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Don Juan ou le rêve féminin
par Marc Alpozzo
Publie le lundi 23 janvier 2012 par Marc Alpozzo - Open-Publishing1 commentaire
« Ô Ciel ! que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n’en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah ! »
Molière, Don Juan, Acte V, Scène 6.
Mais qu’est-ce qui fait courir Don Juan ? On n’a cessé de causer, d’écrire sur cette figure mythique de la séduction masculine. Plus d’un millier d’adaptions, et la psychanalyse qui s’en empare pour créer son concept de don juanisme ! On le traite bien, on le traite mal ! On l’aime, on le déteste ! On le compare très frauduleusement à un épicurien, mais parce qu’on a si mal compris Epicure ! Et l’on a si mal compris Don Juan par la même occasion !
Mais alors que sait-on ? Veut-on seulement savoir ? Paul Valéry disait cette chose très juste : « Rien de plus littéraire que d’omettre l’essentiel. » On a tout dit à propos de la figure de Don Juan : qu’il était libertin, athée, déceptif pour toutes les femmes qu’il avait séduites, impuissant, jouisseur impénitent, homosexuel, immoral, égoïste, pervers. Mais on omet l’essentiel ! Car c’est bien de l’essentiel qu’il s’agit ! On ne veut pas savoir. On ne veut surtout pas approfondir à propos du personnage. Sûrement ce serait trop dérangeant. Nous sommes faillibles ! Nous nous sommes bâtis cette carapace contre le monde, contre nous-mêmes, depuis si longtemps ! Le labeur et la ténacité destinés à une seule fin : fuir l’essentiel. Ça n’est pas maintenant que nous allons nous autoriser à nous percer à jour ! Et puis c’est aussi parce que Don Juan est notre parfait bouc émissaire. Il canalise toutes notre projections, toutes nos frustrations, tous nos fantasmes, toutes nos inhibitions. Il est cette économie de moyens pour épurer la violence et l’angoisse en chacun. Il est cette figure mythique dans laquelle on s’autorise à se perdre… Il est l’éternel incompris !
Incompris d’abord de son propre père – dois-je rappeler cette tirade de Don Louis dans la pièce de Molière : « Mais sache, fils indigne, que la tendresse paternelle est poussée à bout par tes actions, que je saurai, plus tôt que tu ne le pense, mettre une borne à tes dérèglements, prévenir sur toi le courroux du Ciel et laver par ta punition la honte de t’avoir fait naître », incompris de son valet Sganarelle – qui cherche systématiquement à lui faire la leçon ! Incompris de la plupart des lecteurs ! Et c’est en ce premier sens que l’on peut parler de héros tragique. Don Juan peine à se mettre à jour ! Don Juan peine à naître ! Don Juan n’est pas né. Don Juan erre, à l’abandon, cherchant refuge, et des yeux pour le voir. Don Juan a perdu le sens. Et le lieu. Tout est là un problème de topos. Son existence n’a ni direction ni but. Quelle intelligibilité peut-il donc en tirer ? A quoi pourrait-il raccrocher le sens de sa vie ? Il ne cesse de courir. Ou plutôt de fuir. Et de se fuir ! La fuite est son éthique. Il fuit les femmes qu’il a séduites et délaissées. Il fuit les hommes qui sont engagés pour lui faire la peau. Il fuit les siens lorsqu’ils veulent le ramener à la saine raison. Il fuit Dieu.
Aussi, je pose cette légitime question – quitte à choquer : Don Juan serait-il l’homme qui n’assume pas ? Et je vais clairement y répondre.
Premièrement, son supposé athéisme. Il faut en finir avec cette niaiserie qui se dit partout. Don Juan croit en Dieu. C’est clair ! Il s’agite trop, le défie trop, le bafoue trop pour que ça en soit autrement. Mais voilà ! il n’assume pas cette croyance. Ou plutôt, devrais-je dire, il a clairement perdu Dieu. Il ne parvient plus à le voir – peut-être parce qu’il ne veut pas le voir. Il y a cette volonté tragique de détourner le regard, de ne pas assumer sa condition chez Don Juan.
