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Deux mères, trois enfants et une lutte commune contre l’occupation

Publie le jeudi 13 octobre 2005 par Open-Publishing

Deux mères, une Israélienne et une Palestinienne traversent ces jours-ci le mur qui sépare Israël des territoires occupées. Sarah et Rawda ont toutes deux décidé de se rencontrer malgré les obstacles, parce qu’elles poursuivent toutes les deux le même objectif : libérer leurs enfants de la prison israélienne où ils sont enfermés pour des actions contre l’occupation.

Tali FAHIMA, la fille de Sarah LAHIANI, a été arrêtée il y a un an. Accusée d’assistance à l’ennemi en temps de guerre, son procès se déroule en ce moment et elle risque une très lourde peine si les charges sont retenues. Ubaï ODEH, 19 ans, et Loaï ODEH, 28 ans, deux des fils de Rawda ODEH sont prisonniers politiques depuis 2002 et condamnés respectivement à 4 ans et 28 ans de prison. Loaï a été condamné pour avoir aidé à l’organisation d’un attentat à Jérusalem. Contre son jeune frère Ubaï, les charges retenues sont inexistantes.

C’est la première fois qu’une collaboration s’engage entre des mères des deux peuples ayant des enfants prisonniers. C’est également la première fois qu’Israël arrête une “simple citoyenne” israélienne avec ce registre d’accusation. Tali FAHIMA, comme tant de prisonniers palestiniens, n’a jamais été une activiste politique. Poussée par sa curiosité, elle rend visite une première fois au camp de réfugies de Jénine et y tisse des relations d’amitié avec les habitants. Lorsqu’elle réalise ce que subissent les palestiniens sous l’occupation depuis presque 40 ans, elle franchit les barrages psychologiques et physiques qui séparent les deux sociétés et, au plus fort de l’Intifada, se rend régulièrement à Jénine afin de soutenir les habitants du camp.

En Israël, Tali est présentée comme l’ennemie du peuple. La plus grande partie de sa famille et la plupart de son entourage la boycottent et elle a pour seul soutien sa mère, ses sœurs et une tante. Elle trouve aussi une aide précieuse auprès des pacifistes israéliens contre l’occupation qui l’aident à assurer sa défense.

Du 1er au 8 Novembre, Sarah et Rawda viendront en France et en Belgique afin de plaider la cause de leurs enfants. Par ce voyage, les deux mères espèrent susciter l’intérêt du public et des responsables européens sur le drame des prisonniers politiques en Israël. Invitées par quatre associations françaises, la Ligue des Droits de l’Homme, l’Association France Palestine Solidarité, l’Union juive Française pour la Paix et l’Association des Travailleurs Maghrébins de France, Sara et Rawda arrivent en France le 1er novembre pour un périple qui démarre à Caen le 2. Dans les villes visitées, elles rencontreront le public, des militants français de toutes origines, d’associations pour la paix au Moyen-Orient, et la presse. A Paris, une rencontre est organisée dans l’après midi du 3 avec des députés à l’Assemblée Nationale. Leur voyage, s’achève le 8 Novembre, à Bruxelles où elle seront reçues au Parlement Européen. Une dernière rencontre publique est prévue le 8 au soir organisé par l’Union Progressiste des Juifs Belges.

Sara et Rawda quitteront Paris le 9 novembre au matin.

Elles témoigneront donc à Caen le 2 novembre 2005 (1), dans le cadre de l’Automne Solidarité Normandie Palestine, organisé à l’initiative du Collectif Solidarité Palestine 14 et de la Campagne Civile Internationale pour la Protection du Peuple Palestinien (CCIPPP).

Rawda ODEH

Elle est née sous le signe de la résistance à l’occupation, son père lorsqu’elle est née en 48 était en prison pour sa lutte contre le plan de partition de la Palestine... Etudiante à l’université de Birzeit elle est arrêtée en 1969 pour son adhésion au FPLP. Elle est emprisonnée 4 ans et demi dans des conditions extrêmement dures, à Ramleh.

Puis elle se marie à sa sortie de prison en 73 et très vite elle est emprisonnée à nouveau pour 6 mois et son mari Mohamed Odeh pour 2ans et demi.

Mohamme Odeh son époux est employé au service d’exploitation des eaux de Ramallah, elle est assistante pharmacienne à l’hôpital Makased de Jérusalem Est. Ils ont quatre fils : deux sont en prison aujourd’hui. Louai diplômé de l’université de Najah, a été arrêté en 2002 après une longue traque de quatre années par l’armée, et condamné à 28 ans de prison pour avoir participé à l’organisation d’un attentat. Il est en prison à Ramleh, au sud d’Israël.

Lors de son arrestation, il était avec sa mère dans la maison vide d’une parente à Jérusalem. Vers 2h30 du matin la maison a été entourée de soldats, avec un bulldozer, deux tanks et un hélicoptère. Rawda a refusé de le laisser sortir, craignant qu’il ne soit exécuté sur place, et a exigé que ce soit un officier qui vienne le chercher. Elle est restée debout devant lui pour le protéger jusqu’à l’arrivée de cet officier. Elle lui a prodigué des mots d’encouragement pendant qu’on lui bandait les yeux et lui attachait les jambes. Loaï a été condamné à 26 ans de prison. Il a été accusé, entre autres choses, d’avoir facilité le passage pour une opération suicide à Jérusalem.

