Accueil > Dotti : il a vendu de la lessive

Dotti : il a vendu de la lessive

Publie le vendredi 20 février 2004 par Open-Publishing

Traduction
de Susanna Ripamonti

MILAN. Il les connaissait bien , lui. Vittorio Dotti, ex-chef de groupe de Forza
Italia à la Chambre, ex-avocat de Silvio Berlusconi, ex-fiancé de Stefania Ariosto
(le témoin crucial dans le procès contre Cesare Previti : Ndt) était, il y a dix
ans, un homme de pointe du parti de la majorité, alors nouveau-né. Lui c’était
la colombe, membre de la composante modérée, plus disposée au dialogue avec l’opposition,
Cesare Previti, c’était le faucon, prédateur vorace de la chose publique, fidèle
interprète en cela de la conception de l’Etat du Premier Ministre. L’aile rapace
de Forza Italia n’a jamais cessé de lui reprocher d’avoir utilisé Stefania Ariosto
pour anéantir les adversaires internes au parti. Lui, il a toujours répondu que
seul un naïf aurait pu se servir d’une mine flottante telle que l’incontrôlable
témoin "Omega" pour se frayer un chemin dans la jungle de Forza Italia et éliminer
la concurrence. Du reste les résultats sont évidents à quiconque : il a quitté la
politique, il a perdu son plus prestigieux client et ce n’est qu’aujourd’hui
qu’il se rapproche timidement d’une nouvelle expérience politique en adhérant
au mouvement des Républicains européens, composante de la liste de Prodi qui
participera aux élections européennes avec les Ds, la Marguerite et le Sdi.

Maître Dotti, vous êtes un de ceux qui peuvent dire "moi, j’y étais". Quand Berlusconi
décida de "descendre sur le terrain", en se portant candidat comme l’homme nouveau
qui allait résoudre tous les problèmes de l’Italie, est ce que le bluff était
déjà évident pour des gens comme vous ? "Voyez-vous, Berlusconi a vendu l’idée
d’un nouveau parti exactement comme l’on vend de la lessive. Il y avait un aspect
médiatique qui était naturellement très différent du contenu même si, à ce moment-là,
on pouvait trouver séduisante l’idée d’un parti annonçant parmi ses objectifs
la valorisation d’un marché qui était, selon lui, étranglé par des liens et des
lacets qui compromettaient la possibilité de créer de nouveaux emplois. Et puis
il y avait une nouveauté objective : avec l’effritement des vieux partis modérés
s’ouvrait un vide qui pouvait être rempli par une force politique moderne, libérale, à un
moment où tout le monde se disait libéral, même les communistes".

Parlons du paquet-cadeau dans lequel Berlusconi a vendu son produit... " Berlusconi
a toujours superposé le véhicule et son contenu exactement comme il le fait maintenant.
Il se fait un lifting et il est convaincu d’obtenir du consensus parce qu’il
apparaît plus jeune, plus frais, plus énergique. Ce qui compte, c’est l’image,
aussi parce que le contenu concerne surtout lui-même. La politique de Forza Italia
correspond principalement à ses intérêts, il en a toujours été ainsi. Pour atteindre
l’objectif, il s’est entouré de politologues et d’experts en sondage qui lui
avaient prédit une victoire facile comme cela fut le cas".

Parmi ses conseillers, il y avait aussi Bettino Craxi. Est-ce exact ? "Je ne vivais
pas à Arcore et je n’ai pas été témoin direct de rencontres entre lui et Berlusconi
mais Craxi a sûrement joué un rôle décisif pour le convaincre de créer un nouveau
parti, comme d’ailleurs l’ont joué d’autres représentants de la vieille démocratie
chrétienne et ce n’est pas un hasard s’ils sont entrés ensuite dans Forza Italia.
Mais la poussée décisive, c’est Dell’Utri qui l’ a donnée".

Pourquoi le rôle de Dell’Utri a-t-il été décisif ? Il dirigeait Publitalia, l’agence
qui collecte la publicité de la Fininvest... "C’est exactement pour cela. Il
connaissait le marché. les agents de Publitalia étaient au contact des gens les
plus importants de toutes les provinces d’Italie, ils étaient en mesure de convaincre
les entrepreneurs et d’amener des dizaines de milliards dans les caisses des
télévisions de Berlusconi, figurez-vous s’ils n’auraient pas été en mesure de
les convaincre de voter pour l’homme qui promettait les choses que la petite
et la moyenne entreprise ont le plus à cœur : moins de taxes, libéralisation du
marché du travail...Dell’Utri avait tous les contacts, il était à la tête de
ce réseau et c’est exactement pour cela qu’il était certain de la possibilité d’y
arriver".

En somme, une opération de marketing stricto sensu. Et quels étaient les critères
de choix des dirigeants, des candidats ? "Berlusconi n’a jamais vérifié les capacités
politiques que chacun avait ou non. Il a choisi ses amis, ses professionnels
et puis s’est appuyé sur le réseau de Publitalia qui amenait des financements
et des supporters. Je me souviens des soirées à Arcore, où lui-même tenait des
cours de formation et d’endoctrinement. Exactement comme on entraîne des bonimenteurs
et des vendeurs. La règle fondamentale était de repérer qui passait le mieux à la
télévision. Je dirais que c’était cela, le critère de sélection principal. Le
reste ne l’intéressait pas : ses candidats ne sont que des numéros, une masse
de manœuvre dont disposer".

A Forza Italia, vous étiez la colombe et Previti le faucon. Mais quel espace
avait un modéré dans la cage des rapaces ? "Très peu, dirais-je, les faucons
ont gagné tout de suite, aussi parce que Berlusconi en était un. Ils voulaient
le choc frontal avec l’opposition mais, à l’époque, les objectifs que nous avons
tous compris après-coup n’étaient pas si évidents. Certes, s’il avait dit tout
de suite que son objectif était de délégitimer la magistrature et de la soumettre
au contrôle de l’exécutif, je n’aurais jamais adhéré à Forza italia. Je n’aurais
certainement pas été d’accord avec toutes les lois approuvées ces années-ci dont
le seul but était d’empêcher les procès contre Previti et contre le premier ministre.
C’est une bataille que je n’aurais jamais menée, de même que je ne suis pas d’accord
avec les tentatives de réformer la Constitution et d’anéantir les organes de
contrôle et de garantie tels que la Cour Constitutionnelle et le Président de
la République".

Le tout alors que Berlusconi n’a pas encore résolu le problème du conflit d’intérêts. "Le
vrai problème de Berlusconi est qu’il ne peut ni ne veut séparer ses intérêts
professionnels de son rôle politique. Dommage qu’il soit resté aussi imperméable à la
culture des institutions et qu’il soit tellement convaincu que ses pouvoirs lui
permettent de réaliser ses intérêts strictement personnels".

Au point où nous en sommes, vous pourriez peut-être remercier Stefania Ariosto
qui vous a obligé à quitter Forza Italia avant de mettre à dure épreuve votre
capacité de résistance... "Disons qu’il y a manière et manière, même si après
coup je dois admettre que je serais sûrement sorti de Forza Italie, indépendamment
de l’histoire Ariosto et de ses conséquences".

Publié par L’Unità

Traduit de l’italien par Karl et Rosa

19.02.2004
Collectif Bellaciao