Secundo, Don Juan est un homme du savoir-faire avec le corps, et un homme de la raison. Il traite les corps comme des objets, en artisan ou en technicien, pour ne pas avoir à faire face à la condition humaine, – car dans la relation de sujet à objet on perd nécessairement le sens de l’humain ; on déshumanise l’autre ; on occulte ce qui est le propre de son essence, et donc par conséquent, ce que nous sommes en propre : on masque son infinie fragilité. Autrement dit, l’inconnu en lui et en nous. On traitant les corps comme un artisan qui travaille un objet quelconque, Don Juan évite soigneusement d’avoir à faire face à sa condition de mortel ; il évite d’affronter sa condition d’être fini, d’homme vivant une vie sans rime ni raison, contée par un fou. En se réfugiant dans la pensée rationnelle, cartésien par excellence, (« Je crois que deux et deux font quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre font huit »), la rationalité chère aux philosophes et aux scientifiques devient son nouveau sacré. Tout sera désormais explicable, connaissable par les seules vues de la raison. Par un merveilleux miracle ! La vie ne sera bientôt plus un problème, et la mort non plus. Dieu est enfin ramené à la connaissance de l’entendement, et les flammes de l’enfer seront bientôt éteintes par la force de l’arithmétique.
Pour autant Don Juan ne trompe personne. Et il ne parvient à se tromper lui-même, non plus. Car ici la raison se fait simulacre. Elle masque, derrière les apparences d’un logos salvateur et tout puissant, une réalité effrayante, parce que désespéramment impénétrable, livrée au mystère éternel.
Don Juan est ainsi un héros tragique. Il est ce malheureux héros de notre monde moderne. Alors que Don Quichotte est d’un autre temps, ne comprenant désespérément pas le nouveau monde naissant, et prenant les moulins à vent (simulacre nécessaire à son aveuglement) pour des géants, Don Juan est bien trop conscient. Et il en crève ! Il voudrait peut-être, comme Œdipe, s’ôter la vue. Il voudrait peut-être n’avoir pas à affronter la cruelle réalité… Il voudrait sûrement éviter de voir qu’il a perdu l’horizon, par exemple. Et les arrière-mondes. Plus de « monde vrai ». Abolies les apparences, comme disait le sage Zarathoustra. Il ne peut désormais plus s’en tenir aux illusions. Et il refuse de le voir, tout en voulant voir. Car il cherche. Il est en quête. Et ce qu’il cherche, c’est Dieu lui-même. Dans le même temps, il se refuse clairement à le trouver. Sentez la peur qui l’étreint lorsque la statue du Commandeur l’appelle, une première fois. La seconde fois, on le voit se réfugier derrière son valet de Sganarelle – l’exemple typique de l’homme superstitieux – lorsque la statue lui commande de se joindre à elle pour souper. Il lui faut un guide, dit-il, comme pour se justifier… Sganarelle a beau déballer ses niaiseries morales, ses codes de conduites déontologiques agaçants, il incarne aux yeux de Don Juan, qui ne veut rien entendre de ce que Dieu pourrait être, cette seule lumière terrestre, – contre l’absurdité d’un monde sans Dieu, ou pis, d’un monde où Dieu ne saurait le comprendre ! Il ne veut pas accepter que terre et Ciel se seraient soudain rejoints pour ne former désormais qu’une unité. Il n’accepte pas la bonne nouvelle. Il ne veut pas entendre qu’il n’a plus besoin de flambeau ; que la lumière du Ciel est, ici, dans l’immanence de notre monde sensible. Peut-être même à l’intérieur de lui.
