Accueil > Directive européenne sur le temps de travail
Audition de la CGT à l’Assemblée Nationale du 18 mai 2005
Délégation composée de Francine BLANCHE, secrétaire de la CGT et de Denis MEYNENT, conseiller confédéral
Monsieur le rapporteur,
L’article III-209 du projet de Traité constitutionnel, qui reprend in extenso l’article 136, en vigueur, du Traité instituant la communauté européenne, affirme que « l’Union et les Etats membres ... ont pour objectifs la promotion de l’emploi, l‘amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès. »
L’article III-210, actuellement 137, souligne que « l’Union soutient et complète l’action des Etats membres » en ce qui concerne « l’amélioration du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs ».
La directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, qui codifie la directive 93/104/CE du 23 novembre 1993 affirme quant à elle que « l’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique ».
Effectivement les textes européens relatifs à la durée et à l’aménagement du temps de travail ont été jusqu’à présent plutôt protecteurs vis à vis des salariés les plus exposés.
Y compris en France dans le domaine des différents repos, intégrés avec « la loi Aubry 2 » dans le code du travail :
- repos quotidien minimum de 11 heures entre deux journées de travail
- pause minimum de 20 mn pour une période de travail de 6 heures
- repos minimum hebdomadaire de 35 heures.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la proposition du 22 septembre 2004 de la Commission visant à réviser la directive de 1993, n’est pas de nature à atteindre les objectifs d’amélioration fixés et affichés. Bien au contraire.
Les principaux aspects de cette proposition sont inacceptables car en faisant la part belle à la flexibilité, en faisant perdre aux salariés la maîtrise de leur temps, en permettant le dumping social, leur application aurait pour conséquence la détérioration de la sécurité et de la santé des salariés d’Europe.
La clause de renonciation individuelle « opt-out » et la durée maximale hebdomadaire du travail :
a) La proposition de directive émanant de la Commission européenne pérennise et généralise le système de l’opt-out individuel qui était jusqu’à présent en vigueur officiellement en Grande Bretagne et même en France (pour les médecins hospitaliers). Elle stipule que si le salarié en « est d’accord » et « en l’absence d’accord collectif », l’employeur pourrait le faire travailler au delà de la durée maximale de 48 heures hebdomadaires en vigueur aujourd’hui dans l’Union Européenne.
b) La résolution adoptée par le Parlement européen le 11 mai envisage de supprimer cette clause de « renonciation individuelle » 36 mois après l’entrée en vigueur de la directive.
c) Nous sommes, à la CGT, pour l’abrogation de la clause d’opt-out, et le plus rapidement possible.
1) Pour l’abrogation :
- Même avec un semblant de renforcement de ses conditions d’application, ce sont les salariés les plus fragilisés, notamment dans les petites entreprises, qui seraient les victimes de ce soi-disant « deal volontaire » entre employé et employeur.
- Tant qu’un pays ou une entreprise pratiquera légalement l’opt out, il y aura risque évident de dumping social, puisqu’il y aura pression de la part du « moins disant ».
2) Le plus rapidement possible : Le délai proposé par le Parlement européen nous semble bien long.
La Commission, dans sa grande « générosité », a fixé à 65 heures la durée maximale hebdomadaire de travail pour les salariés en opt out. Ce qui est en contradiction avec la jurisprudence constante de la Cour de Justice des Communautés européennes.
Par exemple, l’arrêt Pfeiffer du 5/10/04, où la CJCE insiste sur le fait que « la limite maximale de 48 heures...constitue une règle du droit social communautaire, revêtant une importance particulière, dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale destinée à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé ».
Il sera difficile de nous convaincre du respect affiché de l’objectif de protection de la santé des salariés si les volumes de travail hebdomadaires maximaux prévus par la commission étaient tolérés.
Pour mémoire, notons que la durée maximale hebdomadaire est de 48 heures en France et peut être portée à 60 heures, même si c’est uniquement par le biais d’une dérogation administrative pour un motif exceptionnel.
Le Ministre français délégué aux relations du travail a récemment déclaré (Luxembourg, 4 octobre 2004) que la « contrainte nouvelle qui limite à 65 heures la durée maximale de travail hebdomadaire peut être pénalisante dans le secteur (des médecins hospitaliers) à certaines périodes comme les congés ». Cela ne va évidemment pas dans le bon sens. Nous serons très attentifs à cette question.
