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Cindy Sheehan est devenue l’icône du mouvement contre la guerre

Publie le samedi 24 septembre 2005 par Open-Publishing

de Corine Lesnes

Sa voix est désabusée, au bord du gouffre. "Pendant sept mois, je me suis battue toutes les nuits pour ne pas avaler ma boîte de tranquillisants" , explique-t-elle. Son fils Casey, 24 ans, est mort à Sadr City, à Bagdad, le 2 avril 2004. Trois militaires sont venus le lui annoncer.

On lui a dit que son fils était brave et qu’il avait combattu pour la démocratie. "Je n’y croyais déjà pas beaucoup avant, dit-elle. Alors certainement pas après."

Quand elle est allée faire le siège du ranch de George Bush, en août à Crawford, au Texas, elle n’imaginait pas qu’elle allait devenir une icône nationale. "Je voulais seulement parler pour Casey."

En trois semaines, Cindy est devenue la "mom" du mouvement antiguerre. "Et je suis là maintenant, à parler pour Jeff, pour Cody..." Jeff Lucey s’est pendu dans son garage, en rentrant d’Irak. Cody Camacho a pensé plusieurs fois à se suicider. Il avait écrit sa dernière lettre. "Et je vais vous la lire, dit-il à l’auditoire, pour que vous compreniez à quel point je suis un homme brisé."

Cindy Sheehan est à New York, à la cathédrale Saint John the Divine, avec son "Bring them home Tour", un groupe d’opposants à la guerre en Irak. Ils ont traversé 28 Etats. New York est l’une des dernières étapes avant la manifestation de samedi 24 septembre à Washington.

Parmi eux, il y a Carlos Arredondo, un père qui a incendié le véhicule des marines venus l’avertir que son fils Alex, 20 ans, avait été tué. Il a dû être hospitalisé, grièvement brûlé. Il y a Tammara Rosenleaf, dont le mari doit partir en Irak en novembre. Elle explique comment elle l’a vu "fermer son cœur à sa famille et à son épouse" pour devenir "un homme prêt à tuer" . Il y a les absents, les morts de la guerre, plus de 1 900 à ce jour, pour qui on a déposé des bottes et des photos devant l’autel, et pour qui on répéte une prière qui résonne sous les voûtes : "Jamais plus jamais, vous ne devez envoyer nos enfants à la guerre pour des mensonges."

Et il y a Cindy, qui fait une arrivée triomphale, dans la cathédrale. Une entrée de rock star, pas vraiment adaptée à sa tenue, T-shirt et bermuda sans apprêt. Mère de quatre enfants, dont Casey était l’aîné, Cindy Sheehan, 48 ans, a régénéré le mouvement antiguerre. Avec son allure boy-scout, elle lui a donné le visage de l’Amérique moyenne. "Depuis que les gens ont vu Cindy tenir tête à Bush à Crawford, la réponse à nos manifestations est complètement différente, explique Paula Rogovin, une enseignante du New Jersey. Elle est venue au bon moment. Les gens commencent à réaliser que c’est une guerre civile et qu’il y a trop de morts dans les deux pays."

Depuis fin août, le passage du cyclone Katrina a relégué l’Irak au second plan. Mais le mouvement antiguerre espère capitaliser sur les défaillances qu’il a révélées. "Tant qu’il n’y aura pas de justice sociale dans ce pays, ils trouveront des pauvres pour faire leurs guerres", dénonce Al Zappala. Son fils, Sherwood, avait rejoint la Garde nationale pour payer ses études. "Dans les quartiers latinos, les recruteurs arpentent les écoles comme si elles étaient à eux, accuse-t-il. Pourquoi ne les voit-on pas dans les collèges huppés ?"

DOUCEUR ET MÉPRIS

Cindy a pris le micro. Elle parle avec un mélange de douceur et de mépris. Elle explique qu’elle militait déjà contre la guerre depuis un an quand les médias se sont subitement intéressés à elle, en plein mois d’août. "Il faudra qu’on soit 2 millions de manifestants pour que les médias disent qu’on est 100 000." Le mépris s’adresse au président. Quand elle prononce ce nom, George, on sent que "le temps de la révérence est passé", comme a résumé un éditorialiste. "Hé George ! lance-t-elle. Si tu crois vraiment à la liberté et à la démocratie pour les gens en Irak, mets-les en pratique ici, s’il te plaît."

A Crawford, elle a suscité des contre-manifestations. Mi-août, son mari a demandé le divorce. Sa famille est divisée, comme le pays. Les conservateurs ont même trouvé dans sa localité de Vacaville, en Californie, un autre parent de soldat mort en Irak, Joseph Williams. Il manifeste, dans l’autre camp, celui des familles qui estiment que "Cindy ne parle pas pour nous".

Cindy n’a pas l’intention de s’arrêter. Après la mort de Casey, sa fille a composé un poème. "C’est ce qui m’a sauvé la vie", dit-elle. Le texte parlait d’une "nation qu’on endort" pour faire "oublier la douleur" .

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