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Ciudad Juarez et Chihuahua : Fémicide et Impunité

Publie le jeudi 23 juin 2005 par Open-Publishing

Les meurtres de femmes dans la ville de Juarez continuent. Ce sont déjà plus de 400 femmes qui ont été assassinées et plus de 600 autres qui ont disparues depuis 1993. Le climat de violence et d’impunité continue à croître dans l’état de Chihuahua et spécialement dans la ville de Juarez sans que, jusqu’à présent, le gouvernement mexicain n’ai pris des dispositions concrètes pour endiguer cette situation.

Bellaciao s’associe et soutient la journée mondiale de protestation contre le Fémicide et l’Impunité à Ciudad Juarez et Chihuahua.

Le communiqué public du Comité organisateur indique que le gouvernement mexicain n’a pas su écouter les familles des victimes, ni les organisations qui ont dénoncé ces meurtres et que, au contraire, il a méprisé et amoindri l’ampleur de cette tragédie.

“Le gouvernement mexicain continue à montrer son incapacité à garantir la sécurité des femmes. Pire encore, le Président Fox, éloigné de la réalité et sans aucune volonté politique pour arrêter ces crimes, révèle son ignorance et son manque d’intérêt, en assurant que la majorité des cas sont résolus”, indique le communiqué.

Pour cette raison, les organisateurs lance un appel urgent pour que le gouvernement Mexicain remplisse son devoir et s’engage à ce que les instances qu’il a créées, comme la Commission et le Ministère public Spécial pour Ciudad Juarez, disposent de soutien légal pour résoudre réellement les cas.

Le 24 juin 2005 il y aura des manifestations devant les sièges des représentations gouvernementales des états mexicains et devant les ambassades du Mexique dans différents pays.

Les femmes apporteront des chaussures de femme comme offrande aux 427 assassinées et disparues.

Le Collectif Bellaciao

Source : mujereshoy.com
Photo : mujeresdejuarez.org

Ciudad Juárez et Chihuahua : la justice se fait attendre

Par Amnesty International
Lundi 28 février 2005

Le gouverneur de l’État de Chihuahua au Mexique a récemment déclaré que l’attention portée par la communauté internationale à la situation prévalant à Ciudad Juárez nuisait à l’image de la ville. Les intentions qui animent les propos de Reyes Baeza demeurent nébuleuses. Par le passé, de telles déclarations ont eu pour effet de porter -préjudice aux familles et aux organisations non gouvernementales (ONG) locales dans leur quête de justice.

Dire que l’inquiétude internationale, et non ce qui se passe dans la région, met à mal l’image de la ville, c’est faire fausse route. Si Ciudad Juárez pâtit d’une réputation de violence et de brutalité à l’égard des femmes, ce n’est pas en raison de l’intérêt qui lui est témoigné à l’échelon international, mais bien en raison des faits qui s’y déroulent et de l’incapacité des institutions à s’attaquer efficacement à cette réalité.

En effet, depuis 1993, plus de 370 jeunes femmes et filles ont été assassinées dans les villes de Ciudad Juárez et Chihuahua - dont au moins un tiers après avoir subi des violences sexuelles - sans que les autorités ne prennent les mesures qui s’imposaient pour enquêter sur le problème et y remédier.

Grâce aux démarches des familles des victimes et des organisations locales de défense des femmes, conjuguées aux campagnes lancées à l’échelon international par des organisations comme Amnesty International et V-Day, les choses ont commencé à changer. En 2003 et 2004, face à cette pression soutenue, le gouvernement fédéral a enfin accepté de s’impliquer et a pris un ensemble de mesures visant à combattre la violence contre les femmes à Ciudad Juárez - mais malheureusement pas à Chihuahua.

