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Blanchiment onusien

Publie le mercredi 9 juin 2004 par Open-Publishing
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par MANUEL GRANDJEAN

Mercredi 09 Juin 2004

Hier soir (à 22 h 45, heure suisse), le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité une résolution sur l’avenir de l’Irak. Avec ce texte, le « blanchiment » de la sale guerre des Etats-Unis et de leurs alliés a franchi une étape décisive. Dans les hautes sphères internationales, plus personne n’évoque l’illégalité de l’agression déclenchée le 20 mars 2003 ni les mensonges qui ont servi à masquer ses motifs réels. Pour obtenir cela des autres puissances, les Etats-Unis n’ont dû lâcher qu’une concession mineure : le futur Gouvernement irakien aura théoriquement un droit de regard sur les opérations militaires menées par la « force internationale ». Mais aucun pouvoir réel.

Dans cette grande opération de légitimation, a posteriori, de l’invasion et de l’occupation de l’Irak, il est une priorité : le passage d’un pouvoir fictif aux autochtones. Les coalisés s’efforcent donc de donner une apparence de légitimité aux structures qu’ils mettent en place. La nomination, la semaine dernière, du gouvernement qui devra prendre le relais le premier juillet prochain est révélatrice.

L’émissaire de l’ONU, Ladkhar Brahimi, avait clairement fait savoir qu’il ne souhaitait pas voir dans la nouvelle autorité un seul membre du Conseil transitoire. Celui-ci, nommé par les occupants l’été dernier, avait une image de « collabo » trop marquée pour pouvoir prétendre à la moindre crédibilité auprès de la population irakienne. D’ailleurs, la désignation de la future équipe dirigeante revenait bien à l’ONU, selon un protocole avalisé par Washington et le Conseil intérimaire irakien.
Mais, dans les faits, l’homme de Kofi Annan n’a pu que compter les points et avaliser humblement le résultat.

D’après le récit de l’envoyé spécial du quotidien Libération, l’administrateur US Paul Bremer a convoqué d’urgence les membres du Conseil irakien vendredi 28 mai. Ces derniers sont sortis de la réunion avec le nom du premier ministre désigné, Iyad Allaoui. Un homme lié à la CIA, avec l’appui de laquelle il avait tenté de renverser Saddam Hussein en 1996.

Quelques jours plus tard, lors de la nomination du futur président irakien, la puissance occupante s’est risquée à une autre stratégie. Elle a ouvertement feint une préférence marquée pour Adnan Pachari. Mais celui-ci, disqualifié par cette publicité dont il se serait bien passé, a aussitôt renoncé à la présidence au profit de Ghazi Al-Yaouar. Ce dernier, revendiquant d’entrée une « pleine souveraineté » irakienne, est apparu comme le héraut d’une indépendance irakienne retrouvée.

Mais la réalité est autre. Le correspondant du Monde rapporte les propos laconiques et désabusés de M. Pachari : « Le favori des Américains, ce n’était pas moi mais un autre. » Et le directeur du Centre irakien de recherches et d’études stratégiques, Saadoun Al-Duleimi, de commenter : « Vous vous êtes tous fait « enfumer. » Le cheikh Ghazi Al-Yaouar était le vrai candidat de Washington depuis plusieurs semaines déjà. Tout le jeu a consisté à le présenter comme moins proaméricain que son rival pour le rendre plus présentable. »

Le reste du futur gouvernement est à l’avenant. La plupart des ministres choisis appartiennent déjà au Conseil intérimaire mis en place il y a un an par les Etats-Unis, ils ont fait leurs études aux USA ou en Grande-Bretagne, ils ont des liens avérés avec les gouvernements de ces pays, et, pour la moitié environ, ils possèdent même un passeport de leur pays d’accueil.

La conséquence est claire : le premier juillet prochain, le nouveau Gouvernement irakien n’aura, fondamentalement, guère plus de légitimité que le Conseil provisoire qu’il remplacera et les Etats-Unis guère moins de pouvoir réel. Par un tour de passe-passe, Washington aura cependant effacé son ardoise onusienne et se sera acquis la complicité des gouvernements autrefois les plus hostiles à sa politique prédatrice, tels que ceux de la France de l’Allemagne ou de la Russie.

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