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Devenir : boxeur La fille à un million de dollars et le rêve (son rêve) américain
Publie le vendredi 11 mars 2005 par Open-Publishing4 commentaires

de Katia Rossi et Fabrizio Violante traduit de l’italien par karl&rosa
Il y a une Amérique qui n’est pas celle de Bush, et qui ne pleure pas non plus la défaite électorale de Kerry, une Amérique qui ne pense pas à l’Irak ni au drame de la guerre permanente, l’Amérique qui vit dans les trailer parks, qui n’a de souvenir d’enfant que l’image d’un chien à moitié paralysé achevé par pitié et enterré au loin ; l’Amérique où tout marche à l’envers, comme dans la boxe où ’pour gagner il faut parfois perdre, pour jouir il faut parfois souffrir, pour continuer à vivre il faut parfois mourir’.
Cette Amérique sans héros, on la retrouve dans le médiocre gymnase de boxe Hit Pit, aux frontières d’un Los Angeles méconnaissable, dans une banlieue anonyme aux limites du désert...une espèce de ’baselunairealpha’ où atterrissent les extra-terrestres, un gamin gracile et un peu attardé arrivant du Texas (que nous verrons pendant tout le film donner, impassible, des coups de poing en l’air, dans un improbable entraînement pour défier un champion, en réalité à la retraite depuis des années), et surtout la protagoniste du film, la white trash Maggie Fitzgerald (Hilary Swank, Boy Don’t Cry, 1999).
Le Hit Pit (reconstruite dans un vieux hangar par le metteur en scéne Henry Bumstead, âgé de 89 ans), scène exacte pour cette triste histoire, l’endroit qu’il fallait, là où on ne fait pas de différence entre vaincre ou mourir, est tenu par le vieil entraîneur Frankie (Clint Eastwood) et par Eddie, le gardien ’frippé’ et ’vieux routard’ (Morgan Freeman), un ancien boxeur avec 109 combats derrière lui et un œil perdu sur le ring, le narrateur du film, qui égrène des perles telles que :"parfois pour donner un coup gagnant il faut reculer mais si tu recules trop, tu ne combats plus". Maggie est serveuse dans les drugstore depuis qu’elle a treize ans, elle a une mère de 100 kilos, un frère en prison et un rêve qui l’empêche de couler, qui la laisse flotter dans sa vie de beefsteaks mangés à moitié par des clients pressés, de pièces dans un bocal en verre, de réveils à l’aube, sa vie sans télévision ni magnétoscope, sans amour...le rêve : devenir une championne de boxe et pour cela elle veut Frankie comme entraîneur. Elle, avec son incroyable force malgré tout, deviendra petit à petit sa fille perdue (à qui il écrit depuis des années des lettres régulièrement renvoyées à l’expéditeur) ; lui, malgré lui, en fera une professionnelle du ring irrésistible jusqu’au fatal défi pour le titre.
Tiré de l’homonyme recueil de récits, magnifiquement écrit par le scénariste Paul Haggis, le film évolue au sein du monde de la boxe mais n’est pas un film sur la boxe ; c’est plutôt un film qui parle de douleurs et de pertes, en somme de la vie et de cette unique occasion qu’elle vous donne et que Maggie, Frankie et ’Scrap’ cherchent ou ont cherchée dans la boxe : "la boxe est la magie d’ hommes en train de combattre, la magie de la volonté, de la capacité et de la douleur et la magie de risquer le tout pour le tout de telle sorte que quelqu’un puisse se respecter pour le restant de ses jours" (F.X.Toole).
Et c’est dans le combat que se trouve concentré le sens du film, un combat que Maggie entreprend comme une sorte de course au désastre, dans un mouvement de fuite en avant que l’on ne doit pas entendre seulement comme un système de défense par rapport à son destin injuste mais comme une tentative de vivre jusqu’au bout le combat entre les forces qui s’agitent en son sein. Maggie est en effet obligée de lutter aussi contre elle-même, avec ce besoin ingénu de reconnaissance qu’elle s’obstine à vouloir rechercher auprès de sa famille. Le combat est alors aussi combat entre les parties qui la constituent, entre les forces qui l’assujettissent - la nécessité geignarde d’être aimé - et celles qui sont assujetties - sa capacité à aimer et à désirer.
