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Brigitte Brami : ma vérité sur la prison

Publie le mercredi 29 mai 2013 par Open-Publishing
4 commentaires

L’expérience de la prison change une vie. Elle a changé la mienne.
J’ai été condamnée en appel, le 8 mars 2008, à quinze mois de prison dont huit fermes – avec inscription au fichier central des personnes recherchées – pour « appels téléphoniques malveillants réitérés » à mon psychanalyste suite à l’abandon brutal, en plein soin, de ma thérapie. Libérée de Fleury-Mérogis au terme d’un séjour de cinq mois, je suis de nouveau rappelée à la barre. Pour éviter une nouvelle condamnation, je pars en cavale. Non pas pour fuir la prison mais je suis animée par ce que j’appelle « mon innocence ontologique », dans l’espoir de susciter une réflexion de fond sur les aberrations de la « justice ».

Je résume avec mes mots cette douloureuse expérience :

« Une fille se rend chez un psychiatre/psychanalyste pour aller mieux. Elle possède un casier judiciaire vierge, et selon la formule consacrée, elle est inconnue des services de police. Quinze ans plus tard, elle a tout perdu, y compris le sentiment d’une quelconque légitimité de vivre. Y compris et surtout la perception d’un monde habitable. Entre temps, elle a connu la prison, la cavale, la séquestration, les agressions et subi toutes les humiliations. De ce fait, et dans ce contexte très particulier, elle est innocente, ontologiquement innocente ; vue de cet angle-là, son innocence ne fait pas l’ombre d’un doute. Pourtant, d’audience en audience, cette Brigitte là, personne n’en a parlé. Personne, même pas ses propres avocats ».

De plus, j’écris encore : « Ce sont les juges qu’il fallait juger : seraient-ils sempiternellement du côté des puissants ? C’est enfin le procès du médecin qu’il fallait faire. »

Je conclus finalement : « La prison ferme ou molle a été un déshonneur, une insulte, une folie. C’est la justice qui a le plus perdu. La justice, et mes défenseurs dans une moindre part, mais moi j’ai moins perdu qu’eux tous, car encore une fois, je le répète : je suis innocente, et quoi que je fasse, et quoi qu’il arrive. »

Mon ouvrage, « La Prison ruinée » est la voix que l’on m’a refusée. Il est offert à la conscience et à la réflexion de chacun, de tous. J’ai en effet publié en février 2011 « La Prison ruinée » chez les éditions devenues célèbres de l’Indignez vous de Stéphane Hessel. Depuis j’ai repris mes droits sur mon livre.
Mon ouvrage connaît, dès son premier tirage, un succès immédiat de librairie - 4111 exemplaires vendus sans retour dans les cinq premiers mois -, et cela uniquement grâce au « bouche à oreille ».

Mon parcours est atypique : atteinte d’une maladie rare dite « orpheline », douloureuse et génétique, je reste jusqu’à l’âge de 12 ans alitée et solitaire ; la médecine est persuadée de ma mort imminente.

Ma scolarité est ainsi très contrariée, mais je publie cependant avant l’âge de 20 ans un recueil de poésies : « La Lune verte », aujourd’hui épuisé. Dès les premières rémissions, je reprends mes études que je réussis brillamment et qui me mènent à l’équivalent du Master 2 (anciennement : D.E.A.) en « arts du spectacle mention théâtre », ainsi qu’à une thèse de doctorat en « littérature et civilisation française » consacrée à Jean GENET, dont je suis devenue l’une des spécialistes.

Je deviens alors la première assistante - en charge de collecter des documents iconographiques - de la commissaire de l’exposition : « Jean Genet et le Monde Arabe », organisée par l’ambassade de France au Maroc, et qui « tournera » dans tout le Maghreb.

« La Prison ruinée » n’est pas seulement l’expérience du milieu carcéral que j’ai vécu mais l’ouvrage propose, dans un style saisissant qui se place dans la filiation de Jean Genet, un texte qui jaillit magnifiquement.

Nous sommes à Fleury-Mérogis, le plus grand centre pénitentiaire européen, dans la banlieue sud de Paris, et une femme, détenue, nous parle d’une société inversée où les vraies valeurs - d’amour, de solidarité, de jouissance, de confiance, de joie - se trouveraient et se réaliseraient de l’autre côté des barreaux, en prison. La prison, oui, comme révélateur de l’essentiel humain, un monde ritualisé de l’échange sans argent où les travailleuses ne sont plus dépossédées de leur force productive, où le corps et le désir brûlent de nouveau et où, le dimanche, à la messe, " des ferventes à la beauté noire, allumée " libèrent Dieu pour le rendre à sa vérité insurrectionnelle. (Source : La Prison ruinée. Texte de la 4ième de couverture écrit par Les Editions Indigène Montpellier 2011).

Plusieurs documentaires dont un sur l’artiste et son travail ont été réalisés et sont visibles en accès libres. Les deux les plus significatifs sont :

 La Prison ruinée au Café ANNECOM : Conférence-débat organisé par Anne-Marie Engler, dans le cadre de ses cafés ANNECOM. Au GAI MOULIN. Brigitte Brami répond aux questions, modérateur : l’avocate Maître Isabelle Coutant-Peyre.

 Brigitte Brami par Brigitte SY : de Brigitte SY, avec Brigitte Brami : Paroles vivantes et parler franc, haut en couleurs, ce film -complémentaire et intégrant des extraits lus par Brigitte SY de La Prison ruinée - dit des choses simples mais inouïes sur la prison, les milieux interlopes parisiens, l’homosexualité, la prostitution… Une réalité rarement décrite avec telle nudité et intensité.

D’autres vidéos beaucoup plus courtes sont également accessibles librement sur la toile : Intervention de Brigitte Brami, Excusez-moi je suis une femme libre, etc.

