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DE SALO’ AU GOUVERNEMENT, de Francesco Germinario : imaginaire et culture politique de la droite italienne

Publie le jeudi 21 juillet 2005 par Open-Publishing
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de Enrico Campofreda traduit de l’italien par karl&rosa

Il y a "un passé qui ne veut pas passer" et oscille entre le refoulement et la réédition du fascisme qui, épuré de ses moments les plus ignobles, est recyclé par des épigones nostalgiques comme bon Régime. L’essai de l’auteur, centré sur l’examen d’écrits et de théories d’intellectuels de la droite néofasciste ou non, réalise une approche intéressante du phénomène.

Msi : un peu d’histoire

Graciée en juin 1946 par l’amnistie du Garde des Sceaux communiste Palmiro Togliatti, la droite nostalgique et fasciste de Salo’ se retrouva en décembre de cette même année réorganisée dans un parti : le Mouvement Social Italien.

Un parti néofasciste, absolument inconstitutionnel. Mais la Realpolitik, jouée principalement sur la table du Premier ministre De Gasperi, ferma les deux yeux, croyant éviter des revanchismes et en tolérant des sursauts des groupes de choc fascistes et des nostalgies violentes.

Les adhérents du Msi se considérèrent tout de suite comme une force anti-système, même s’ils furent souvent embarqués dans des alliances politiques : avec les monarchistes après le succès du référendum pro république, avec la Démocratie chrétienne dans le gouvernement Tambroni en ’60. L’âme et la fonction anti-communiste du nouveau groupement politique furent bien vues et utilisées pour la sécurité nationale et étrangère : des hommes liés au Msi servirent d’informateurs et d’agents des Services (de renseignement) dans les moments les plus inquiétants du deuxième après-guerre, des vicissitudes du groupe paramilitaire Gladio, financé par l’Otan, aux tentatives de coup d’Etat de ’64 et ’70 et à la "stratégie de la tension".

Cette façon de se mettre en dehors des logiques démocratiques, en méconnaissant le statut antifasciste et les valeurs de la Résistance ancrées dans la Constitution républicaine, auto exclut les néofascistes des alliances et de la gestion de la chose publique, auxquelles participa, au contraire, la droite modérée réunie dans le parti libéral. Mais la présence continue du Movimento Sociale au parlement national (unique parti de l’extrême droite européenne) et son organisation diffuse : syndicale (Cisnal), universitaire (Fuan), lycéenne (Giovane Italia), sportive (Fiamma), en firent un univers organisé dès les années Cinquante.

Le mythe de Salo’ et l’auto marginalisation

Dans l’imaginaire politique du nouveau parti fasciste, les vingt mois de la République Sociale (de septembre 1943 à avril 1945, NdT) ont pesé d’un poids plus lourd que les vingt ans de Régime. A partir de cette position, se sont gonflées les légendes de l’isolement guerrier et de l’attitude à l’auto marginalisation de ceux qui choisirent de se tenir à l’écart d’une culture, en n’en partageant pas les valeurs démocratiques. Tout cela est clairement en contradiction avec l’attitude de victiime adoptée par certains intellectuels de ce bord surtout dans les années ’90, paradoxalement quand le nouveau cadre politique leur a ouvert de grands espaces dans les médias : télévision, radio, et beaucoup de presse écrite.

Au rapport difficile avec la modernité, typique de l’extrême droite italienne, s’est ajouté un mélange de positions antithétiques et illogiques : défenseurs de la socialisation et de la propriété privée, bourgeois et antibourgeois, atlantistes et antiatlantistes, catholiques traditionalistes et non catholiques. Une véritable Babel politico culturelle, qui n’est pas le signe d’une dialectique pluraliste, mais plutôt de navigations à vue démagogiques, où tout appui peut être bon pour un populisme qui, en se vantant de se situer "au-delà de la droite et de la gauche", suit le chemin dangereux et éversif déjà emprunté par les mouvements fasciste et nazi.

