire de s’accrocher à Mucharraf » (3). Pascal Boniface, expert attitré, affirmait sans vergogne le 27 décembre sur Antenne 2 « Le président Mucharraf est le dernier rempart contre les islamistes ». On soutient une dictature tout en déclarant vouloir la démocratie !
C’est ce même Mucharraf qui a empêché Benazir de retourner au Pakistan. C’est lui qui a ordonné l’arrestation de milliers de partisans de Benazir. C’est Mucharraf qui a proclamé l’état de siège le 3 novembre 2007 et placé Benazir en résidence surveillée. C’est encore lui qui a mis la main sur la Cour Suprême, muselé les médias et emprisonné les militants des droits de l’Homme…
Le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) vient de décider de porter à sa tête Bilawal, le fils de Benazir, et son mari Zardari. Vont-ils connaître, dans l’indifférence totale des puissances occidentales le même sort tragique que les autres membres de la famille ? Ou bien le peuple pakistanais saura-t-il balayer la dictature et ceux qui la soutiennent ?
Mohamed Belaali
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(1) Tariq Ali « Le choc des intégrismes », Textuel, 2002
(2) Ibid.