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Ce que révèlent les "journaux de guerre afghans"

Publie le mercredi 28 juillet 2010 par Open-Publishing
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de Audrey Fournier

Acteur de premier plan du "whistleblowing" (lancement d’alertes), le site Wikileaks a confié au New York Times, au quotidien britannique The Guardian et à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel une somme de 91 000 documents concernant les combats menés en Afghanistan par la coalition internationale entre 2004 et 2009. La divulgation de ces "fichiers afghans", principalement des rapports militaires internes, est censée, selon Julian Assange, fondateur de Wikileaks, mettre en lumière la guerre dans tous ses aspects, et surtout dans son extrême violence.

Pour certains observateurs, la portée des informations est limitée : les documents ne contiennent aucune révélation fracassante "pour qui s’intéresse un tant soit peu à cette guerre", juge sur son site le bimestriel Mother Jones. Ils présentent toutefois un certain nombre de détails qui n’ont jamais été portés à la connaissance du public et qui permettent de mesurer l’étendue du bourbier qu’est devenu le théâtre d’opérations afghan.

* La "Task Force 373"

Les documents fournis par Wikileaks fournissent de nombreuses informations sur les activités d’une unité secrète, la "Task Force 373". Si l’existence de cette force spéciale était déjà connue, ses activités et ses desseins ne l’étaient pas. Elle aurait été purement et simplement chargée de "capturer ou tuer", sans autre forme de procès, des chefs talibans figurant sur une liste d’environ soixante-dix personnes, connue sous le nom de "JPEL" (Joint prioritised effects list). Entre 2004 et 2009, 4 288 personnes auraient été arrêtées par la Task Force et détenues au sein d’une prison spéciale, la BTIF (Bagram Theatre Internment Facility).

Selon les rapports, les activités de la Task Force se sont intensifiées depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche. Ils mentionnent par ailleurs de nombreuses bavures perpétrées au sein de cette unité : des civils, y compris des enfants, ainsi que des policiers afghans ont fait les frais des combats liés aux missions de la Task Force, et certains meurtres ont été couverts. Des documents portent la mention "à ne pas divulguer aux forces étrangères" ; de fait, la Task Force 373 prend ses ordres directement du Pentagone et agit en dehors du commandement de l’OTAN. Ces révélations pourraient embarrasser Berlin, note Der Spiegel, car une des unités de la Task Force est installée sur une base allemande. Une présence controversée, que la Bundeswehr s’est toujours gardée de commenter.

* Le nombre de victimes civiles sous-estimé

Le cas de la Task Force s’inscrit dans une problématique plus large, mise en exergue par les documents de Wikileaks : l’ampleur du nombre de victimes civiles. La lecture des "journaux de guerre afghans" permet de conclure que ce nombre est largement sous-estimé. Les documents permettent d’évaluer le nombre des victimes civiles à plus de 2 000, principalement lors de bombardements ou de fusillades "en bord de route" – ces incidents qui surviennent lorsque, par crainte des attentats-suicides, des soldats attaquent des voitures, camions, bus ou piétons qui se conduisent de façon "menaçante" ou qui refusent d’obéir aux ordres.

Selon The Guardian, les textes fournis par Wikileaks mentionnent des centaines d’accrochages de ce type (qualifiés, en jargon militaire, de "blue on white", c’est-à-dire "armée contre civils"). Ils donnent notamment l’exemple d’un groupe de soldats français qui, en octobre 2008, avaient tiré sur un bus qui s’approchait un peu trop de leur convoi, blessant huit enfants. Les documents font également état d’incidents entre membres de la coalition ("blue on blue"), mais aussi d’incidents "blue on green" (coalition contre armée afghane).

* L’utilisation de missiles anti-aériens par les talibans

Les documents pointent également la responsabilité des talibans dans l’escalade de la violence en Afghanistan, notamment par leur usage de missiles sol-air sophistiqués. La manipulation de ce type d’arme par les talibans remonterait en fait aux années 80, époque à laquelle la CIA fournissait des missiles anti-aériens aux insurgés pour frapper les hélicoptères et avions de combat soviétiques, mais elle n’avait jamais été portée à la connaissance du public.

La sophistication de ces munitions tranche avec l’arme de base utilisée par les talibans : les dispositifs explosifs improvisés – "improvised explosive device" en anglais (IED) –, utilisés dans un nombre croissant d’attaques. Selon les rapports, 7 155 bombes de ce type ont été mises à feu en 2009, contre 308 en 2004. En cinq ans, les talibans ont posé 16 000 IED, principalement sur des marchés ou dans des rues très fréquentées, faisant au moins 7 000 morts parmi les Afghans.

* L’incontrôlable allié pakistanais

Le rôle ambigu du Pakistan constitue un autre point sensible dénoncé par les documents de Wikileaks. L’information n’est pas nouvelle, mais l’analyse des rapports révèle à quel point la situation est hors de contrôle. Ceux-ci montrent en effet que le Pakistan, qui fait partie des alliés des Etats-Unis, a autorisé certains membres de ses services secrets – InterServices Intelligence (ISI) – à rencontrer des chefs talibans pour fomenter des attaques, y compris des attentats-suicides, contre la coalition. Au moins 180 rapports montrent que l’ISI arme, forme et finance la rébellion talibane depuis au moins 2004 et fournit un appui logistique aux chefs de guerre locaux. L’ISI aurait même fomenté un complot pour exécuter le président afghan, Hamid Karzaï.