D’où la beauté des séquences qui décrivent le ring : les défenses et les attaques, les esquives, les parades, les anticipations d’un coup que l’on ne voit pas toujours arriver et d’un ennemi que l’on ne réussit pas toujours à situer. D’où l’importance des positions adoptées par un corps glorieux qui n’est pas tant l’emblème d’un ’combat-contre’ que celui du ’combat-entre’, un combat que détermine la composition des forces du combattant, dans la tentative désespérée de se rendre maître d’une force pour la faire sienne, dans un ’devenir-boxeur’ qui ne peut s’obtenir que sur le ring.
L’atmosphère et les dialogues pourraient être ceux d’un western dont le cadre serait un Los Angeles ville de frontière, ville éphémère volée au désert où tout est sur le point de mourir englouti par le ’big-one’ : l’Amérique de Eastwood est encore celle de ses vieux films où on décide de la vie à coups de colt, où l’on ne doit jamais baisser la garde, tourner le dos à l’adversaire ; et elle n’est pas différente de l’Amérique dont parle Moore, où encore si un homme avec un pistolet rencontre un homme avec un fusil, l’homme au pistolet est un homme mort...
Frankie ne fait que répéter à ses boxeurs qu’il faut se protéger, éviter les coups de l’adversaire ; et c’est pour cela que, comme dans la vie, on ne joue le titre qu’une seule fois mais on n’y est vraiment jamais prêt. Lui, il voudrait les défendre ses mômes mais il ne peut éviter que chacun d’eux, Maggie elle aussi, joue son occasion jusqu’au bout. Le rêve américain, la grande occasion (ne serai-ce que le warholien quart d’heure de célébrité télévisuelle) garde tout le monde en vie, même les trois millions de foyers qui vivent dans des trailers (des caissons en aluminium et polystyrène montés sur des roues en caoutchouc et garés pour toujours dans des terrains de la périphérie), comme Maggie et son horrible famille.
Ce n’est peut-être pas un hasard si notre héroïne tragique, tellement vouée à son destin qu’elle rappelle un personnage des films de Lars von Trier, cultive son rêve dans la boxe, sport de pauvres et de noirs. A la fin, elle aussi, nouvelle Rocky, trouvera devant elle un méchant imbattable à "casser-en-deux", même si ici, la peur du communisme étant dépassée (mais notre président du conseil n’y croit pas encore), il ne s’agit pas d’une machine de guerre bolchevique, mais d’une très incorrecte ex-prostituée de Berlin-Est (!), cherchant à se racheter à coups de poing par traîtrise.
Clint Eastwood est un vrai moraliste, il nous raconte tout avec une réalisation sèche et rigoureuse (la caméra ne s’attarde jamais à des virtuosités, elle n’évolue pas nerveusement dans les scènes de combat, à la recherche du sang, comme le ferait un Scorsese), il dénonce (peut-être) sans jamais prendre position : on finit par penser qu’il n’accuse ni n’excuse jamais vraiment aucun de ses personnages, pas plus que le monde dans lequel ils évoluent (ou sont contraints à se mouvoir). Son film est en tout cas une leçon de cinéma, de la part d’un vieux lion qui est aujourd’hui un des rares (au moins parmi ceux qui s’adressent au grand public) à creuser à fond la société américaine et ses hypocrisies, évoquant des thèmes comme la famille, la religion ("Qu’est-ce que c’est que la Trinité ? Du pain, du beurre et de la confiture jetés dans le même sac ?"), l’euthanasie. Oui, parce que Maggie finit par gagner : après avoir savouré cette puissante vitalité qui lui a traversé le corps, vécu jusqu’au bout le rapport entre le corps et les puissances imperceptibles qui le maîtrisent ou qu’au contraire, il maîtrise, elle ne peut pas tolérer de jeter l’éponge. Après le règlement de comptes avec la famille affreuse, sale et méchante, devenu enfin possible grâce à son ’devenir-boxeur’, qui l’a transformée pour toujours, Maggie est en mesure de demander à Frankie d’aller contre les lois de ce Dieu qu’il n’a pas encore réussi à attraper, aujourd’hui moins que jamais ...