Alors qu’il n’était nullement obligatoire de traiter d’autres sujets dans la révision de la directive de 1993, la Commission a jugé utile d’introduire plusieurs nouveaux aspects :
1. Aggravation de la flexibilité
a) La Commission propose de passer de 4 à 12 mois la période de référence pour le calcul de la durée hebdomadaire maximale.
b) Le Parlement européen n’a pas modifié cette proposition de flexibilisation et donc autorise les Etats membres à étendre la période de référence comme le souhaite la Commission. Il considère que c’est un « compromis acceptable » s’il y a suppression de l’opt-out.
Le Ministre français délégué aux relations du travail considère lui-aussi que « l’allongement de la période de référence, pour les médecins hospitaliers, peut offrir une souplesse utile « (Luxembourg, 4 octobre 2004).
c) En ce qui concerne la CGT, nous avons toujours combattu l’annualisation dont les horaires irréguliers détériorent la santé et désorganisent la vie personnelle et sociale des salariés. Nous ne voyons pas quelle contrepartie pourrait être inventée qui puisse compenser de tels préjudices. Ce dernier sujet n’est d’ailleurs abordé , ni dans le texte de la Commission, ni dans celui du Parlement européen.
2. Redéfinition du temps de travail
La proposition de la Commission visant à ne pas prendre en compte, dans la définition du temps de travail effectif, les périodes dites « inactives de garde » n’a pas été retenue par le Parlement européen. Néanmoins, celui-ci laisse la possibilité à chaque Etat de calculer ces périodes de façon spécifique, ce qui reste en retrait par rapport aux jugements de la Cour de justice européenne.
En France, cette question concerne directement le système des « équivalences », qui permettent de fixer une durée de présence au travail plus longue que la durée rémunérée.
A la CGT, nous souhaitons que la directive s’en tienne à la définition de la jurisprudence communautaire. Les équivalences sont un système injuste, imposé aux salariés dans de multiples professions depuis de trop nombreuses années.
Il est souvent fait état de difficultés financières, ou de pénuries de personnel pour en « justifier » le maintien.
La solution à ces réelles questions passe par une amélioration des conditions de travail du personnel concerné, pas par leur détérioration. Nous pouvons évidemment comprendre que perdure une période de transition, le temps de résoudre les problèmes posés. A condition de se rapprocher dès que possible de l’objectif visant à ce que tous les salariés qui subissent aujourd’hui des « équivalences » voient l’intégralité de leur temps de présence à l’entreprise comptabilisé comme temps de travail.
A ce propos, plusieurs procédures juridiques sont actuellement en cours sur ces sujets, tant auprès de la CJCE que du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’Homme.
3. Modification des règles du repos compensateur
a) Actuellement, les repos compensateurs doivent succéder immédiatement aux périodes de travail correspondantes (arrêt Jaeger, CJCE 9 octobre 2003).
b) La proposition émanant de la Commission fixe, pour accorder un repos compensateur, un « délai raisonnable, qui ne peut pas être supérieur à 72 heures ».
c) Le Parlement européen s’en remet à des dispositions nationales ou contractuelles, sans fixer de délai maximum pour cette prise de repos.
d) En France, le Ministre considère que « l’obligation d’accorder le repos compensateur dans les 72 heures qui suivent la période de travail peut être problématique dans certains secteurs » (Luxembourg, 4 octobre 2004). Ce qui va, là non plus, pas dans le bon sens.
e) Nous pensons qu’il est regrettable que le Parlement européen ait choisi de s’aligner sur ce qui se pratique dans certains Etats, notamment en France, plutôt que de prendre en référence les décisions de la CJCE qui sont, elles, plus positives pour les salariés et leur santé.
En conclusion, la CGT attend des parlementaires Français qu’ils soutiennent les aspects positifs de la résolution du Parlement européen du 11 mai (principalement la suppression la plus rapide possible de l’opt-out) et qu’ils aident, par une résolution transmise au Conseil des Ministres européen des 2-3 juin 2005, à en faire améliorer les aspects encore aujourd’hui négatifs, que nous avons développés dans cette audition.
Merci de votre attention.