Des idées pour la réaction

Alors qu’il développe sa rhétorique patriotarde en revendiquant l’italianité aussi bien de Trieste que de Bolzano et du Tyrol du sud (sic !), le néofascisme intellectuel se jette contre l’Italie antifasciste de la littérature imprégnée du communisme de Calvino et de la dépravation dégénèrée de Moravia et de Pasolini. Sans parler des réalisateurs libertins, immatures, factieux comme le Fellini jugé ainsi par le philosophe Plebe. Le théoricien de la droite radicale Adriano Romualdi exclut Visconti, De Sica, Germi, Antonioni de la liste des réalisateurs d’ouvrages appréciables. Seulement certains travaux du Juif Eisenstein sont réévalués sur la base de lectures particulières de films comme "Les Nibelungen" ou "Ivan le terrible" dont est tiré le mythe de l’Allemagne nazie ou le "mysticisme nationaliste".

En somme, selon les intellectuels élevés dans les rangs du Msi, la culture du 20ème siècle s’arrête à la triade D’Annunzio - Pirandello - Marinetti, avec le rajout de la pensée philosophique d’Evola. Et on repêche comme auteurs de référence Drieu de la Rochelle, Céline, Nietzsche naturellement, Tolkien, Pound, Maurras.

Sur le front historique, on propose de modernes racistes comme De Gobineau, Vacher de Lapouge, l’antisémite Chamberlain, Burke et Splenger. Et si on lit de ce dernier "ce que nous avons dans le sang de nos pères, des idées sans paroles, est la seule chose qui assure l’avenir", nous comprenons non seulement comment toute irrationalité peut être soutenue, mais aussi que sur base de celle-ci on justifie les folies criminelles qui conduisent à l’extermination raciste.

Selon De Benoit "l’homme de droite est moins spontanément porté à théoriser que l’homme de gauche", Antonio Romualdi le singe : "pour le véritable homme de droite, avant la culture viennent les valeurs naturelles de l’esprit, expression de vie des vraies aristocraties". Ainsi, entre le philosophe et l’homme de lettres, le guerrier et le milicien, la droite n’a pas de doutes : elle choisit le deuxième.

Intellectuels, vile race damnée

Nino Tripodi, directeur de "Il Secolo d’Italia", organe du Msi, formula un acte d’accusation contre les intellectuels italiens passés du fascisme à l’antifascisme "la culture italienne ne fit pas face à la dictature fasciste, elle le fit une fois la guerre compromise". De Bontempelli à Comisso à Elsa Morante à Repaci. Et Piovene, Ungaretti, Gatto, Quasimodo, Sapegno, Bini, Muscetta : tous coupables d’avoir célébré Mussolini et de l’avoir trahi ensuite.

Une perle de la haine néofasciste envers les intellectuels vient d’un de leurs collègues, le plus "tendance" de la nouvelle droite, ce Marcello Veneziani monté au sommet de la Rai fascisée par le gouvernement actuel. Ainsi, écrivait-il, avant de finir dans les salons de Maurizio Costanzo faisant la publicité de ses textes "Je hais les intellectuels, cette mafia qui se défend en public et se déteste en privé... Ces marchands mielleux de l’esprit... auxquels il faut trente jours pour écrire un livre et qui en passent trois cents à le vendre et à en faire la publicité, à chercher des éloges et à mendier des interviews, à briguer des amitiés utiles et à poursuivre des occasions publiques".

A la fin, pour la droite le seul bon intellectuel semble être celui qui est mort, parce que "cet acte héroïque" le rachète, comme le montrent les exemples de mort par suicide (Drieu), par attentat (Gentile), par revanche ennemie (Brasillach).

Evola, le "Marcuse" de la Droite

La copieuse bibliographie sur Evola, le plus souvent hagiographique, a servi à construire un mythe personnel du philosophe qui, même en inspirant des secteurs juvéniles du néofascisme, vécut un ample isolement dans le Msi lui-même puis dans le monde culturel antifasciste. Pendant les vingt ans du fascisme, les catholiques traditionalistes furent contraires à sa pensée païenne et même son racisme, basé sur une spiritualité de l’antisémitisme et sur le culte de l’ésotérisme, en fit une figure solitaire, étrangère à la culture du Régime. Du fascisme et du nazisme, Evola exaltait surtout les valeurs de la tradition et l’opposition aux aspects destructifs de la modernité. De telles valeurs s’incarnaient dans un esprit réactionnaire ouvert et revendiqué "...se dire réactionnaire est une pierre de touche".

Le tourment, pour le néofascisme, est le flirt manqué avec le mouvement antisystème le plus explosif de l’Italie de l’après-guerre : le mouvement des étudiants, qui se fixa sur des idéaux antifascistes rigoureux. Il y eut des comportements différents entre le Msi, qui repoussait l’esprit rebelle des étudiants, et de jeunes militants du même parti qui regardaient les mouvements à travers Evola, même si le philosophe donnait une interprétation personnaliste et faussée de la protestation, en la considérant une démonstration de dissolution de la modernité.