Le New York Times et The Guardian s’accordent à dire que ces dossiers ne semblent pas assez solides pour accuser formellement l’ISI et surtout, pour lier de façon certaine l’ISI à Al-Qaida, même si des responsables de l’armée américaine ont formellement évoqué la probabilité de tels faits. Il n’empêche que la mise en lumière de ce double jeu contraste avec le discours du gouvernement pakistanais, lequel, sommé par la Maison Blanche de s’expliquer, nie officiellement toute implication. Cette absence de confiance entre alliés illustre en outre les carences du système de renseignement de l’OTAN, qui n’a su empêcher de nombreux incidents à la frontière pakistano-afghane.

* La guerre des drones

Dernière des grandes conclusions tirées des rapports de Wikileaks : les problèmes posés par l’utilisation de plus en plus fréquente des "tueurs silencieux", ces drones de type Reaper ou Predator utilisés par la coalition pour pourchasser et tuer les talibans. Ces engins sont dirigés depuis un centre de contrôle localisé aux Etats-Unis, dans le Nevada, avec toutes les erreurs que de telles machines impliquent : le département de la défense américain a déjà produit plusieurs rapports faisant état de pannes, de dysfonctionnements du système et d’erreurs humaines dans des proportions alarmantes. Or l’utilisation des drones, capables de voler à 15 000 mètres sans être repérés, est une des solutions tactiques privilégiées par le gouvernement Obama. Depuis son arrivée à la Maison Blanche, il aurait doublé leur nombre.

* Failles de sécurité et position iranienne

D’autres thèmes émergent de l’analyse des rapports et suscitent des interrogations. Ils incluent notamment les failles dans la sécurité des liaisons téléphoniques, le rôle croissant de la CIA dans l’organisation d’embuscades, de raids de nuit et de frappes aériennes, ainsi que le rôle de l’Iran, dont les gardiens de la révolution sont soupçonnés de fournir des explosifs aux attentats-suicides perpétrés sur le sol afghan.

http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2010/07/26/ce-que-revelent-les-journaux-de-guerre-afghans_1392068_3216.html

Messages

  • L’Afghanistan est le théatre d’opérations d’une guerre au finish entre l’Inde et le Pakistan qui se disputent, depuis 1947, l’état du Cachemire.

    Il y a un lien évident entre la victoire des talibans pachtounes, en Afghanistan, et la situation militaire du Jammu-et-Cachemire, occupé par l’armée indienne.

    Depuis l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan, par l’armée américaine et l’OTAN, il y a 15 000 soldats, policiers de l’Indian Tibetan Police Forces, des ingénieurs du génie civil lesquels ont construit une route stratégique de la frontière iranienne à Kandahar, une dizaine de consulats et des centaines d’entreprises indiennes à Kaboul.

    Si les motifs de guerre, en Afghanistan, pour les américains et l’OTAN, sont en dernière analyse, "absurdes, nuisibles et infondés", ils ne le sont pas pour l’Union indienne, en proie à une insurrection terrible au Jammu-et-Cachemire, depuis 1989.

    Cette insurrection, soutenue par le Pakistan, ne peut diminuer d’intensité que si le Pakistan perd sa profondeur stratégique en Afghanistan et ses liens historiques avec les pachtounes.

    (Historiquement, ce sont les pachtounes (Pathans), commandés par d’anciens officiers britanniques de l’armée des Indes qui ont, en 1947, libéré le Cachemire Azad du joug d’un maharadja.)

    Les médias au Pakistan comme BRASSTRACK ne cessent de dénoncer les matériels, les explosifs made in India qui traversent la ligne Durand et équipent des mercenaires et des kamikazes, hostiles à Islamabad.

    Pour le consultant pakistanais, Zaid Hamid Zaman, les fuites de Wikileak focalisées sur le role de l’ISI auprès des talibans qui guerroient contre l’OTAN sont orchestrés par des agents d’influence, proches du RAW (Research and Analyses Wing).

    Cette accusation de double jeu de l’ISI ne tient pas car si le Pakistan soutenait les talibans, l’armée ne leur ferait pas la guerre dans les zones tribales.

    La guerre portée depuis 2001 sur le territoire pakistanais a fait quelque 20 000 morts et des millions de réfugiés !

    Après les attaques de Mumbay, en décembre 2008, Condoleezza RICE, accusait le général à la retraite, Hamid GUL, de collusion avec des groupes comme celui de Guldbudin HEKMATYAR et Laskar-e-Toyba, et demandait son arrestation immédiate.

    Le propos des indiens est de saper le lien entre le Pakistan et les Américains.

    A noter : l’ancien directeur de l’ISI, Hamid GUL, "accusé de collusion avec l’ennemi par Wikileak", est un compagnon de route de la CIA laquelle soutenait les moudjahideen et les talibans pendant la guerre froide ; Hamid GUL fut décoré, à la Chute de Mur de Berlin, de la plus haute médaille "pour services rendus" par le gouvernement allemand.

    On assiste au travers des révélations de Wikileak à une lutte au couteau entre une partie de la nouvelle administration américaine pro-indienne et celle qui a toujours des liens historiques avec le Pakistan, ex-membre de l’OTASE.