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Dérive policière

Publie le mercredi 11 août 2004 par Open-Publishing
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Un genre d’édito devenu inhabituel dans Le Monde et qui fait plaisir...
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http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3208,36-375162,0.html

Si les Français ont parfois la mémoire courte, la police, elle, a bien souvent la mémoire longue. Quatre employés d’une entreprise de gardiennage assurant la sécurité de la centrale nucléaire de Flamanville viennent d’en faire l’amère expérience : la sous-préfecture leur a refusé - à tort, reconnaît-elle depuis, pour au moins trois d’entre eux - l’agrément nécessaire pour travailler sur un site sensible, et ils ont perdu leur emploi.

La cause : leurs noms figuraient dans un fichier de police, alors même que leurs casiers judiciaires sont vierges. Dans le domaine social, cette mésaventure illustre une dérive sécuritaire marquée par une utilisation abusive des fichiers de police, notamment ce fameux STIC (système de traitement des infractions constatées) dans lequel sont répertoriées plus de quatre millions de personnes impliquées dans des délits, parfois très anciens, qu’elles aient été suspects, témoins ou victimes. Ainsi l’un des gardiens licencié avait été fiché simplement parce qu’il était allé récupérer son poste de télévision chez son ex-femme !

Les différentes lois sécuritaires promulguées depuis les attentats du 11 septembre 2001 ont durci le climat répressif en France et dans nombre d’autres pays démocratiques. Certes, il est indispensable que les forces de police aient les moyens de lutter contre une criminalité qui traumatise la population. Mais ce durcissement, quand il est justifié, doit toujours s’accompagner de garanties accrues. Or, avec la loi sur la sécurité intérieure votée par l’actuelle majorité, le nombre de délits recensés dans le STIC a explosé, tout comme le nombre de personnes habilitées à consulter ce fichier. Ce qui a fait dire au Syndicat de la magistrature que le STIC "bafoue les principes fondamentaux du droit".

Cette mémoire longue policière est encore plus abusive quand elle ne sait pas être sélective en gommant les vétilles, et qu’elle peine à réparer ses erreurs, fichant par exemple un témoin comme suspect. Mais aussi quand elle se montre incapable non seulement d’accepter l’oubli, mais aussi de contextualiser un événement qui s’est déroulé dans des circonstances aujourd’hui révolues. Bref, de faire le tri entre erreur de jeunesse et entêtement dans la récidive.

Les gens changent, d’anciens délinquants, passés au travers des mailles du filet, se sont refait une vie ordinaire, sans histoire. Et puis, un jour, comme pour Hélène Castel, jeune autonome condamnée par contumace en 1984 pour un braquage de banque et qui avait refait sa vie au Mexique, la justice se rappelle à eux juste avant la fin du délai de prescription. Elle est arrêtée, extradée et incarcérée. Représente-t-elle encore un danger pour la société ? Non, à l’évidence.

La tâche des responsables de l’ordre - policiers, magistrats et, surtout, politiques - est de s’assurer que les mesures de sécurité s’appliquent exclusivement à lutter contre la délinquance. Quand ces mesures sont utilisées à l’embauche ou pour motiver un licenciement, quand elles servent à des fins discriminatoires, ethniques ou religieuses, quand elles alimentent un climat de menace et de peur hors de tout contexte réel, alors, c’est l’Etat de droit qui se trouve menacé. C’est-à-dire ce que la police est censée défendre.

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