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DELEGATION DE POUVOIR ET DEMOCRATIE

Publie le vendredi 10 décembre 2004 par Open-Publishing
2 commentaires


de Patrick MIGNARD

Le fonctionnement actuel et même passé de notre système politique, basé sur la délégation de pouvoir est une caricature de fonctionnement démocratique. La confiance qui devrait exister en l’élu-e et le citoyen n’existe quasiment plus. La situation est tellement dégradée que nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui refusent désormais la pratique de la délégation de pouvoir... se ralliant pour certains à une conception libertaire de démocratie directe, voire pour nombre d’entre elles à un désintéressement des affaires publiques. Pourtant, si le constat est exact, la réponse est loin d’être évidente.

Ce repli sur des positions de principes, tels ceux de la démocratie directe et de l’autogestion, qui ont pour but de préserver l’intégrité de pensée de chaque individu est tout à fait honorable et compréhensible. Cependant proclamer le principe de la « non délégation » comme la solution absolue et définitive au fonctionnement politique n’est pas, concrètement simple à réaliser ? En effet, dans toutes les époques de l’Histoire et en particulier celles au cours desquelles le fonctionnement démocratique de la collectivité a été « le plus démocratique qu’il soit »... en particulier l’Espagne des collectivités rurales.en 1936-37, le recours à une certaine délégation de pouvoir a été nécessaire.

PRINCIPES THEORIQUES ET CONTRAINTES PRATIQUES

« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON ». Ce principe de base de tout fonctionnement démocratique n’est pas simple à appliquer. Pourquoi ? Tout simplement, si l’on peut dire, parce que matériellement on ne peut consulter tout le monde à tout instant. Ceci n’est évidemment pas vrai pour de petites collectivités, mais dès que le nombre de participants augmente, le problème des modalités de la consultation se pose. Il est apparu logique, et ça l’est, de contourner cette difficulté en ayant recours au système de « représentation » : on délègue son pouvoir à une personne en laquelle on a confiance. Cette personne va bien entendu concentrer dans ses propres mains, le pouvoir (délégué) de plusieurs personnes et donc acquérir une légitimité (elle sera l’expression de ces personnes)... lui conférant ainsi un pouvoir dépassant celui de chaque personne qui lui a fait confiance.

Cette situation est-elle dangereuse ? Certainement, et même lourde de risque de dérives, ne serait que parce qu’il y a concentration de pouvoir en une seule personne... d’où risque d’abus, d’autonomisation et donc violation de la confiance de l’autre, de celle ou celui qui a délégué. C’est d’ailleurs cette dérive là qui a atteint la « représentation parlementaire » au point d’en faire une caricature de démocratie.

Cette dérive prend la forme d’une « confiscation démocratique du pouvoir »... c’est exactement ce que nous vivons dans les « pays démocratiques » ou l’accès au pouvoir est verrouillé par une bureaucratie politique qui s’assure de toute impossibilité de changement politique.

Cette situation est reconnue par le plus grand nombre mais faute de trouver/proposer un autre système et devant l’impossibilité d’organiser, par la voie légale, un contrôle et une limitation des mandats (jamais les élus en place ne l’accepteront... et pour cause) elle perdure en se dégradant.

Le recours à la « démocratie directe » qui éviterait toutes ces dérives est préconisée par certain. Une telle conception est bien sûr combattue par les profiteurs du système en place. Elle ne rencontre cependant pas de nombreux échos en dehors de la classe politique et inspire plutôt le scepticisme et la méfiance. Pourquoi ? Par ce que l’on ne voit pas très bien, du fait de la configuration de notre société comment on pourrait rendre opérationnel un tel système et d’autre part le système marchand se satisfait parfaitement de ce mode de fonctionnement.

Autrement dit, en l’absence d’un changement radical de notre mode d’existence sociale et d’une remise en question des rapports sociaux actuels, on ne voit pas très bien comment peut s’améliorer un système dit démocratique qui ne satisfait plus une bonne partie de la population résignée et fataliste.

RAPPORTS DE PRODUCTION ET FONCTIONNEMENT POLITIQUE

Bien évidemment, le problème du fonctionnement de la démocratie et en particulier du système d’exercice du pouvoir n’est pas qu’un problème technique, n’est pas qu’un problème d’organisation. Il est lié à la nature du rapport social qui le sous-tend.