Don Juan est donc le héros tragique d’un monde sans commencement ni fin, et dont la transcendance est devenue difficile. Il est l’homme absurde par excellence. Enfermé dans un rapport au monde purement matérialiste… Mais lorsque je dis matérialiste, j’entends surtout matériel. Le monde sensible renferme désormais tous ses secrets. Rien au-delà ! (Le vrai matérialiste, accroché à l’utilité et au sens des choses utiles, c’est Sganarelle, pleurant ses gages à la fin de la pièce de Molière, – mais là, c’est un autre problème !) Le matérialisme de Don Juan est un matérialisme de circonstance. Un refuge. Et un guet-apens à la fois ! Voyez ce cynisme auquel il se livre lorsqu’il convainc son père qu’il a désormais changé. Voyez ce déni de s’affronter, et d’affronter une réalité qui l’effraie. Voyez cette fuite qui le conduit, là encore, comme Œdipe, à réaliser son funeste destin, en s’évertuant à l’éviter.
Il tient tête à sa destinée. Il tient tête à son père, à Sganarelle. Il tient tête à Dieu. Don Juan est cet éternel rebelle, réfractaire aux lois morales, civiles ; prêt à mourir plutôt qu’à se plier. Il est cet éternel enfant, qui refuse de grandir, de s’assumer, et d’assumer son devenir.
Il est un héros tragique pétri du désir tragique (si cher au philosophe Clément Rosset). Toute sa vie est fondée sur le désir sans fin, sans finalité, sans intelligibilité. Il désire, et il met toutes ses forces, tout son talent, tout son courage à réaliser tous ses désirs ; mais il ne sait pas exactement ce qu’il désire. En réalité, si nous suivons attentivement son désir, nous parvenons à comprendre : il désire Dieu.
Il faut donc cesser de considérer Don Juan comme un jouisseur. De quoi croit-on qu’il jouit ? Du corps des autres ? De leur malheur ? De rapports sexuels – qu’il n’a d’ailleurs pas ! De l’échange des corps – mais il refuse tout échange ! De l’amour – il ne s’autorise pas à tomber amoureux ! De la satisfaction de son désir – toujours déçu au final, souvenons-nous donc de la leçon de Schopenhauer à propos des désirs, elle fonctionne merveilleusement ici ! Non ! Don Juan ne jouit de rien. Aussitôt a-t-il satisfait un désir, qu’il s’en fixe un autre. Il ne consomme pas le court plaisir de la victoire. On a voulu en faire un athée. C’est faux ! Un hédoniste. Faux aussi ! Un immoral. Tout aussi faux ! Un libertin. Rien de plus stupide !
Parce que Don Juan a perdu le topos, donc tout lieu d’origine, les femmes lui serviront de centre, de médiation ; à la fois médiation de son désir, mais plus encore de sa recherche. Regardez-le donc courir, s’évertuer à justifier cette fuite, qu’il considère comme une vocation pour l’amour et le désir : « Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, […] et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire injustice aux autres ; […] Il n’y a rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. » Certes, il accepte de se définir comme un « conquérant », une sorte d’Alexandre, beau et fort ; un homme amoureux. On a d’ailleurs trop pris pour habitude de distinguer Casanova et Don Juan, parce que le premier serait un homme amoureux tandis que le second serait un homme désirant ; un pur séducteur, sans lendemains. Le premier aime l’amour, le second désire désirer. Il faut désormais dissiper cette erreur fondamentale à propos de Don Juan, car je crois que c’est manquer un élément essentiel du personnage, que de le réduire à la seule problématique des désirs. Nous lecteurs, mettons-nous ça ne tête, Don Juan veut Dieu. Dans sa conquête aveugle, il est mené, inconsciemment, par l’image d’un père fantasmé, imaginaire, qui pourrait jouir de toutes les femmes. Comme un enfant, il est persuadé qu’il en existe au moins un en ce monde, et contre la norme, cette exception c’est Dieu lui-même. Il ne s’inscrit pas dans un schéma œdipien, car il ne veut pas tuer le père. Il ne cherche pas non plus à remplacer Dieu. Le mythe de Don Juan est un mythe métaphysique et psychanalytique à la fois. A travers la conquête féminine, Don Juan, amoureux de Dieu, désire le faire jouir. Ce ne sont pas les femmes vers lesquelles il tend, mais vers Dieu lui-même. Cette jouissance de Dieu, Don Juan la vise à travers chaque femme qu’il séduit, qu’il trompe pour la rendre amoureuse, et qu’il manque, dans cette impasse tragique du désir. La mascarade à laquelle il se livre n’est autre qu’une mascarade à l’intention de Dieu, ce père universel, qu’il voudrait reconquérir, car il croit l’avoir définitivement perdu.