Son jeune frère Ubaï, arrêté à 17 ans sur le chemin du lycée, a subi un interrogatoire de 38 jours : à part ses rêves de libération pour son frère, il n’avait rien à avouer. Les accusations portées contre lui se fondaient uniquement sur des déclarations d’autres prisonniers au cours d’interrogatoires. Il a été condamné à 2 ans et deux mois de prison, mais le procureur militaire, qui pensait que Ubai avait tout ce qu’il fallait pour devenir un leader malgré sa jeunesse, a fait appel de la condamnation : elle a été portée à 4 ans. Ubaï purge sa peine à Jelaboun, une des prisons les plus dures dans le nord d’Israël.

La requête de la famille Odeh que les enfants soient placés dans la même prison pour faciliter les visites a été refusée. Rawda quant à elle, et malgré le cancer dont elle est atteinte, se voit refuser tout droit de visite, en tant qu’ancienne prisonnière.

Sarah LAHIANI et l’histoire de Tali FAHIMA

Sarah LAHIANI a vécu avec ses 3 filles à Kiryat-Gat, une petite ville ouvrière au sud de Tel Aviv. Elle y est arrivée d’Algérie dans les années 1950. Ne s’intéressant pas vraiment à la politique, la famille a toujours soutenu le parti de la droite israélienne, le Likud.

Divorcée depuis longtemps et contrainte par la pression du voisinage de quitter Kiryat Gat depuis l’ « affaire Fahima », Sarah vit aujourd’hui à Tel Aviv où elle fait du ménage pour survivre et consacre tout son temps à aider sa fille emprisonnée.

Sarah soutient depuis le début inconditionnellement sa fille, et paye le prix de ce soutien : à part une de ses sœurs, aucun membre de sa famille ne lui adresse plus la parole.

“Tali, dit Sara, c’est ma fille. Elle n’a peur de personne, mais ce n’est ni une délinquante ni une criminelle, elle est comme çà. Si quelqu’un a tort, elle ne se tait pas.”

“On a grandi ici avec l’idée que les arabes n’ont pas de droits, qu’ils sont dangereux qu’il ne faut pas leur parler. Tali, dans le bureau d’avocats, où elle travaillait comme secrétaire, elle les a vues ces différences entre les juifs et les arabes. Et elle me le disait qu’elle ne trouvait pas çà normal. Elle voulait comprendre aussi pourquoi les attentats et les suicides. Elle a commencé à discuter sur internet avec des arabes du monde entier et aussi des arabes des territoires. Les hommes là-bas, ils pleuraient, ils ne pouvaient plus venir travailler en Israël et il n’y avait rien à manger pour leurs familles, ils n’avaient rien, pas de vie...

Quand elle a entendu parler de Zacharia Zbeidi, dont l’armée a tué la mère et le frère, elle a voulu lui parler. Puis elle l’a vu enfant dans le film “ les enfants d’Arna ”(2) et le lendemain même elle est allée à Jénine. Elle voulait aussi reconstruire le centre d’Arna pour les enfants, c’était l’un de ses projets. Tu vois ce n’est pas la politique qui l’intéresse, c’est les gens, les âmes, les êtres humains. Elle voulait aider les enfants. Le jour de son premier passage à la télévision, elle a été virée de son travail dans l’heure qui a suivi.”

“Qu’est ce qu’elle a fait, ma Tali ? Elle a pensé que les Arabes sont des êtres humains ? ... I ls ont fait d’elle une traître au pays, elle est la première prisonnière juive traitée comme les palestiniens exactement. Trois mois de détention administrative parce qu’ils n’avaient rien à lui mettre sur le dos, il fallait voir au début comment ils l’ont traitée, et puis ils lui ont fabriqué un dossier incroyable : elle aurait traduit des documents perdus dans le camp pendant l’invasion, par un soldat qui lui a pris 24 jours d’arrêt pour çà. Des photos des gens recherchés, comme s’ils ne se reconnaissaient pas eux même ? Une vue aérienne du camp, qu’est-ce qu’elle peut leur apprendre sur le camp ? Elle n’est pas des services secrets !”...

“C’est une tête dure ma fille, elle n’en a toujours fait qu’à sa tête. Et elle a toujours fait ses choix seule. Tu sais elle me rappelle ce fruit du cactus, les figues de Barbarie, que des piquants dehors mais à l’intérieur c’est doux. C’est comme dans son travail, je lui disais travaille avec ta tête, elle me répondait, non moi je travaille avec mon cœur et ma tête.”

Note :

(1) Mercredi 2 novembre 2005 à 20 h.30 - Université de Caen, amphithéâtre Tocqueville

A Paris, une rencontre est organisée dans l’après midi du 3 novembre 2005 avec des députés à l’Assemblée Nationale

A Bruxelles, elle seront reçues au Parlement Européen le 8 Novembre 2005

(2) « les Enfants » d’Arna » film de Juliano Mer, son fils, retrace le travail d’Arna, avec les enfants du camp de Jénine ,pendant la première intifada. Arna Mer était une femme exceptionnelle, qui avait mis en place dans le camp de nombreuses activités pédagogiques pour les enfants, et Tali voulait marcher sur ses traces. Zacharia Zbeidi, aujourd’hui chef des brigades d’El Aqsa, du camp était à l’époque l’un de ces enfants qui rêvaient de jouer un jour Roméo au théâtre. Il est le seul survivant des enfants de l’époque.

http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=2561