Les acteurs sont extraordinaires et surtout Hilary Swank qui s’est entraînée pendant des mois, en suivant un régime extrêmement sévère et en ingurgitant des bouillies de protéines même la nuit pour pouvoir tourner tous les combats sans doublure ; parfaite dans le rôle de la protagoniste, dont le sourire désarmant nous habite encore après le film. Parce que, s’il est vrai que son personnage ne se veut pas ’représentatif’ - son problème est de survivre, pas de changer le monde - la voie de fuite qu’elle s’est péniblement (ô combien !) construite nous emplit de puissance comme l’héroïne de Kill Bill, nous offrant la sensation qu’on peut n’avoir peur de rien, même pas de la mort.
Au bout du compte, un beau film, d’une autre époque dirait-on, loin des rythmes excités de tant de films de Hollywood, qui raconte une histoire amère avec un montage qui termine chaque scène juste à temps, sans jamais tomber dans le piétisme. La photo ’non lavée’ et vieille école, les notes de steel guitar, le vieux gymnase, tout est démodé, comme une vieille ballade folk :" même si l’action se passe à l’époque actuelle, j’ai cherché à donner la sensation que l’histoire pourrait se dérouler dans une autre période de l’histoire - peut-être aux années 40, ou 50, ou 70. Je voulais qu’elle ait une dimension hors du temps"...digne de John Ford.
Messages
1. > Devenir:boxeur La fille à un million de dollars et le rêve (son rêve) américain, 12 mars 2005, 13:49
J’ai vu le film en avant première. Il faut absolument le voir !!! Clint Eastwood réalise un film presque aussi bien que "Mystic River" mais en plus dénonciateur. Dans "Miliion Dollar baby", Eastwood dénonce le conservatisme de l’église américaine avec brio, et des stupiditer autours de cette église. En tant que bon laïque, j’ai trouivé ce film très percuttant. Il y a une polémique aux USA autours de ce film. Difficile pour l’instant de savoir s’il y aura une polémique en France...
2. > Et si Clint etait Pro-Bush ? , 12 mars 2005, 17:44
"Do ya feel lucky Saddam ? Well, do ya, punk ?" Clint Eastwood 15/03/2003
"Michael Moore and I actually have a lot in common - we both appreciate living in a country where there’s free expression," Eastwood told the star-dotted crowd attending the National Board of Review awards dinner at Tavern on the Green, where Eastwood picked up a Special Filmmaking Achievement prize for "Million Dollar Baby."
Then, the Republican-leaning actor/director advised the lefty filmmaker : "But, Michael, if you ever show up at my front door with a camera - I’ll kill you."
The audience erupted in laughter, and Eastwood grinned dangerously.
"I mean it," he added, provoking more guffaws.
14/01/2005
3. > Devenir : boxeur La fille à un million de dollars et le rêve (son rêve) américain, 17 mars 2005, 04:01
J’ai trouvé ce film vraiment bon et le comentaire que vous en faites est excellent. J’aimerais savoir quel est le surnom que donne Jackie à Maggie lorsqu’elle va boxer à Las Vegas si je neme trompe pas. C’est un surnom dans une autre langue, cela veut dire mon amour, il le révèle à la fin du film. Svp, répondez moi`à jdumas_1@hotmail.com parce que je ne fias que passer 1 fois sur cette page, car je cherche désespérèment ce surnom partout sur internet. Merci d’avance, Jerome.
1. > Devenir : boxeur La fille à un million de dollars et le rêve (son rêve) américain, 18 mars 2005, 18:48
Le surnom que donne Jackie à Maggie lorsqu’elle va boxer avec la championne des welter est « Mo guishle », en gaélique. Svp répondez vous à Jérôme : jdumas_1@hotmail.com