De fait, trop d’interprétations de Don Juan s’en sont tenues à l’affirmation péremptoire d’une Charlotte (qui met Don Juan en réalité au défi de la séduire : vous, dit-elle, « qui ne songez qu’à abuser les filles » a réduit le mythe de Don Juan à celui d’un bonimenteur, manipulateur, pervers tout à sa jouissance, quitte à décevoir, ou créer de l’angoisse chez ses victimes. Mais Don Juan n’a rien d’un prédateur social. Don Juan n’a rien d’un manipulateur ou d’un pervers, tel qu’on l’a entendu jusqu’ici. Cette interprétation idéologique, ou féministe, doit être abandonnée.
Tout comme son homosexualité supposée, son impuissance sexuelle, son caractère hédoniste qui ne tiennent que du discours parfaitement stéréotypé. Non, rien de tout ça ne fait courir Don Juan.
Celui qui cherche « à ménager un père dont (il) a besoin », qui accepte le « vice à la mode », porter des masques pour « abuser le monde », cet homme de l’imposture, du simulacre, qui semble abuser tout le monde, ne fait que s’abuser lui-même. Tous ces masques ne sont que mauvaise foi – pour reprendre le concept sartrien. Il ne ment pas aux autres. Non ! Il ne se masque la réalité qu’à lui-même. Car elle lui brûle les yeux. La vérité est incandescente. Elle lui apparait d’ailleurs sous les traits de ce spectre en femme voilée. Si la vérité est faite femme, comme le disait si bien le père du Zarathoustra, la vérité avancerait alors voilée. Comme cette femme. La femme est voilée, mais c’est avant tout symbolique. Car la femme n’existe pas. Les femmes existent, mais elles ne forment pas une unité. Or, que veulent-elles ? Quel est donc leur mystère ? Que cachent-elles sous leur corsage et sous leur jupe ? Y a-t-il une vérité essentielle, ontologique, propre aux femmes qui sera éternellement cachée aux hommes ? Dans cette quête d’un idéal, Don Juan ne cherche pas sa mère. Il en a certainement fini avec ce complexe œdipien de la même manière. Il ne cherche pas la femme idéale, l’absente de tout bouquet, et même si cette supposition a nourri la poésie et la littérature. Don Juan cherche la vérité. Les femmes ne sont qu’un prétexte à cette quête. Or, comment nier que cette vérité semble se présenter sous les traits de Dieu lui-même ? Cette lumière du Ciel qui nous éclaire dès lors que nous avons acceptés de nous connecter. D’autant que l’on pense ce Dieu, tel le Dieu tragique pascalien, avançant vers nous sur un mode présence/absence.
Cessons également de voir Don Juan comme un libertin. Il n’y a pas de liberté affichée chez Don Juan. Il n’est libre de rien, trop aliéné à sa quête. Car Don Juan est pris dans la dialectique des désirs. Il est ce désir qui désire le désir de l’autre. L’autre femme. Celle qu’il n’a pas encore eue. Il ne vise pas sa singularité quelconque. Il les vise toutes. Il conquiert sans cesse. Abasourdi par la tension et la souffrance du désir de conquérir. Il veut leur arracher leur désir… quitte à se consumer lui-même ! Le désir d’une femme en particulier ici n’est qu’une parade, un simulacre. En arrière-fond se cache le désir du désir de Dieu. Lacan aurait sûrement parlé du grand Autre. Le désir du grand Autre. C’est donc une quête érotique et métaphysique. Don Juan n’a pas faim des femmes ; il a faim de Dieu. Il est amoureux de Dieu.