Le rapport marchand est un rapport fondamentalement inégalitaire (voir l’article « LOGIQUE MARCHANDE OU LOGIQUE SOCIALE , FAUT CHOISIR ! ») qui ne saurait survivre à un fonctionnement véritablement démocratique de la société. De même que le système féodal ne pourrait fonctionner avec un système politique tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il y a donc un lien entre « nature du rapport de production » et « forme de l’organisation politique de la société ». Il est donc illusoire de vouloir changer en profondeur le fonctionnement politique du système marchand. Ceci ne veut évidemment pas dire qu’il ne faille pas être vigilant sur la défense et la préservation d’un certain nombre d’acquis (liberté d’expression,...).

La disponibilité en temps du citoyen joue également un rôle important dans l’exercice de la démocratie. Une population indisponible, manquant de temps, obligée d’être au travail une bonne partie de la journée aura tendance à « déléguer » son pouvoir à des représentants qui feront « fonctionner la société ». Or la présence au travail, l’organisation du travail, le partage du travail n’est pas un problème technique, il est avant tout et essentiellement un problème d’organisation économique et sociale, un problème politique surtout dans notre société ou les capacités de production ont atteint un niveau susceptible, à la fois de répondre aux besoins humains et libérer les femmes et les hommes d’un certain nombre de tâches.

La classe politique a donc tout intérêt à ce que la majorité de la population soit « occupée » afin de se réserver le monopole de l’exercice du politique. Bien évidemment les choses ne sont jamais présentées de la sorte, et l’incitation au travail est justifiée par un soit disant impératif à produire toujours plus ( ???)... logique dont on sait ce qu’elle donne (voir l’article « CROISSANCE, QUELLE CROISSANCE ? »)

UNE NOUVELLE PRATIQUE SOCIALE POUR UNE NOUVELLE PRATIQUE POLITIQUE

Ce n’est donc pas à partir d’une amélioration, un réforme du système politique actuel que l’on pourra mettre en place un système véritablement démocratique.

Tous les discours officiels sur la « modernisation de la démocratie » ne sont que des aménagements de circonstances en vue de donner l’illusion d’un accroissement du pouvoir des citoyen-ne-s... on sait ce qu’il en est dans les faits.

Le véritable fonctionnement démocratique ne peut se faire que sur une base constituée de rapports de production qui ne seront pas fondés sur l’instrumentalisation de l’individu, mais dans lesquels, la concertation tiendra lieu de principe de fonctionnement. Cette condition, si elle est nécessaire n’est cependant pas tout à fait suffisante. Au moins deux autres conditions doivent être réalisées :

  constituer de petites unités de vie pour éviter toute concentration de pouvoir... ce qui ne veut, bien entendu, pas dire une vie autarcique de ces unités,
  mise en place d’un système de délégation temporelle de pouvoir, non renouvelable et en permanence sous contrôle.

C’est donc à un bouleversement complet de la manière de produire, de consommer, de se déplacer que nous devons procéder pour établir une véritable démocratie. (voir l’article « TRANSITION »). Alors la délégation de pouvoir apparaîtra non plus comme une pratique perverse, ce qu’elle est aujourd’hui, mais une commodité de fonctionnement politique ainsi qu’un véritable engagement citoyen de chacune et chacun.

Certain-e-s trouveront dans cette perspective un brin d’utopie... pourquoi pas ? Encore que cela paraisse utopique en référence au système dans lequel nous vivons actuellement. Cette perspective n’est pas plus utopique que celle qui aurait consisté à parler de liberté syndicale à des esclaves de l’Antiquité.

Messages

  • Merci à Patrick Mignard pour ce clou enfoncé. J’apprécie généralement le tranchant de ses interventions, sa ténacité, et le caractère concret de ses propositions politiques.

    En écho amical, et parce qu’il faudra bien qu’un jour, tous ceux qui portent l’exigence d’un véritable renversement de perspectives politiques et sociales puissent tisser leurs ardeurs, je fais ma pub : Carrefour des émancipassions

    Patlotch@free.fr Site : Patlotch’s Patchworks

  • C’est toujours un plaisir de te lire, Patrick. Je ne suis pas toujours d’accord avec tout à 100%, mais ça ne vaut que pour des broutilles. Alors continue comme ça, c’est bon pour le débat, c’est comme ça qu’on avance. Tes réflexions en engendrent d’autres, c’est tellement vivant à l’époque où la première chaine de télévision française (et les autres qui s’en défendent), font le maximum pour rendre nos cerveaux disponibles. Personnellement, je préfere laisser trainer mon palimpseste dans la joyeuse autogestion du monde libre et débattre avec toi. Au prochain de tes textes et merci encore.

    Matt