Il n’admettait que les études humanistes en repoussant les scientifiques "la perversion de la culture à commencé par l’avènement de la science", une série de lieux communs du conservatisme s’en suivaient : ’68 n’était que l’ultime filiation de 1789, l’homme sain est de droite et choisit le chemin de la contre-révolution.

Le néofascisme se parle dessus

Déjà dans les années ’60, les quelques intellectuels de droite (Accame, Buscaroli, Erra, Gianfranceschi) avaient exposé leurs thèses dans les revues du secteur : "Carattere", "Il Conciliatore", "Il Reazionario", "Ordine Nuovo", mais, étant donné l’autoréférentialité absolue, Romualdi l’affirmait lui-même sans détours ’...il suffit de peu pour s’apercevoir qu’à droite il n’y a pas de culture".

La saison des années ’70, soutenue par les éditeurs Rusconi et Borghese, est meilleure, même si l’ex marxiste Plebe - promu par Almirante responsable culturel du parti - se bornait à combattre les argumentations de la gauche plutôt que d’en proposer d’originales.

Giovanni Volpe, fils de l’historien Gioacchino Volpe, eut l’idée de battre le rappel d’autres intellectuels conservateurs et catholiques sans aucune racine néofasciste, avec qui lancer des attaques au rassemblement opposé. Fisichella, Del Noce, Paratore, Ricossa animèrent le secteur, même si un projet organique leur manquait. La crainte du rôle moteur du Pci et des syndicats, grandissant dans la culture et dans la société, les réunissait et, malgré la présence de sujets libéraux, les attaques habituelles à l’antifascisme, à la société permissive, à la république des lettres se proposèrent à nouveau.

Révisionnisme au galop

Sur la question du révisionnisme, si Accame est disposé à concéder aux critiques de Nolte des raisons à cause de la déresponsabilisation des crimes nazis, il le fait pour lancer une nette distinction entre un nazisme méchant et un fascisme bienveillant. Mais la tentative bute sur les rappels idéaux qu’une partie de son groupe fait de la République de Salo’, qui fut l’alliée servile du nazisme et de sa sanguinaire politique de mort. Et également responsable.

De plus, après avoir soutenu pendant des décennies la thèse de la "guerre civile" italienne pour avancer des prétentions sur les idéaux des vaincus, la droite révisionniste a lancé la thèse d’un mouvement partisan philo slave et composé de Slaves, non seulement en Vénétie Julienne. Pour compenser la Shoah juive, il a braqué son attention sur l’Holocauste intérieur, celui des familles istriennes jetées dans les dolines par les partisans de Tito. Un drame réel, qui fit - les historiens concordent sur ces chiffres - environ sept mille victimes. Une drame d’ailleurs attentivement étudié par l’historiographie antifasciste en dépit de ce qu’affirme le révisionnisme, qui en a fait un point fort de sa propagande.

L’essai de Pavone, qui introduit à gauche le concept de ’guerre civile’ à la place de celui de guerre de Libération employé cinquante ans durant, est utilisé par les intellectuels révisionnistes pour avancer des positions historiquement insoutenables : le Règne du Sud était une entité rebelle, la République sociale italienne un moment inattaquable de l’histoire nationale.

On choisissait encore une fois la voie émotive pour relancer les mémorialistes, plutôt que les historiens de cette période. Mais de l’ "historiographie" des Pisano’, des Tamaro, des Rauti et autres Sermonti on ne tire que du fanatisme nostalgique. Et Accame relance encore une culpabilisation généralisée en soutenant que "...le fourmillement de délinquants, l’écume étaient des deux côtés". On décharge sur les individus des responsabilités criminelles qui rentraient dans les stratégies de Hitler et de Mussolini, de leurs gouvernements constitués de serviteurs plutôt que de collaborateurs. En ce qui concerne l’écume, celle vantée par la République de Salo’ - avec ses dirigeants du genre Pavolini et Buffarini Guidi et ses tueurs de basse cour comme Koch et Colombo - elle était sans doute inégalable et longtemps inégalée.