Et cessons encore avec une autre grande erreur : Don Juan n’a jamais déçu aucune femme – contrairement à ce que l’on a écrit ! Il est, lui, le seul à vivre une déception renouvelée dans l’affaire. Ou, plus précisément, l’impasse du désir dans laquelle il se perd systématiquement, fait de lui, un homme condamné à une déception éternelle. Chaque fois qu’il réalise son désir, en séduisant une de ses « proies », il est aussitôt déçu ; l’objet de désir poursuivi n’étant rien d’autre qu’une apparence, une projection sur la paroi de sa caverne ténébreuse. Mais je l’affirme, aucune femme n’est déçue par Don Juan. Bien au contraire ! Vérifiez le feu brûlant dans le corps d’Elvire. Elle se consume de passion pour lui. Et Charlotte. Et Charlotte…
Pour comprendre, il faut se rendre du côté de la psychanalyse. « Don Juan est un rêve féminin », écrit Jacques Lacan. Parce qu’il ne semble ne rien manquer à Don Juan. Reconnaissons que le psychanalyste française nous dit que rien ne nous indique que Don Juan inspire le désir. « Remarquez, dit-il dans son Séminaire X, qu’il n’est pas dit du tout qu’il inspire le désir. S’il se glisse dans le lit des femmes, il est là on ne sait comment. On peut même dire qu’il n’en est pas là non plus. » On aurait tort de confondre Don Juan et Casanova. Cessons avec les caricatures qui nous proposent un Don Juan homosexuel ou jouisseur. Il symbolise en réalité la reconnaissance en acte de l’infinitude féminine. Lorsque Casanova joue, trahit tout le monde, se prend au jeu perfide et dangereux de l’amour, Don Juan éprouve le « une par une » dans une quête éternelle des femmes ; il est incapable d’aborder la jouissance des femmes en-dehors de la jouissance phallique. Or, s’il représente à leurs yeux le fantasme absolu, à la différence de Casanova qui parait fragile une fois conquis, c’est qu’il parait n’en tolérer aucune pour lui, et ainsi il prétend les ravir toutes aux pères. Il est cette illusion, ce simulacre d’émancipation féminine. Il n’a donc rien d’un pervers, non plus. « Il faut bien le dire, précise Jacques Lacan, ce n’est pas là un personnage angoissant pour la femme. Quand il arrive que la femme se sente vraiment l’objet au centre du désir, eh bien, croyez-moi, c’est là qu’elle fuit vraiment. »
Don Juan n’a fait souffrir aucune femme. Au contraire. Il se perd dans le dédale des désirs. Il est désespérément cet homme en quête. Il attend. Il ne fait même que cela. Attendre. Il cherche. Il cherche à atteindre Dieu. Il veut le faire jouir. En vain. Et la vraie question en réalité, c’est Lacan qui l’a posée. C’est celle de la sexualité. De quelle côté se trouve-t-elle ? De côté masculin ou féminin ? Cette déclaration de guerre sur fond de jouissance sexuelle sans partage, est une déclaration de sexe. Là-dessus, on ment tous. Car, tout doit se lire à partir de la fonction phallique. Voilà ce que nous nous refusons à voir dans la figure mythique de Don Juan. Nous fuyons, bien-pensants puritains que nous sommes. Tout le monde en parle. Mais que disons-nous à propos de la fonction phallique dans la sexualité ? Don Juan nous répond : tout homme est soumis à la castration. Tout homme sauf un : le sûr-mâle, celui qui est le chef (ou le père) de la horde, et qui ne se soumet pas à la castration en jouissant de toutes les femmes. Il jouit de toutes et il jouit de la femme en tant que toute. Cela va ensemble. Il suffit de relire Totem et tabou de Freud pour le comprendre. En se défaisant de la loi de la castration, il la fonde – en tant qu’exception –, et permet à tout homme, fils et père, d’être castré. Ce « au-moins-un » que nomme Lacan, c’est le fantasme de tout névrosé, qu’il soit homme ou femme. Alors que Don Juan le recherche en Dieu lui-même, les femmes le recherchent en lui. A leurs yeux, il représente cet homme non castré. Il est cet « homme » au milieu de tous ces « dégonflés » ! Et là-dessus tout le monde est dupe !