Ma position, ma vérité sur la problématique carcérale est la suivante :

Puisque cette dernière semble aux premiers abords un peu tristounette, je voudrais commencer par l’anecdote qui suit – 100% véridique promis – et non dénuée d’une certaine profondeur réflexive :

Chez le docteur :
Moi : docteur, docteur, est-ce qu’on a le droit d’aller chez le médecin quand on est en cavale ?

Lui : bien entendu quelle question !

Moi : et à l’hôpital ?

LUI : évidemment !

Moi : et au resto ?

Lui : Mais oui enfin ! Pourquoi est-ce qu’on n’aurait pas le droit d’aller diner au restaurant quand on est en fuite ?

Moi : et même payer par CB ?

Lui : on prend certains risques, mais pourquoi pas ?

Moi : et les manifs, on a le droit de s’y rendre quand on est en cavale ?

Lui : oui, je n’y vois pas d’inconvénient, il faut s’y montrer discret face aux photographes et caméramans.

Moi : Et assister à des colloques, écrire, sortir son chien aussi ? Et les scandales, vous n’allez pas aussi me dire que c’est possible en cavale ?

Lui : oui, probablement, le danger tient à l’éventuelle venue de la police, en même temps les policiers n’ont pas votre photo collée à l’intérieur de leur casquette…

Et moi : mais alors la vie est belle, je ne savais pas moi qu’on avait le droit de faire tous ces trucs là !!! De quoi au juste n’a-t-on pas le droit de faire docteur quand on est en cavale ?

Lui : une seule chose : quand vous êtes en fuite, vous n’avez pas le droit de vous faire attraper... Ce n’est pas joli ???

La Prison ruinée est un récit au style poétique et aux lignes dont « j’ai volé les images en les mettant à l’abri dans le désert » (GENET) ; il est libre, inclassable et fou et il passe à l’allure fulgurante d’une comète ou d’un météorite en évitant « par le fruit d’un hasard objectif » (BRETON) de justesse la Terre.

Repousser les murs : « Tailler une pierre en forme de pierre » (Jean GENET), n’est-ce pas la définition de la littérature ? J’ai voulu changer mon destin carcéral et j’y ai réussi non par miracle mais par travail, déjà, à peine serrée entre les murs de ma cellule, ma première pensée n’a pas été de la fuir mais au contraire de l’écrire...

Les débats sur la prison : Médiatiques et trop nombreux, Ils ne sont à l’heure actuels que des refuges à la paresse de la pensée ; débats qui consistent depuis une quarantaine d’années à confronter artificiellement les tout à l’écrou et les abolitionnistes. Or, de ces débats là, il n’y est non seulement jamais sorti grand-chose de pertinent mais surtout on n’en sort pas ; comme si ces derniers encageaient leurs participants comme la prison auxquelles ils sont sensés trouver des solutions, ou mieux encore, en ouvrir les portes. Le discours misérabiliste des abolitionnistes me prive de tous les bonheurs que j’ai pourtant vécus à l’intérieur des murs ; il me réduit à mon enfermement, comme si l’air libre était la seule respiration qui vaille. Et surtout comme si le dehors, c’était la liberté. Et si moi je suis en dehors du dehors, ou suis-je ? Et comment puis-je faire pour sortir et recouvrer la dite liberté ?
Le discours répressif, lui, m’enchaîne à des lois souvent déloyales, il me contraint surtout à l’ordre aveugle des Codes civils, pénals, à des articles, des alinéas ; ces signes typographiques à en donner le tournis qui sont en dehors de la vraie vie qui, on le sait grâce à Rimbaud, est ailleurs.
Le Droit me réduit en effet à une morale de dossiers, à celle des lignes qui deviennent floues à force de les regarder, nous montrant ainsi le caractère fragile, relatif, voire fallacieux de ces bibles pointilleuses animées par aucun souffle.

De l’audience de justice : Une audience est par excellence un abus de pouvoir au pis ; une incompréhension, au mieux. Quelle est en effet cette étrange distribution, non de prix mais de peine, qui réunit des sauvages habillés en magistrats qui jugent des sauvages habillés survêtement à capuche ? Il s’agissait de ne pas tomber dans le piège de la dialectique du pouvoir et dans celle du contre-pouvoir. S’y faufiler, s’y arrêter, oui mais ne pas s’y installer.

De la prison comme épiphénomène : et l’incarcération n’est-elle pas une série de catastrophes administratives à l’instar de la vie qui cesse suite à une série de catastrophes cellulaires ? Et si la prison n’était qu’un épiphénomène, la forme matérielle d’une monstruosité qu’est le jugement ? J’affirme ici que juger est un acte fou. Et je demande aux détenu(e)s de nous apprendre à vivre, nous femmes et hommes du dehors…

Messages

  • ""Je résume avec mes mots cette douloureuse expérience :

    « Une fille se rend chez un psychiatre/psychanalyste pour aller mieux. Elle possède un casier judiciaire vierge, et selon la formule consacrée, elle est inconnue des services de police. Quinze ans plus tard, elle a tout perdu, y compris le sentiment d’une quelconque légitimité de vivre.
    ""
    Si on commençait par ne pas présenter la psychanalyse comme science ,on éviterait bien des désastres.
    Toujours se rappeler qu’une étude de l’INSERM reléguant la psychanalyse bonne derniére dans l’éfficacité des traitements sur une douzaine de pathologies,fut interdite de publication sur le site suite à la demande de psychanalystes et de personnalité comme BHL !
    Et Douste Blazy ordonna cette censure.

  • Cette femme a énormément de charisme et beaucoup à dire ; la prison lui aurait-elmle donné des ailes ?