Guadalupe Morfin, militante des droits humains unanimement respectée, a été nommée à la tête d’une commission spéciale chargée de superviser l’intervention fédérale à Ciudad Juárez. Assumant un rôle de premier ordre, le Bureau du commissaire spécial a favorisé les contacts avec les familles des victimes et les organisations de défense des droits humains, et développé des projets destinés à remédier aux problèmes sociaux de fond. La commissaire a aussi mis en évidence l’incapacité structurelle des autorités de l’État ayant permis que soient perpétrés ces meurtres et enlèvements, ainsi que les violences afférentes. Ses pouvoirs s’avèrent toutefois très limités ; elle n’a pas été autorisée à consulter les dossiers où sont consignées les enquêtes menées sur les affaires de meurtre.

D’autre part, un second mécanisme clé a vu le jour, le Bureau Spécial du Procureur Fédéral (Fiscalía Especial), chargé de collaborer avec les procureurs locaux et de mener des enquêtes fédérales sur un nombre très restreint d’affaires. Maria Lopez Urbina, nommée à la tête de ce Bureau, s’est efforcée de systématiser les informations recueillies sur toutes les affaires et de retrouver les femmes portées disparues. En 2004, elle a examiné 150 affaires précédemment instruites par le Bureau du procureur de l’État. Selon ses conclusions, il est probablement fondé d’ouvrir des informations judiciaires ou des enquêtes administratives sur plus de 100 fonctionnaires de l’État de Chihuahua, pour négligence, omission et autres infractions connexes.

Tandis que ces conclusions ont constitué une reconnaissance sans précédent des dysfonctionnements caractérisant les enquêtes initiales, les autorités fédérales insistent sur le fait qu’il n’est pas de leur ressort d’enquêter officiellement sur ces affaires. Celles-ci ont d’ailleurs été renvoyées devant le Bureau du procureur local et les tribunaux de Chihuahua qui ont mené les premières enquêtes entachées d’irrégularités. On ne s’étonnera pas de constater que ce Bureau s’est systématiquement abstenu de mener des investigations adéquates sur ces allégations. Au contraire, les hauts fonctionnaires en charge des enquêtes initiales ont poursuivi Maria Lopez Urbina devant les tribunaux pour diffamation.

Selon les médias locaux, au cours des derniers mois, les juges ont suspendu, à trois reprises au moins, les mandats d’arrêt décernés contre des représentants de l’État. Les charges retenues contre certains fonctionnaires ont été abandonnées, le délai de prescription ayant expiré pour les accusations de négligence et autres infractions moins graves. Du fait du manque de détermination à remédier aux profonds dysfonctionnements du système judiciaire local, il y a peu de chances que les poursuites aboutissent, même lorsqu’a été franchi le premier obstacle consistant à prononcer les mises en accusation.

Les lacunes des données officielles concernant les crimes commis à Chihuahua, notamment l’absence de chiffres précis sur le nombre exact de femmes et jeunes filles enlevées et assassinées, ont suscité des conflits qui éclipsent la quête de justice. Selon la procureure spéciale, moins de 90 affaires se rattachent à des meurtres à caractère sexuel. Cette conclusion est pourtant contestable, puisqu’elle se fonde sur les premières enquêtes déficientes. La procureure a également minimisé les cas de violence au foyer, partie intégrante de la violence à l’égard des femmes qui relève d’une pratique bien établie dans l’État de Chihuahua.

Entré en fonction fin 2004, le gouverneur Reyes Baeza a tout d’abord semblé amorcer une approche plus positive dans le traitement des nouvelles affaires et l’investigation des erreurs du passé. Il a nommé pour la première fois une femme au poste de procureur de l’État de Chihuahua et cette nomination, ainsi que celle d’autres hauts fonctionnaires, a coïncidé avec la suspension de la brigade précédemment chargée d’enquêter sur les meurtres commis à Ciudad Juárez.

Il reste à voir si cette nouvelle équipe pourra lutter contre la corruption qui règne au sein des services de police judiciaire et des bureaux des procureurs. De nombreuses interrogations demeurent quant à une réelle évolution de la situation sans qu’interviennent des changements plus radicaux. Un certain nombre de réformes législatives ont été introduites au niveau des États afin de renforcer les mesures visant à combattre la torture et la violence. Mais, une fois encore, aucun signe ne donne à penser qu’elles seront dûment mises en œuvre.