Parce qu’il les mystifie toutes, il est ce simulacre d’homme universel, de tout homme, de sur-mâle. Il est le rêve féminin. Il les fait jouir ; il les passionne ; il les attache amoureusement au mythe qu’il incarne. Il n’est pas autre chose. Là-dessus, on refuse de voir l’essentiel. Il incarne le rêve féminin, car si les rapports sexuels n’existent pas, lui, le seul qui échappe à la castration, qui parait désirer et jouir de toutes les femmes, devient soudain le symbole d’un semblant de rapports sexuels possibles ; il les mystifie toutes parce qu’il désire et jouit de toutes les femmes, semble-t-il ; il inspire une illusion de taille aux yeux de toutes les femmes : celle qu’elles trouveront enfin, par Don Juan, l’identité du sexe féminin. Elles croient qu’il porte en lui le secret si bien gardé. Introuvable pour l’ensemble des femmes. Parce que, dans l’inconscient, au-delà de l’image de la mère, la femme n’existe que comme béance, comme manque de représentation, elles recherchent en Don Juan l’absence de manque. Don Juan n’étant pas castré, puisqu’il peut jouir de toutes les femmes, devient celui à qui rien ne manque. Une illusion de plus. Là-dessus, nous ne voulons rien en savoir. Car Don Juan lui-même est castré. Sinon, il ne serait pas assuré de sa position masculine. De la même manière qu’il n’existe aucune « sur-femme », il n’existe pas plus de « sur-mâle ». Don Juan est donc ce simulacre d’homme total, alors que lui-même recherche à travers les femmes, topos obligatoire, la figure de Dieu ; Dieu dont il voudrait la jouissance complète pour échapper à la loi qu’il subit, rebelle à ses heures ! Mais le désir de Don Juan se heurte à une impasse. Car la femme n’existe pas. Ce qui veut simplement dire qu’aucune femme ne peut constituer un cercle fermé. Si on trouve aisément la bande d’hommes, le signifiant « femme » n’unifie aucunement la femme en revanche. Don Juan ne peut donc les conquérir qu’une par une. La quête devenant alors infinie. Et son désir de faire jouir Dieu impossible. Derrière le voile de la vérité, il n’y a donc rien.
Don Juan est ainsi ce héros tragique, aux prises du désir de Dieu sans Dieu. Car Dieu lui est par-là totalement inaccessible. Et les femmes, par la même occasion.
Messages
1. Don Juan ou le rêve féminin, 28 janvier 2012, 09:35
Non sens total,incroyable analyse qui ne repose sur rien dy texte ,juste des interprétations fumeuses .
Par exempleDon juan est bien homosexuel refoulé et pas tant que ça refoulé ,voir sa conduite avec le commandeur .
Alors citer Lacan lui qui aurait justement hurler au signifiant "Elvire" et en déduire que Don juan n’est pas homo,c’est donc n’avoir rien retenu du fondement même de l’enseignement de Lacan .
Je dis "donc" car votre prétention à une logique quasi mathématique en appliquant ce "donc" apres une assertion fumeuse pour essayer de prouver ce que malheureusement vous ne prouvez pas le moins du monde est un procédé de gamin ignorant
Mais revenons à ce "Elvire" que vous ne comprenez absolument pas,que vous laissez completement de coté alors que "elle vire" comme ont dit :elle vire de bord " ou "elle vire sa cutie" pour parler d’un homo ,c’est tout de même là dessus que joue Lacan !
Donc Don juan est homo et en plus athée ,ce que manifestement vous ne comprenez pas du tout
Mais avez vous vraiment lu et relu cette piéce ?
pour dire tant de sottises j’éspére pour vous que non,j’attends vos analyses du "tartuffe" pour encore rigoler un bon coup