Négationnisme, habitude de se poser en victime et défascisation : on réécrit l’histoire

A l’automne 2000, une composante du néofascisme, en poursuivant sur la ligne des Pisano’ et des Tripodi, se plaignit longtemps de la discrimination que la culture fasciste aurait subi dans l’après-guerre. Berardi Guardi, dans "Il Secolo d’Italia" parla d’un "acharnement violent, brutal, absurde...". Pour comprendre l’esprit de cet éditorialiste, il est bon de savoir qu’il situe De Felice et Nolte dans les rangs des historiens de gauche, même si ensuite quelques-uns de ses collègues firent l’opération opposée, en soutenant que l’universitaire italien était proche des positions du Msi.

Selon de Turris : "Nous avons eu en Italie une dictature de fer comme en U.R.S.S., la dictature du conformisme culturel, des idiots utiles, des compagnons de route, la dictature qui monopolise l’information en empêchant par tous les moyens à la culture de la véritable opposition, celle de droite, de se manifester". Et Veneziani : "..le fascisme est mort et enterré depuis plus d’un demi siècle, mais son antagoniste n’est pas mort. L’antifascisme est un dogme pour distinguer ceux qui sont destinés à l’hégémonie de ceux qui sont destinés à la marginalisation".

Alors qu’il attaque l’enseignement de tant de scientifiques estampillés comme des "ex soixante-huitards" et accusés pour cela d’un enseignement hautement idéologisé, le révisionnisme fait exactement l’action d’écriture politique de l’histoire qu’il conteste à son propre adversaire.

La bataille idéologico politique continue plus sur la scène médiatique par des coups éditoriaux et des apparitions à la télévision que dans les endroits consacrés à la recherche. Fisichella exprime un acte d’accusation envers l’attitude "...qui devient un motif de confusion historiographique pour des intellectuels aux esprits faibles et peu capables de distinguer".

La purge que réclame la "vérité historique" amène dans les textes scolaires des modifications de ce ton : parmi les pères de la patrie, Ferruccio Parri dehors et Anfuso, qui fréquentait l’entourage de Goebbels, dedans ; aux reconstructions historiques de Guazza et de Pavone on préfère celles de Pisano’ ; au socialisme libéral de Bobbio l’esprit réactionnaire de Evola ; au dépravé Moravia le collaborationniste Brasillach. Voila la teneur des nouveaux textes qui plaisent à la droite. Colombo et Feltri : "...les Italiens sont de braves gens, ils l’étaient aussi aux années Vingt et autour des années Vingt. Ils facilitèrent la montée de Mussolini, un garçon qui savait y faire et qui voulait remettre un peu d’ordre dans le pays secoué par les grèves...". Mussolini et le fascisme sont représentés respectivement "comme l’honnête et laborieux père de famille engagé à ramener à la raison son fils rebelle, le mouvement socialiste".

L’opération est une défascisation rusée et téméraire du fascisme, fille elle aussi du négationnisme : on nie qu’aient existé l’idéologie, la culture, la violence, la classe dirigeante, le totalitarisme et même le Régime fascistes.

En niant, en cachant et en refoulant on propose de célébrer en même temps les figures de Matteotti et de Gentile. Un fois remuées et confuses les eaux, qui pourra contredire ?

EDITION EXAMINEE et QUELQUES NOTES

Francesco Germinario (Molfetta, 1955), historien italien, il s’occupe de recherche auprès de la Fondation Micheletti de Brescia.

Francesco Germinario "Da Salo’ al governo" (De Salo’ au gouvernement, NdT), Bollati Boringhieri, Turin, 2005

(publié aussi par Bellaciao.org, Piazzaliberazione.it, Ecomancina.com)

http://bellaciao.org/it/article.php3?id_article=9407

Messages

  • Merci beaucoup pour ces précisions sur l’instauration et l’évolution de la banalisation du fascisme.
    L’idée contre révolutionnaire n’est pas forcément à mettre sous le compte d’une bourgeoisisation de l’idée révolutionnaire mais d’une crainte des massacres. Aujourd’hui pour faire la révolution il faudrait pouvoir faire la guerre contre les satellites, et puis ils n’attendent que cela avec leurs guns en flash de balls... On l’a encore vu au G8 comment qu’ils s’y défoulent sur l’alternative au capitalisme. Mais la prudence n’empêche pas d’avancer et la force solidaire d’augmenter pour calmer et convaincre d’un possible combat par les urnes quoi que le vote reste un sujet de longues discussions...