Les autorités fédérales mexicaines font valoir que plusieurs personnes ont été interpellées dans le cadre des affaires de meurtre et que ces crimes sont résolus. Pourtant, les allégations de torture et d’autres sévices infligés aux suspects présumés et l’idée que certaines condamnations relèvent davantage de la pression politique et internationale que de décisions de justice fondées, font craindre des erreur judiciaires.

Victor Javier García et Gustavo González Meza ont affirmé qu’on les avait torturés dans une maison pour leur arracher des « aveux » concernant le meurtre de huit femmes après qu’ils eurent été placés en détention en novembre 2001. En 2004, Victor Javier García a été condamné à une peine de cinquante années d’emprisonnement en dépit de l’absence de preuves matérielles l’associant à ce crime et bien qu’il soit revenu sur ses « aveux » au motif qu’il avait été torturé. Gustavo González Meza a été retrouvé mort dans sa cellule le 8 février 2003 ; selon les autorités pénitentiaires, il a succombé à une embolie après avoir été opéré d’une hernie.

Miguel David Meza affirme lui aussi avoir « avoué » sous la torture. Il est toujours en détention. En revanche, dans l’affaire Ulises Perzebaland et Cynthia Kiecker, les poursuites ont été abandonnées après qu’ils ont rétracté leurs déclarations extorquées sous la torture et qu’un juge a statué qu’aucun élément de preuve ne subsistait à leur encontre.

Les déficiences font partie intégrante du système : en l’absence d’enquêtes dignes de ce nom, les autorités ont été amenées à recourir à la torture afin d’arracher des « aveux », lorsqu’elles ne disposaient d’aucune preuve. Cette pratique a abouti à l’incarcération de personnes dont l’innocence n’est pas à exclure, ce qui signifie sans doute que les responsables échappent à la justice et sont libres de se livrer à d’autres crimes. Bien que la situation semble avoir quelque peu évolué, en 2004, 18 assassinats ont été signalés à Ciudad Juárez et encore davantage dans la ville de Chihuahua. En 2005, deux femmes ont également été tuées. Une menace très réelle continue de planer sur la population féminine de ces villes.

Ces derniers jours, un suspect a été appréhendé dans le cadre du meurtre d’une jeune fille âgée de dix-sept ans, Sagrario González, assassinée en 1998. Si la portée de cette arrestation reste à déterminer, le Bureau du procureur local tente de s’en attribuer le mérite. Pourtant, comme si souvent à Ciudad Juárez et Chihuahua, ce pas en avant témoigne de la détermination dont a fait preuve la famille de Sagrario González des années durant, afin de venir à bout de la réticence des enquêteurs à poursuivre cette piste.

Il faut de toute urgence que des enquêtes impartiales et indépendantes soient menées tant sur les meurtres que sur les enquêtes initiales. Le gouvernement fédéral doit passer à l’action afin de mettre fin à une situation où ceux qui sont impliqués dans des affaires de négligence, d’omission, de dissimulation et autres infractions se voient parfois confier la responsabilité d’enquêter eux-mêmes ou sont en mesure d’entraver enquêtes et procédures judiciaires. Toute nouvelle investigation se doit d’allier exhaustivité, transparence et indépendance.

Ciudad Juárez pâtit sans nul doute d’un problème d’image, ternie à la fois par les crimes horribles perpétrés dans la région et l’incapacité des institutions à faire en sorte que la justice s’exerce sur les auteurs de manière crédible et juste. L’administration du gouverneur Reyes Baeza et le gouvernement fédéral doivent assumer la responsabilité de cette situation. Le blason de Ciudad Juárez sera redoré lorsque les violences cesseront et que le climat de corruption et de déni laissera place à la justice et à l’équité.

Pour obtenir de plus amples informations, veuillez contacter le Service de presse d’Amnesty International à Londres, au +44 20 7413 5566, ou consulter le site http://www.amnesty.org

Index AI : AMR 41/007/2005